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Rā'au Tahiti pour les enfants, un chercheur de l'IRD mène l'enquête


Dans le cadre de son étude, François Chassagne multiplie les entretiens avec les personnes qui pratiquent le rā'au Tahiti. © François Chassagne/IRD
Dans le cadre de son étude, François Chassagne multiplie les entretiens avec les personnes qui pratiquent le rā'au Tahiti. © François Chassagne/IRD
Tahiti, le 13 mars 2023 – En Polynésie comme dans d'autres territoires du Pacifique, la médecine traditionnelle est toujours bien présente et est notamment utilisée pour soigner les enfants. François Chassagne, ethnopharmacologue à l'Institut de recherche pour le développement de Toulouse, s'est intéressé à la question. Il est actuellement au fenua pour mener une enquête de terrain dans le but de documenter les pratiques.
 
Quels sont les remèdes traditionnels utilisés dans le Pacifique pour soigner les enfants ? Sont-ils efficaces ? Présentent-ils un risque de toxicité ? Autant de questions auxquelles s'est intéressé François Chassagne, ethnopharmacologue chargé de recherches à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) de Toulouse. Actuellement en Polynésie, il mène un travail de terrain pour aller à la rencontre des populations pour mieux connaître les pratiques liées au traitement des enfants, âgés de 0 à 12 ans, avec la médecine traditionnelle.
 
François Chassagne a effectué un premier séjour en Polynésie en 2021. Avec une bourse en poche, il s'est intéressé à l'époque aux problématiques de la diarrhée et de la ciguatera. Mais au fil des rencontres, une réflexion revenait en permanence : les remèdes traditionnels ne sont pas tellement utilisés pour soigner ces pathologies mais plutôt pour traiter les enfants. À l'époque, il a également été marqué par le procès de toute une famille, poursuivie pour homicide involontaire, suite au décès d'un bébé de 16 mois à Bora Bora, soigné avec des rā'au Tahiti. Il décide donc de mener une nouvelle étude sur la médecine traditionnelle particulièrement ciblée sur les enfants.
 
Cette étude, qui a débuté en septembre dernier, est menée au fenua en partenariat avec l'Université de la Polynésie française et la Maison des sciences du Pacifique, mais aussi au Vanuatu avec l'Université nationale et en Nouvelle-Calédonie avec l'IRD de Nouméa. Un projet qui s'articule autour des trois territoires, “car là-bas aussi, la médecine traditionnelle est principalement utilisée pour les enfants”. L'objet de l'étude est donc de documenter et évaluer les remèdes, “ce n'est surtout pas de développer de nouveaux médicaments”, explique François Chassagne. “On voulait tout d'abord documenter les pratiques, et ensuite fournir une balance bénéfices-risques, c'est-à-dire essayer de comprendre si ce qui est utilisé marche vraiment ou pas. Et si ça marche, creuser un peu plus pour essayer de détailler si ce sont des activités anti-inflammatoires, antibactériennes... Et après, voir éventuellement si ça présente un risque de toxicité.”

Enquêtes de terrain

Méthode traditionnelle de préparation des rā'au Tahiti. © François Chassagne/IRD
Méthode traditionnelle de préparation des rā'au Tahiti. © François Chassagne/IRD
Son travail repose essentiellement sur des enquêtes de terrain. François Chassagne est allé l'année dernière à la rencontre des populations de Raiatea, Bora Bora, Huahine, Tahiti et Moorea. Et cette année, c'est aux Tuamotu qu'il mène avec son équipe ses enquêtes qui les conduiront à Anaa, Makemo, Rangiroa, Tikehau et Fakarava. “Aux Tuamotu, on a choisi des îles qui étaient sur des territoires linguistiques différents, des nombres de population différents et un isolement géographique différent. Par exemple, Anaa, c'est plutôt une île assez petite et assez isolée, alors que Rangiroa, c'est beaucoup plus touristique, plus grand. L'idée était d'avoir différents types d'îles pour essayer d'avoir une vision la plus globale possible de ce qu'il se fait en médecine traditionnelle.” Pour rencontrer ceux qui utilisent les rā'au Tahiti, le chercheur s'appuie sur son réseau, mais aussi sur les mairies. “Et si avec le réseau et les mairies, on n'a rien, c'est du porte-à-porte. C'est au petit bonheur la chance.” Et il cherche à rencontrer tous types d'utilisateurs des remèdes traditionnels. “Il y a des grands-mères ou des mamans qui vont en préparer pour les enfants, et puis il y a des gens qui sont vraiment très spécialisés et qui utilisent aussi d'autres pratiques, des rites, la spiritualité, qui fait qu'eux ont un autre niveau de connaissances, une autre forme de pratique, et une certaine aura auprès de la population. Il y en a qui ne connaissent rien et d'autres qui connaissent beaucoup, et entre les deux il y en a qui connaissent un peu. Il y a de tout, de tous les degrés. Mais en tout cas, c'est clair et net que ça existe, et partout.”
 
Parmi les remèdes les plus usités, on peut citer les bains de feuilles de corossol pour traiter le ira, un trouble nerveux, ou encore les bains de feuilles de tamanu pour les enfants qui ont la varicelle. Outre l'usage des remèdes et leurs propriétés, le chercheur s'intéresse aussi à leur dangerosité. “Il y a toujours un bénéfice et toujours un risque. Après, tout va dépendre de la dose, du temps de prise, de si c'est un enfant ou un adulte”, précise-t-il. “Il y a beaucoup de gens qui sont conscients de ça, et d'autres beaucoup moins. C'est l'hétérogénéité des savoirs qui peut être un peu délicate”. Les feuilles de corossol, par exemple, ne sont pas complètement inoffensives en fonctions de la manière dont elles sont utilisées. “Dans les Caraïbes, il y a des gens qui ont pris des infusions de feuilles de corossol sur une grande période, pendant longtemps, et ils se sont aperçus que cela provoquait un certain syndrome atypique de parkinson”, explique-t-il. Autre exemple, le metuapua'a, une fougère qui fait partie des plantes très usitées dans les rā'au Tahiti (comme purgatif, vermifuge ou contre les vomissements, entre autres) mais qui présente un risque. “Tout le monde le connaît, tout le monde sait que c'est dangereux, mais continue à l'utiliser parce que c'est très efficace. Je suppose que la marge thérapeutique, c'est-à-dire la différence entre la dose efficace et la dose toxique, est très, très proche, et donc finalement, on se retrouve vite fait avec des toxicités si on maîtrise mal les doses.”
 
Dans le cadre de cette étude, François Chassagne et son équipe vont collecter des plantes qui entrent dans la composition des rā'au Tahiti, qui viendront alimenter l'herbier du Musée de Tahiti et des îles, ainsi que celui-ci de l'IRD de Toulouse, afin de permettre l'identification botanique. Si les plantes collectées ne feront pas l'objet de tests pharmacologiques, ce sera en revanche l'objet d'un autre projet, “qui commence tout juste”. Financé par l'Agence pour la recherche, celui-ci s'intéressera à la durabilité de la médecine polynésienne. “On cherchera à comprendre comment les molécules peuvent agir sur les pathologies dont les gens parlent.” Les plantes et les rā'au Tahiti associés n'ont donc pas fini de dévoiler tous leurs secrets.

Ingrédients pour le rā'au he'a, traitement préventif qui vise à lutter contre l’accumulation des impuretés. © François Chassagne/IRD
Ingrédients pour le rā'au he'a, traitement préventif qui vise à lutter contre l’accumulation des impuretés. © François Chassagne/IRD

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Lundi 13 Mars 2023 à 17:17 | Lu 2142 fois