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Quinquina, le nouveau soft power


© Anne-Laure Guffroy
© Anne-Laure Guffroy
Tahiti, le 1er juin 2023 – Deux petits nouveaux viennent de faire leur entrée sur le marché des soft drinks artisanaux et locaux : un tonic et une Ginger Ale, créés par Tāmata Soft Drinks. Pour réaliser le tonic, dont la première production est sortie cette semaine, Mathieu Daumont est parti à la recherche de quinquinas à Tahiti, un arbre planté à la fin des années 1930, puis tombé dans l'oubli et aujourd'hui classé comme espèce invasive.
 
Qui n'a jamais rêvé d'un bon soda bien rafraîchissant par une journée de grosse chaleur ? Mais de qualité, c'est encore mieux. Après avoir créé sa brasserie de bière artisanale Mātāvai il y a près de trois ans, Mathieu Daumont s'intéresse depuis un peu plus d'un an au marché des soft drinks. L'entrepreneur a eu l'envie de créer notamment un tonic “d'abord par goût”. Mais toujours dans le respect d'une recette artisanale et des circuits courts. “Quand tu fais des spiritueux locaux, c'est bien d'avoir des softs locaux. Il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas en faire ici du 100% artisanal. C'était là le challenge.”
 
C'est pour respecter ces principes que Mathieu Daumont s'intéresse donc à la production de quinquinas à Tahiti et à son histoire, la quinine extraite de l'écorce de quinquina étant la base du tonic, même s'il est possible d'en faire à partir de gentiane. Ses recherches commencent sur internet et il apprend que le quinquina est classé comme espèce invasive en Polynésie. Il se plonge ensuite dans le livre “Plantes utiles de Polynésie” du docteur en pharmacie Paul Pétard, un ouvrage de référence sur les plantes et la pharmacopée. Là, il apprend notamment que des plantations expérimentales ont été faites à Tahiti dans les années 1930-40 sur les hauteurs de Taravao et à la Fautaua, à la demande de la France, la quinine étant un des ingrédients de base dans la pharmacopée internationale. Des plantations expérimentales qui ont ensuite été abandonnées. À l'époque, les tests sur les quinquinas avaient été menés par Jean Boubée, chef de la Station agronomique de Tahiti. Mathieu Daumont prend alors contact avec son fils, Jean-Marie Boubée, “un homme âgé qui se passionne pour le quinquina et qui me donne plein de conseils pour savoir où en trouver. Il croit beaucoup à cet arbre’”, et avec le botaniste Jean-François Butaud, qui lui confirme la présence de deux espèces de quinquina à Tahiti – voire peut-être une troisième, hybride – et qu'une des deux est classée comme invasive et donc beaucoup plus présente, notamment sur le plateau de Taravao.

Un arbre tombé dans l'oubli

Mais justement, l'espèce étant invasive, Mathieu Daumont se rapproche de la Direction de l'agriculture (DAG) pour savoir s'il a le droit d'effectuer des prélèvements d'écorce, laquelle le redirige vers la Direction de l'environnement (Diren). La Diren m’a répondu qu’il n’y avait aucun problème à partir du moment où j’avais l’autorisation des propriétaires du terrain. Sachant que ce sont des terrains domaniaux, j’ai fait la demande à la DAG qui m’a autorisé à ramasser des écorces pour réaliser mes tests.” Et là, c'est une véritable expédition qui commence. Mathieu Daumont se rend sur les hauteurs du plateau de Taravao. L'arbre est facilement reconnaissable avec ses feuilles rouges, mais est très souvent difficiles d'accès. Il réussit toutefois à en atteindre quelques-uns et armé de son canif, effectue quelques prélèvements. Vient alors la phase de tests sur la teneur en quinine des écorces et la recherche de la recette idéale. “Pour les recettes, j’ai travaillé avec un de mes amis, Olivier Duret, agriculteur et distillateur à Taha'a. Il distille depuis peu des spiritueux haut de gamme et notamment deux gins, un classique et l’autre polynésien. Nous avons créé le tonic pour qu’il se marie au mieux avec son gin. C’est avec lui que nous avons réalisé tous les tests des recettes. Nous avons dû faire une vingtaine de tests différents.” 

2 000 bouteilles

Et les tests ont finalement été concluants. Mathieu Daumont et son équipe ont sorti cette semaine leur toute première production de tonic. Une production de 2 000 bouteilles. “C'est une goutte d'eau dans le monde des softs ici”, reconnait-il. “Ce sont des petits volumes, ça n'a pas vocation à concurrencer l'industriel. On fait ça avant tout par passion. C'est une recherche d'avoir des produits différents, plus aromatiques, plus sains, sans arômes, sans conservateurs. C'est ça qui nous anime.”
 
Pour réaliser cette production, Mathieu Daumont a eu besoin de prélever seulement quelques kilos d'écorce. Et il prend soin de ne faire que de petits prélèvements à chaque fois – quelques dizaines de centimètres carrés. Le quinquina étant classé espèce invasive, menaçant la biodiversité “en raison de son développement explosif en forêt de nuages, même sous les forêts denses de miconia”, selon le livre de Paul Pétard, il est strictement interdit d'en planter en Polynésie. Mathieu se doit donc de préserver la ressource existante s'il veut continuer sa production. “Pour y être retourné, les arbres vont bien. L'écorce se reforme”, se réjouit-il. Pour le botaniste Jean-François Butaud, en revanche, l'écorçage destructif sera un premier pas dans le contrôle cette espèce envahissante”. Le tonic Tāmata Soft Drinks est à retrouver en vente chez Millésime et bientôt dans les bars et hôtels de la place.
© Anne-Laure Guffroy
© Anne-Laure Guffroy

Tāmata Soft Drinks

© Tāmata Soft Drinks
© Tāmata Soft Drinks
Mathieu Daumont, le gérant de la brasserie Mātāvai, a créé Tāmata Soft Drinks pour produire des softs artisanaux et locaux. Si son envie première était de fabriquer un tonic, dont la première production de 2 000 bouteilles est sortie cette semaine, Mathieu Daumont a d'abord sorti une Ginger Ale car “c'était plus facile”. “On l'a lancée il y a quelques mois. On rencontre un joli succès parce que le gingembre est local. Il est moins sucré et surtout naturel. Tu retrouves vraiment le goût du gingembre local. Ça plaît beaucoup au palais ici.” Pour la Ginger Ale, il s'approvisionne auprès de Pascal, un agriculteur du plateau de Taravao, afin de favoriser, là encore, le circuit court.
Aujourd'hui, il réfléchit à la création d'une limonade artisanale à base de citrons des Marquises. Il aimerait également se lancer dans la création de bitters locaux afin de parfumer les cocktails.

Page Facebook : Tamata Soft Drinks

La petite histoire du quinquina en Polynésie

Dans son ouvrage “Plantes utiles en Polynésie”, le docteur en pharmacie Paul Pétard livre l'histoire du quinquina en Polynésie. Elle débute en 1937. À cette époque, le ministère des Colonies demande au gouverneur des Établissements français de l'Océanie “de faire connaître d'urgence si la culture des quinquinas mérite d'être entreprise en Océanie et dans quelles conditions”. Le projet est alors confié à Jean Boubée, chef de la Station agronomique de Tahiti, et Paul Pétard lui-même. Ils reçoivent trois types de semences en septembre 1938, qu'ils plantent à la Fautaua, au pied du mont Aorai, à 480 mètres d'altitude, et à Afaahiti à 620 mètres d'altitude. La croissance des arbres est “très rapide” et les premières fleurs font leur apparition en 1943. Des tests sont alors effectués pour déterminer les taux d'alcaloïdes. Dans leur rapport, Jean Boubée et Paul Pétard concluent que “les arbres à quinquina sont parfaitement acclimatés à Tahiti, leur croissance y est rapide, ils ne sont attaqués par aucun insecte, ne sont atteints d'aucune maladie et fournissent des écorces exploitables commercialement. Ils rencontrent dans cette île des conditions de sol et de climat idéales, les terrains propices actuellement incultes couvrent des centaines d'hectares ; et nous estimons qu'il faut passer sans tarder du stade expérimental à celui de la culture intensive”.
 
Mais alors que Jean Boubée effectue dans les années qui suivent “un travail considérable” de sélection des arbres, en collaboration avec la Section technique d'agriculture tropicale du ministère de la France d'Outre-mer, pour développer les plantations en vue de leur exploitation commerciale, ces dernières sont totalement abandonnées en 1951, après que Jean Boubée a été nommé à Papeete au Service du conditionnement, “écarté définitivement des plantations de quinquina et mis dans l'impossibilité de s'en occuper”. Le quinquina est alors déclaré “culture sans avenir”. Pourtant, Paul Pétard souligne dans son livre qu'en 1965, la situation politique dans les ex-colonies hollandaises, britanniques et françaises où se trouvent les plantations de quinquinas est telle qu'il existe une pénurie mondiale de quinine et que les cours s'envolent. “Le développement des plantations [à Tahiti, NDLR] aurait permis de compenser dans une certaine mesure la chute catastrophique des cours du coprah”, écrit-il. “Les nouveaux dirigeants des Services de l'agriculture à Tahiti ont réduit à néant treize années d'efforts interrompus et pleins de promesses. Ainsi s'achève lamentablement, par la faute de l'incohérence et des préjugés de quelques fonctionnaires, une entreprise si bien commencée”, conclut Paul Pétard.
 
Source : “Plantes utiles en Polynésie”, de Paul Pétard. Éditions Haere Pō

Les propriétés de la quinine

D'après l'ouvrage “Plantes utiles en Polynésie” du docteur en pharmacie Paul Pétard, la quinine extraite de l'écorce de quinquina a de nombreuses propriétés thérapeutiques. Elle est tout d'abord utilisée dans le traitement contre le paludisme, malgré la découverte des antipaludiques de synthèse telle la désormais célèbre chloroquine. Dans les régions où existent des souches résistantes à la chloroquine, “la quinine reste le médicament de choix” dans le traitement des accès aigus à Plasmodium falciparum, l'un des parasites responsables des formes les plus graves de paludisme.
 
La quinine est également utilisée contre la fièvre, mais aussi les céphalées, myalgies et névralgies diverses grâce à “son action analgésique égale à celle de l'aspirine”. Elle est aussi utilisée pour soulager les crampes musculaires nocturnes, dans le traitement sclérosant des varices et des hémorroïdes. Enfin, avec son action anti-inflammatoire, elle est utilisée dans les maladies comme l'amygdalite aiguë, la grippe, la coqueluche ou encore la bronchite chronique. La quinine possède également un pouvoir bactériostatique (elle stoppe la prolifération des bactéries).
 
Source : “Plantes utiles en Polynésie”, de Paul Pétard. Éditions Haere Pō

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 1 Juin 2023 à 19:15 | Lu 4047 fois