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“Qui a le pouvoir en détention ?”


Tahiti, le 6 août 2024 – Le tribunal correctionnel a condamné mardi deux surveillants de Tatutu ainsi qu’un détenu condamné pour meurtre dans le cadre d’un trafic de stupéfiants organisé dans la prison. Les trois prévenus ont écopé de peines comprises entre trois ans et 18 mois de prison ferme.
 
“Aujourd’hui, qui a le pouvoir en détention ? Est-ce que ce sont toujours les surveillants et l’administration pénitentiaire ?”, s’est ouvertement interrogé le vice-procureur de la République lors du procès, mardi, de deux surveillants de la prison de Tatutu ainsi que d’un détenu condamné pour meurtre et de la belle-mère de ce dernier, une sexagénaire inconnue de la justice. Les quatre individus étaient jugés pour avoir, chacun à leur niveau, participé à l’introduction, dans la prison de Papeari, d’objets ainsi que de stupéfiants dont de l’ice et de la cocaïne.  
 
Tel que l’a rappelé le président du tribunal – et comme cela est souvent le cas dans les affaires de trafic de stupéfiants en milieu carcéral –, cette affaire digne d’un “film” avait démarré en janvier 2022 par la fouille de la cellule d’un ancien boxeur condamné pour meurtre. Les surveillants avaient alors mis la main sur des sachets contenant un peu d’ice et de cocaïne, 107 grammes de paka, des crèmes lubrifiantes utilisées pour le transport “in corpore” des stupéfiants, des outils ainsi qu’un téléphone.
 
Ex-adjointe au maire
 
Dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte à la suite de cette fouille puis de l’information judiciaire, les gendarmes et le magistrat instructeur avaient conclu que l’ancien boxeur avait demandé à un gardien dont il était proche de faire entrer des colis dans la prison pour le compte de "boss" comme "Murphy Tchen" tel que l'a précisé le président lors de l'audience. Il était également ressorti que ledit détenu entretenait une relation sentimentale avec une autre surveillante de Tatutu, accessoirement ancienne adjointe au maire de Teva i uta et ex-gendarme adjointe volontaire qui l’avait appelé pas moins de 2000 fois en trois mois. Enfin, les enquêteurs avaient découvert que la belle-mère du détenu réceptionnait les colis à l’extérieur pour que le gardien vienne les récupérer.
 
Au terme de l’information judiciaire, ces quatre prévenus ont donc comparu durant plusieurs heures mercredi devant le tribunal correctionnel pour s’expliquer sur ce que le représentant du ministère public a qualifié de “système d’échanges”. Visiblement détendu, l’ancien boxeur a de nouveau reconnu certains faits en assurant cependant qu’il avait trouvé la cocaïne et l’ice dans les couloirs de Tatutu et que les crèmes lubrifiantes retrouvées dans sa cellule n’étaient que des produits pour sa peau. L’homme, qui bénéficiait d’un certain traitement de faveur en partie permis par son coprévenu, a ensuite assuré à la barre que ce dernier “n’assumait pas” sa part de responsabilité dans cette affaire.
 
Proximité excessive
 
Chapelet dans la main, l’ancienne surveillante – suspendue depuis l’affaire mais touchant toujours un salaire “non indexé” – et maîtresse du boxeur a pour sa part concédé à la barre qu’elle avait eu connaissance d’un trafic mais qu’elle n’en avait pas parlé de peur que sa relation adultère éclate au grand jour. Le président du tribunal lui a alors rappelé qu’elle avait menti à de nombreuses reprises durant cette enquête et qu’elle avait même accusé son ancien amant de viols. De “graves” et fausses accusations sur lesquelles le magistrat a d’ailleurs insisté.
 
Beaucoup plus fuyant que ses coprévenus et bien seul pour se défendre, l’ancien gardien de Tatutu – père de deux enfants – a ensuite réaffirmé à la barre qu’il ne comprenait pas pourquoi il était accusé de s’être livré à un trafic. Le trentenaire, qui a reconnu qu’il avait eu une proximité quelque peu excessive avec le boxeur, n’a pourtant pas su expliquer pourquoi il avait entretenu des contacts téléphoniques avec la belle-mère de ce dernier alors même que sa profession lui imposait, de son propre aveu, de se mettre à distance aussi bien des personnes détenues que de leurs proches.
 
Interdiction définitive
 
Face à ce tableau particulier du milieu carcéral, le vice-procureur de la République n’a pas pu que déplorer, lors de ses réquisitions, que le trafic de stupéfiants gangrène les prisons et mène à de la “corruption”, des menaces ou des violences commises sur des agents pénitentiaires. Quatre ans de prison ferme ont été requis contre le boxeur et l’ancien gardien, quatre ans dont deux avec sursis à l’encontre de l’ex-surveillante et deux ans de prison avec sursis contre la belle-mère du détenu.
 
Après en avoir délibéré, le tribunal a condamné l’ancienne surveillante à trois ans de prison dont 18 mois avec sursis et à l’interdiction définitive d’exercer une profession en lien avec l’administration pénitentiaire. Son collègue a écopé de trois ans ferme et ne pourra plus exercer dans la fonction publique. Enfin, le boxeur a écopé de trois ans ferme et sa belle-mère de deux ans avec sursis.
 

Rédigé par Garance Colbert le Mardi 6 Août 2024 à 18:21 | Lu 5381 fois