Tahiti, le 5 décembre2019 - L’économiste André Zylberberg a donné mercredi une conférence publique sur le thème de l’efficacité des politiques publiques en faveur de l’emploi, un sujet dont il est l'un des plus grands experts mondiaux. L’analyse scientifique des aides à l’emploi au niveau international a beaucoup à nous apprendre, en particulier sur les contrats aidés.
L’économiste André Zylberberg est en Polynésie pour le jury de thèse de Francky Sacault, qui a soutenu la semaine dernière ses travaux sur les "Facteurs et perspectives de la croissance en Polynésie française". Ancien directeur de recherche au Comité national de la recherche scientifique (CNRS), André Zylberberg en a profité pour donner une conférence publique à l’Université de la Polynésie française (UPF), mercredi, sur le thème de "L’évaluation des politiques d’emploi". Elle a attiré des représentants du Service de l'emploi de la formation et de l'insertion professionnelles (Sefi), des économistes locaux, des chefs d’entreprise et des hommes politiques très intéressés par ce résumé des meilleures pratiques, alors que la Polynésie est confrontée à un chômage de masse.
André Zylberberg a été introduit par l’économiste polynésien Christian Montet comme "l’un des meilleurs spécialistes au niveau international de l’économie du travail", auteur de nombreux livres de référence académiques. Pour le grand public, il recommande d’ailleurs Les Ennemis de l’emploi et Le Négationnisme économique comme de bonnes introductions à ces problématiques.
Le conférencier a commencé par rappeler que pour être une science, l’économie du travail se doit de recourir à des expériences scientifiques pour déterminer quelles politiques sont efficaces. C’est d’ailleurs le principal conseil qu’il a donné au Sefi à la fin de la soirée : mettre en place dès à présent un suivi scientifique de l’efficacité de chaque mesure. Ce travail objectif permettra de favoriser les meilleures et d’abandonner les moins utiles.
LA QUESTION DES EMPLOIS AIDÉS
Il a aussi fait un tour d’horizon des politiques d’aide à l’emploi tentées dans le monde :
- Le soutien scolaire dès le plus jeune âge s’est révélé particulièrement efficace pour lutter contre le chômage et la délinquance ;
- L’immigration n’a pas d’effet sur le chômage quand le marché du travail est fluide ;
- Les 35 heures ont eu un impact négatif important sur l’emploi en France ;
- La baisse des charges patronales au Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est très efficace : une expérience en France a prouvé que baisser le coût du travail peu qualifié de 1 % augmente l’emploi de 2 % ;
- Il faut se méfier quand on joue avec le salaire minimum : on ne peut l’augmenter que quand il est loin de la productivité des salariés. Sinon on crée directement du chômage ;
- Augmenter les indemnités chômage ou la durée d’indemnisation retarde le retour à l’emploi. Imposer des contrôles stricts et des sanctions aux chômeurs qui ne cherchent pas de travail se révèle efficace pour lutter contre cet effet ;
- Les emplois aidés ne sont efficaces que s’ils sont réalisés dans le secteur marchand. Les emplois aidés dans le secteur public ou associatif retardent le retour à l’emploi… Un paradoxe qui s’expliquerait par le fait que les activités proposées par le secteur public à ses stagiaires sont peu valorisants (ramasser des feuilles, etc.) et stigmatisent les candidats quand ils cherchent ensuite un emploi dans les entreprises. Les seuls emplois aidés efficaces dans le secteur public sont ceux qui sont étudiés très spécifiquement pour accompagner et former des publics très éloignés du monde du travail.
Cette dernière question a bien sûr provoqué le plus de discussions après la conférence, puisque les emplois aidés sont le principal outil mis en place par le Pays pour lutter contre le chômage.
L’économiste André Zylberberg est en Polynésie pour le jury de thèse de Francky Sacault, qui a soutenu la semaine dernière ses travaux sur les "Facteurs et perspectives de la croissance en Polynésie française". Ancien directeur de recherche au Comité national de la recherche scientifique (CNRS), André Zylberberg en a profité pour donner une conférence publique à l’Université de la Polynésie française (UPF), mercredi, sur le thème de "L’évaluation des politiques d’emploi". Elle a attiré des représentants du Service de l'emploi de la formation et de l'insertion professionnelles (Sefi), des économistes locaux, des chefs d’entreprise et des hommes politiques très intéressés par ce résumé des meilleures pratiques, alors que la Polynésie est confrontée à un chômage de masse.
André Zylberberg a été introduit par l’économiste polynésien Christian Montet comme "l’un des meilleurs spécialistes au niveau international de l’économie du travail", auteur de nombreux livres de référence académiques. Pour le grand public, il recommande d’ailleurs Les Ennemis de l’emploi et Le Négationnisme économique comme de bonnes introductions à ces problématiques.
Le conférencier a commencé par rappeler que pour être une science, l’économie du travail se doit de recourir à des expériences scientifiques pour déterminer quelles politiques sont efficaces. C’est d’ailleurs le principal conseil qu’il a donné au Sefi à la fin de la soirée : mettre en place dès à présent un suivi scientifique de l’efficacité de chaque mesure. Ce travail objectif permettra de favoriser les meilleures et d’abandonner les moins utiles.
LA QUESTION DES EMPLOIS AIDÉS
Il a aussi fait un tour d’horizon des politiques d’aide à l’emploi tentées dans le monde :
- Le soutien scolaire dès le plus jeune âge s’est révélé particulièrement efficace pour lutter contre le chômage et la délinquance ;
- L’immigration n’a pas d’effet sur le chômage quand le marché du travail est fluide ;
- Les 35 heures ont eu un impact négatif important sur l’emploi en France ;
- La baisse des charges patronales au Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est très efficace : une expérience en France a prouvé que baisser le coût du travail peu qualifié de 1 % augmente l’emploi de 2 % ;
- Il faut se méfier quand on joue avec le salaire minimum : on ne peut l’augmenter que quand il est loin de la productivité des salariés. Sinon on crée directement du chômage ;
- Augmenter les indemnités chômage ou la durée d’indemnisation retarde le retour à l’emploi. Imposer des contrôles stricts et des sanctions aux chômeurs qui ne cherchent pas de travail se révèle efficace pour lutter contre cet effet ;
- Les emplois aidés ne sont efficaces que s’ils sont réalisés dans le secteur marchand. Les emplois aidés dans le secteur public ou associatif retardent le retour à l’emploi… Un paradoxe qui s’expliquerait par le fait que les activités proposées par le secteur public à ses stagiaires sont peu valorisants (ramasser des feuilles, etc.) et stigmatisent les candidats quand ils cherchent ensuite un emploi dans les entreprises. Les seuls emplois aidés efficaces dans le secteur public sont ceux qui sont étudiés très spécifiquement pour accompagner et former des publics très éloignés du monde du travail.
Cette dernière question a bien sûr provoqué le plus de discussions après la conférence, puisque les emplois aidés sont le principal outil mis en place par le Pays pour lutter contre le chômage.
André Zylberberg, économiste, directeur de recherche émérite au CNRS
"En Polynésie, c’est la question du SMIG qui m’apparaît centrale"
Que dit la science économique sur l'instauration par la loi d'une préférence nationale à l'embauche ?
"Chaque pays ou territoire peut avoir des préférences collectives qui lui sont propres. Réserver des emplois aux locaux est un choix collectif. La science économique n’a rien à dire sur ce point, elle peut juste en indiquer les conséquences éventuelles. Par définition, la préférence nationale va "aider" les locaux qui pourront accéder à des emplois dont ils n’auraient pas bénéficié sans cette loi. Mais l’impact global sur l’économie risque au final d’être négatif simplement parce que la préférence nationale ne sélectionne pas forcément les meilleurs pour un poste de travail donné. Les précautions du style "à compétence ou expérience égale" sont illusoires. Il y a très souvent des caractéristiques cachées (amabilité, prestance, sens du contact, empathie, etc.) que seul l’employeur peut observer et qui ne se reflètent pas dans les diplômes ou l’expérience."
Quel serait l'effet de l'instauration d'une assurance chômage sur un territoire qui n'en a encore aucune ?
"Les études internationales sur le sujet montrent qu’accroître les indemnités chômage et/ou la durée d’indemnisation a tendance à augmenter le chômage. Les magnitudes peuvent varier d’un pays à l’autre, mais le sens des effets est clair. Si l’on se réfère donc à nos connaissances sur le sujet, introduire une assurance chômage sur un territoire qui n’en a pas aura pour conséquence d’accroître le chômage. Néanmoins cette tendance peut être contrecarrée par l’instauration d’un accompagnent des demandeurs d’emplois et, surtout, par un système de sanctions crédibles (suppression de tout ou partie des allocations) lorsque les chômeurs ne font pas d’efforts de recherche suffisants ou rejettent les emplois qui leurs sont proposés. On trouve ce système dans les pays du nord de l’Europe comme le Danemark ou la Suède."
Comment expliquer que le taux de chômage soit si élevé en Polynésie, malgré un des PIB/habitant les plus élevés du Pacifique, sans minimas sociaux ni assurance chômage ?
"C’est vrai qu’a priori, cette situation semble paradoxale. Une explication possible est que les minimas sociaux ou l’assurance chômage ne sont qu’un aspect du fonctionnement du marché de l’emploi, et pas forcément le plus essentiel pour la Polynésie française. J’aurais tendance à privilégier un facteur très classique, à savoir le coût du travail et surtout le coût du travail pour les emplois les moins qualifiés. C’est donc la question du Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) qui m’apparaît centrale. Pour une économie qui a une productivité moindre et un PIB/tête nettement plus faible qu’en métropole, le SMIG atteint un niveau particulièrement élevé. Cela ne peut que décourager les embauches dans de nombreux secteurs et probablement dans des proportions importantes. Baisser un peu le SMIG serait une solution, mais les partenaires sociaux vont évidemment s’y opposer. Le pouvoir d’achat pourrait néanmoins être soutenu par des mesures comme la Prime d’activité qui existe en métropole et qui consiste en des transferts de l’État pour lutter contre la pauvreté. De la sorte, on pourrait ne pas alourdir le coût du travail pour les entreprises et maintenir le pouvoir d’achat des salariés peu qualifiés."
Que dit la science économique sur l'instauration par la loi d'une préférence nationale à l'embauche ?
"Chaque pays ou territoire peut avoir des préférences collectives qui lui sont propres. Réserver des emplois aux locaux est un choix collectif. La science économique n’a rien à dire sur ce point, elle peut juste en indiquer les conséquences éventuelles. Par définition, la préférence nationale va "aider" les locaux qui pourront accéder à des emplois dont ils n’auraient pas bénéficié sans cette loi. Mais l’impact global sur l’économie risque au final d’être négatif simplement parce que la préférence nationale ne sélectionne pas forcément les meilleurs pour un poste de travail donné. Les précautions du style "à compétence ou expérience égale" sont illusoires. Il y a très souvent des caractéristiques cachées (amabilité, prestance, sens du contact, empathie, etc.) que seul l’employeur peut observer et qui ne se reflètent pas dans les diplômes ou l’expérience."
Quel serait l'effet de l'instauration d'une assurance chômage sur un territoire qui n'en a encore aucune ?
"Les études internationales sur le sujet montrent qu’accroître les indemnités chômage et/ou la durée d’indemnisation a tendance à augmenter le chômage. Les magnitudes peuvent varier d’un pays à l’autre, mais le sens des effets est clair. Si l’on se réfère donc à nos connaissances sur le sujet, introduire une assurance chômage sur un territoire qui n’en a pas aura pour conséquence d’accroître le chômage. Néanmoins cette tendance peut être contrecarrée par l’instauration d’un accompagnent des demandeurs d’emplois et, surtout, par un système de sanctions crédibles (suppression de tout ou partie des allocations) lorsque les chômeurs ne font pas d’efforts de recherche suffisants ou rejettent les emplois qui leurs sont proposés. On trouve ce système dans les pays du nord de l’Europe comme le Danemark ou la Suède."
Comment expliquer que le taux de chômage soit si élevé en Polynésie, malgré un des PIB/habitant les plus élevés du Pacifique, sans minimas sociaux ni assurance chômage ?
"C’est vrai qu’a priori, cette situation semble paradoxale. Une explication possible est que les minimas sociaux ou l’assurance chômage ne sont qu’un aspect du fonctionnement du marché de l’emploi, et pas forcément le plus essentiel pour la Polynésie française. J’aurais tendance à privilégier un facteur très classique, à savoir le coût du travail et surtout le coût du travail pour les emplois les moins qualifiés. C’est donc la question du Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) qui m’apparaît centrale. Pour une économie qui a une productivité moindre et un PIB/tête nettement plus faible qu’en métropole, le SMIG atteint un niveau particulièrement élevé. Cela ne peut que décourager les embauches dans de nombreux secteurs et probablement dans des proportions importantes. Baisser un peu le SMIG serait une solution, mais les partenaires sociaux vont évidemment s’y opposer. Le pouvoir d’achat pourrait néanmoins être soutenu par des mesures comme la Prime d’activité qui existe en métropole et qui consiste en des transferts de l’État pour lutter contre la pauvreté. De la sorte, on pourrait ne pas alourdir le coût du travail pour les entreprises et maintenir le pouvoir d’achat des salariés peu qualifiés."