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Quand une universitaire américaine voit Tahiti devenir un hub du Net mondial


Les câbles sous-marins, comme Honotua, ont une importance stratégique très importante. La fibre optique qui transmet ces masses incroyables de données est pourtant épaisse comme un cheveu.
Les câbles sous-marins, comme Honotua, ont une importance stratégique très importante. La fibre optique qui transmet ces masses incroyables de données est pourtant épaisse comme un cheveu.
PAPEETE, le 20 août 2015 - Dans un livre que vient de publier une universitaire américaine sur l'organisation des câbles sous-marin de l'internet mondial, un chapitre entier est consacré aux projets de deuxième et troisième câbles polynésiens. Elle y voit une opportunité historique pour le Pays de prendre une place centrale dans la toile mondiale.


Quand une universitaire américaine voit Tahiti devenir un hub du Net mondial
Dans son livre "The Undersea Network" publié cette année par les éditions de l'Université de Duke, l'Assistant Professor of Media, Culture, and Communication at New York University, Nicole Starosielski, consacre un chapitre entier aux ambitions numériques polynésiennes dans le grand jeu mondial des câbles sous-marins.

Ces infrastructures hautement stratégiques pour le réseau, et donc l'économie mondiale, sont une aubaine particulièrement recherchée par les îles à travers le monde. L'universitaire révèle ainsi dans ce chapitre, qui a été publié sur le site Motherboard, (en anglais) que plus de la moitié des sorties des câbles sous-marins mondiaux sont situées sur des îles. Et quelques îles en particulier. Ainsi, Hong Kong et Taiwan recensent chacune plus d'arrivées de câbles que toute la Chine continentale. Trois fois plus de câbles arrivent en Sicile qu'en Italie. Dans le Pacifique, c'est Guam qui détient la palme avec dix arrivées de câbles.

La raison principalement historique : les anciennes colonies anglaises ont toujours été utilisées comme des points de passage essentiels dans l'empire britannique. C'est la facilité de les défendre militairement et de gérer leurs petites populations qui leur donnait un avantage. Mais aujourd'hui ce sont les îles elles-mêmes, du moins celles qui sont suffisamment stables politiquement et économiquement pour rassurer les investisseurs, qui se positionnent comme des points d'interconnexion incontournables entre les continents.

Et à ce jeu-là, ceux qui se positionnent bien peuvent y gagner des emplois, des ressources économiques conséquentes et un accès privilégié au réseau mondial. Ce n'est malheureusement pas le cas de Tahiti.

7GB/S UTILISÉS SUR… 640

Comme le note Nicole Starosielski, notre câble Honotua posé en 2009 est gravement sous-exploité, avec 7 Gb/s utilisés sur les 640 Gb/s potentiels. Elle avance plusieurs explications : une adoption faible à cause de coûts d'accès très élevés (elle les estime entre 70 et 180 dollars par mois), et bien sûr l'effet "cul-de-sac numérique" causé par l'absence d'un deuxième câble.

Dans son livre, l'universitaire cite Teva Rohfritch, notre ministre du développement numérique : "le gouvernement polynésien est très sérieusement en train d'étudier les possibilités d'une nouvelle connexion de son territoire avec les marchés les plus pertinents, dans la région Asie-Pacifique et l'Amérique latine".

Une vision saluée dans le livre, qui assure que de "gagner une entrée dans le club d'élite des îles hubs de télécommunication – Guam, Puerto Rico et Chypres, les nodules qui connectent le stupéfiant réseau de câbles sous-marins mondial – la propulserait sur le devant de la scène planétaire."

Au moins un autre câble permettrait de partager le trafic avec les internautes polynésiens, et le Pays pourrait même offrir les capacités libres de Honotua en échange de sa construction. Les entreprises de télécommunication auraient enfin une bonne raison de faire passer leurs projets de câbles par Tahiti, et toute une industrie technologique pourrait émerger.

POUR LES CHINOIS, ÉVITER LA NSA

D'autant que le plan potentiel le plus réaliste passerait par des capitaux chinois, "ce qui accompagnerait les investissements chinois en Amérique du Sud comme en Polynésie, et ne se baserait pas sur des liens coloniaux mais sur la puissance économique montante."


Pour l'auteur, "établir un nouveau hub dans le Pacifique, hors des Etats-Unis, serait bénéfique pour le réseau dans son ensemble, en particulier en connaissant les pratiques d'espionnage de la NSA et la difficulté bien connue de faire atterrir des câbles sur le sol américain. Le réseau sous-marin a besoin de routes plus diversifiées, autrement des catastrophes comme le tremblement de terre de Hengchung en 2006, les pirates au large du Vietnam ou une vieille femme qui creuse dans son jardin en Géorgie peuvent simplement couper le réseau."

UNE PRIME AUX HUBS EXISTANTS

L'universitaire pointe tout de même une grosse difficulté : l'industrie des télécoms et les banques ne soutiennent pas, en général, des projets comme le nôtre. Ils "ont tendance à rester sur des projets testés et approuvés, ce qui explique pourquoi les câbles continuent d'affluer vers Guam, Puerto Rico et Chypres". Et Hawaii, donc.

L'autre handicap est de compter sur les Chinois, qui ont un énorme retard sur leur infrastructure en fibres optiques sous-marines. D'autant que la France et les États-Unis pourraient mettre leur veto à un projet chinois si stratégique passant par Tahiti… Mais Nicole Starosielski continue de nous encourager : "Les officiels de Tahiti ont raison d'être prudents sur leurs déclarations, mais les signes montrent que l'ancien équilibre des pouvoirs dans le réseau de l'information mondial est peut-être mûr pour un chamboulement."

Les Chiliens abandonnent Tahiti au profit de Hawaii

Très intéressé par l'idée d'un câble Amérique du Sud – Australie passant par Tahiti et l'Île de Pâques, les Chiliens ont été plusieurs fois refroidis par l'attitude des différents gouvernements polynésiens. Encore ouverts à la discussion il y a deux ans, aucune négociation n'a été ouverte avec eux.

C'est donc vers un projet concurrent et un hub plus accueillant dans le Pacifique – Hawaii – qu'ils ont tourné leurs investissements. Le "Sistema de América del Sur del Pacífico Link" (SAPL) est un câble qui sera posé par Alcatel-Lucent et qui ira de Santiago à Hawaii, en passant par le Panama. Ce câble de 14 200 km pourra aussi recevoir des branches pour alimenter le Pérou, l'Équateur et Big Island à Hawaii.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 20 Août 2015 à 14:12 | Lu 4618 fois