Tahiti, le 30 janvier 2024 – Pour Edgard Sommers, numéro 2 de FO, syndicat le plus représentatif des fonctionnaires d'Etat en Polynésie, l'annonce du député Le Gayic du dépôt d'une proposition de loi à l'Assemblée nationale visant à supprimer la prime d'éloignement octroyée aux agents de l'Etat affectés en Polynésie, "ne va pas dans le bon sens" et relève du "populisme". Interview.
Vous êtes le numéro 2 de FO en Polynésie, vous êtes polynésien et fonctionnaire d'Etat travaillant au service des Douanes... comment réagissez-vous à la proposition du député Tematai Le Gayic qui reprend celle qu'avait déjà faite la sénatrice Lana Tetuanui en 2022 de supprimer la prime d'éloignement pour les fonctionnaires d'Etat mutés ici ?
A titre personnel, je pense que c'est un faux débat. Aujourd'hui je lisais les propos tenus par le député Le Gayic. Il évoque certaines choses qui sont antinomiques. D'un côté, il demande la suppression de cette indemnité d'éloignement au prétexte qu'il veut, entre guillemets, éviter que des métropolitains puissent venir sur le territoire, et de l'autre côté, il demande la réciprocité. Je crois qu'on ne peut pas demander tout et son contraire. Effectivement il y a un débat sur cette indemnité d'éloignement. Mais pas pour la supprimer. Ce que les organisations syndicales locales ont toujours demandé - d'ailleurs c'était le message qu'on avait passé à l'époque à Lana Tetuanui - , c'est de l'étendre au contraire aux fonctionnaires polynésiens qui souhaiteraient s'expatrier en métropole pour poursuivre leur carrière pour des raisons diverses et variées. Aujourd'hui, demander la suppression, ce n'est pas logique pour nous.
Sur cette réciprocité, le député expliquait hier qu'elle n'était pas possible car la réponse que lui aurait opposé Bercy est que ce n'est pas le fonctionnaire en tant que personne qui est concerné par cette prime mais plutôt le territoire...
Non l'indemnité n'est pas octroyée au territoire. Elle est propre à chaque territoire, mais elle est affectée à du personnel qui ne doit pas avoir son centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) dans le territoire dans lequel ils vont servir. C'est simplement ça. Il y a plusieurs conditions pour pouvoir bénéficier de cette indemnité d'éloignement. Ce que l'on souhaite, nous, c'est que les Polynésiens qui veulent dérouler une carrière en métropole pour progresser au sein de l'administration et évoluer dans leur carrière, puissent obtenir, au même titre que les collègues qui viennent ici, une indemnité d'éloignement. Ça leur permettra de pouvoir assurer les besoins qu'ils auront en métropole, d'autant qu'ils perdent leur indexation là-bas. Mais ils pourront aussi continuer à soutenir la famille qui reste en Polynésie et assurer les éventuelles dépenses qu'ils ont ici comme des crédits par exemple. Je crois que le nivellement par le bas n'est pas la meilleure solution.
Au-delà de l'équité de traitement, ce que vous dites finalement c'est que cette mobilité est un outil qui permet aux Polynésiens d'évoluer dans leur carrière car sinon, ils stagnent au même niveau ?
Tout à fait, c'est un frein ! Et aujourd'hui, ce n'est pas en disant on stoppe tout et on va vivre en autarcie qu'on va y arriver. Non. Je pense que ce discours est un discours populiste. Effectivement ça doit faire plaisir à certaines personnes. Mais cela ne répond pas à une logique productive. Oui on peut dire que l'on n'aura jamais la réciprocité. Mais bien évidemment si on ne la demande pas ! C'est en effectuant diverses demandes, au fil du temps, et en apportant un chiffrage qu'on pourra éventuellement permettre aux Polynésiens, mais aussi aux autres fonctionnaires dans les autres territoires, d'avoir cette réciprocité. Parce qu'encore une fois, si on supprime l'indemnité d'éloignement dans notre territoire, vous ne pensez pas que cela fera boule de neige derrière ? Si ça ne se justifie pas en Polynésie, pourquoi cela se justifierait-il en Nouvelle-Calédonie, à Wallis et Futuna ?
Les Polynésiens passent et réussissent de plus en plus les concours de la fonction publique que ce soit dans l'éducation, dans la police, aux douanes...Si on se base sur les chiffres avancés par les syndicats, 85% des fonctionnaires d'Etat sont donc Polynésiens aujourd'hui (et ne touchent donc pas cette prime puisqu'ils ont leur CIMM ici). Autrement dit, cette indemnité ne concerne finalement que 15 % d'"expats" métropolitains, c'est bien ça ?
C'est totalement à la marge oui. Effectivement le chiffre de 85% est le chiffre avancé à l'heure actuelle. Mais ce chiffre est évolutif et il faut savoir qu'à terme, justement, tous les postes en Polynésie seront occupés par des Polynésiens. Et donc, de facto, cette prime d'éloignement ne sera plus versée. En revanche, si on atteint 100% des fonctionnaires qui ont leur CIMM en Polynésie et que l'on obtient la réciprocité, ça permettra à ces fonctionnaires de pouvoir aller en métropole pour progresser et revenir ensuite sur le territoire avec une aide substantielle qui leur sera versée par l'Etat.
Est-ce que cela n'aurait pas un effet pervers de faire fuir nos matières grises vers la métropole en prenant le risque qu'ils ne veuillent pas revenir travailler ici ?
Je ne pense pas que cela soit la volonté des fonctionnaires qui servent ici. Effectivement, certains vont s'expatrier et découvrir que la métropole ou un autre territoire leur convient davantage, mais en définitive, la majeure partie des fonctionnaires polynésiens qui ont leur CIMM ici veulent revenir. Ils ont leurs familles, donc le but du jeu ce n'est pas forcément de pouvoir accéder à des responsabilités d'un autre niveau pour ne pas rentrer après. Quand bien même ça serait le cas, à mon avis ce serait à la marge.
Avez-vous ou allez-vous rencontrer Tematai Le Gayic pour aborder ce sujet et lui demander de plutôt se battre pour obtenir cette fameuse réciprocité ?
Je trouve un peu dommage, dans la démarche justement, que l'on n'ait pas pu avoir au préalable, une rencontre avec monsieur Le Gayic. Je pense que nul n'a la science infuse et que la discussion et l'échange peuvent contribuer à développer des idées qui vont permettre à chacun de retrouver ses petits. Là, aujourd'hui on nous met devant le fait accompli. Discuter pour quoi ? Ça y est la proposition de loi est déposée. C'est un peu dommage qu'on n'ait pas pris le temps de discuter pour essayer d'envisager un futur qui puisse répondre aux besoins de tout le monde. Mais c'est avec plaisir que je le rencontrerai et que je lui expliquerai que sa démarche ne va pas dans le bon sens, et surtout dans celui des Polynésiens et de la Polynésie.
Vous êtes le numéro 2 de FO en Polynésie, vous êtes polynésien et fonctionnaire d'Etat travaillant au service des Douanes... comment réagissez-vous à la proposition du député Tematai Le Gayic qui reprend celle qu'avait déjà faite la sénatrice Lana Tetuanui en 2022 de supprimer la prime d'éloignement pour les fonctionnaires d'Etat mutés ici ?
A titre personnel, je pense que c'est un faux débat. Aujourd'hui je lisais les propos tenus par le député Le Gayic. Il évoque certaines choses qui sont antinomiques. D'un côté, il demande la suppression de cette indemnité d'éloignement au prétexte qu'il veut, entre guillemets, éviter que des métropolitains puissent venir sur le territoire, et de l'autre côté, il demande la réciprocité. Je crois qu'on ne peut pas demander tout et son contraire. Effectivement il y a un débat sur cette indemnité d'éloignement. Mais pas pour la supprimer. Ce que les organisations syndicales locales ont toujours demandé - d'ailleurs c'était le message qu'on avait passé à l'époque à Lana Tetuanui - , c'est de l'étendre au contraire aux fonctionnaires polynésiens qui souhaiteraient s'expatrier en métropole pour poursuivre leur carrière pour des raisons diverses et variées. Aujourd'hui, demander la suppression, ce n'est pas logique pour nous.
Sur cette réciprocité, le député expliquait hier qu'elle n'était pas possible car la réponse que lui aurait opposé Bercy est que ce n'est pas le fonctionnaire en tant que personne qui est concerné par cette prime mais plutôt le territoire...
Non l'indemnité n'est pas octroyée au territoire. Elle est propre à chaque territoire, mais elle est affectée à du personnel qui ne doit pas avoir son centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) dans le territoire dans lequel ils vont servir. C'est simplement ça. Il y a plusieurs conditions pour pouvoir bénéficier de cette indemnité d'éloignement. Ce que l'on souhaite, nous, c'est que les Polynésiens qui veulent dérouler une carrière en métropole pour progresser au sein de l'administration et évoluer dans leur carrière, puissent obtenir, au même titre que les collègues qui viennent ici, une indemnité d'éloignement. Ça leur permettra de pouvoir assurer les besoins qu'ils auront en métropole, d'autant qu'ils perdent leur indexation là-bas. Mais ils pourront aussi continuer à soutenir la famille qui reste en Polynésie et assurer les éventuelles dépenses qu'ils ont ici comme des crédits par exemple. Je crois que le nivellement par le bas n'est pas la meilleure solution.
Au-delà de l'équité de traitement, ce que vous dites finalement c'est que cette mobilité est un outil qui permet aux Polynésiens d'évoluer dans leur carrière car sinon, ils stagnent au même niveau ?
Tout à fait, c'est un frein ! Et aujourd'hui, ce n'est pas en disant on stoppe tout et on va vivre en autarcie qu'on va y arriver. Non. Je pense que ce discours est un discours populiste. Effectivement ça doit faire plaisir à certaines personnes. Mais cela ne répond pas à une logique productive. Oui on peut dire que l'on n'aura jamais la réciprocité. Mais bien évidemment si on ne la demande pas ! C'est en effectuant diverses demandes, au fil du temps, et en apportant un chiffrage qu'on pourra éventuellement permettre aux Polynésiens, mais aussi aux autres fonctionnaires dans les autres territoires, d'avoir cette réciprocité. Parce qu'encore une fois, si on supprime l'indemnité d'éloignement dans notre territoire, vous ne pensez pas que cela fera boule de neige derrière ? Si ça ne se justifie pas en Polynésie, pourquoi cela se justifierait-il en Nouvelle-Calédonie, à Wallis et Futuna ?
Les Polynésiens passent et réussissent de plus en plus les concours de la fonction publique que ce soit dans l'éducation, dans la police, aux douanes...Si on se base sur les chiffres avancés par les syndicats, 85% des fonctionnaires d'Etat sont donc Polynésiens aujourd'hui (et ne touchent donc pas cette prime puisqu'ils ont leur CIMM ici). Autrement dit, cette indemnité ne concerne finalement que 15 % d'"expats" métropolitains, c'est bien ça ?
C'est totalement à la marge oui. Effectivement le chiffre de 85% est le chiffre avancé à l'heure actuelle. Mais ce chiffre est évolutif et il faut savoir qu'à terme, justement, tous les postes en Polynésie seront occupés par des Polynésiens. Et donc, de facto, cette prime d'éloignement ne sera plus versée. En revanche, si on atteint 100% des fonctionnaires qui ont leur CIMM en Polynésie et que l'on obtient la réciprocité, ça permettra à ces fonctionnaires de pouvoir aller en métropole pour progresser et revenir ensuite sur le territoire avec une aide substantielle qui leur sera versée par l'Etat.
Est-ce que cela n'aurait pas un effet pervers de faire fuir nos matières grises vers la métropole en prenant le risque qu'ils ne veuillent pas revenir travailler ici ?
Je ne pense pas que cela soit la volonté des fonctionnaires qui servent ici. Effectivement, certains vont s'expatrier et découvrir que la métropole ou un autre territoire leur convient davantage, mais en définitive, la majeure partie des fonctionnaires polynésiens qui ont leur CIMM ici veulent revenir. Ils ont leurs familles, donc le but du jeu ce n'est pas forcément de pouvoir accéder à des responsabilités d'un autre niveau pour ne pas rentrer après. Quand bien même ça serait le cas, à mon avis ce serait à la marge.
Avez-vous ou allez-vous rencontrer Tematai Le Gayic pour aborder ce sujet et lui demander de plutôt se battre pour obtenir cette fameuse réciprocité ?
Je trouve un peu dommage, dans la démarche justement, que l'on n'ait pas pu avoir au préalable, une rencontre avec monsieur Le Gayic. Je pense que nul n'a la science infuse et que la discussion et l'échange peuvent contribuer à développer des idées qui vont permettre à chacun de retrouver ses petits. Là, aujourd'hui on nous met devant le fait accompli. Discuter pour quoi ? Ça y est la proposition de loi est déposée. C'est un peu dommage qu'on n'ait pas pris le temps de discuter pour essayer d'envisager un futur qui puisse répondre aux besoins de tout le monde. Mais c'est avec plaisir que je le rencontrerai et que je lui expliquerai que sa démarche ne va pas dans le bon sens, et surtout dans celui des Polynésiens et de la Polynésie.