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Pour les propriétaires fonciers expropriés, la route de déviation Piki Vehine ne passe pas


© Mariannick Haiti
© Mariannick Haiti
Tahiti, le 24 avril 2023 – Une ancienne propriétaire foncière de Taiohae, à Nuku Hiva, s'indigne de son expropriation ainsi que de celle de trois autres propriétaires voisins, pour réaliser une route de déviation afin de rendre piétonne celle qui longe le paepae Piki Vehine. Son expropriation pour “utilité publique” lui a été notifiée en 2017, mais s'en est suivie une longue bataille judiciaire. En vain. Les travaux de construction de la nouvelle route ont débuté en mars dernier.
 
Dans le village de Taiohae, à Nuka Hiva, aux Marquises, le site du paepae Piki Vehine est un vestige de l'histoire culturelle de l'île, situé entre le bord de mer et une petite colline qui surplombe la baie. Le Pays, soutenu dans le projet par la commune de Nuku Hiva, a décidé de faire de la route qui longe le marae une voie piétonne. Pour cela, des travaux ont été entrepris pour la réalisation d'une route de déviation, en parallèle de la route existante. Cette nouvelle route, creusée dans la colline, a nécessité l'expropriation des propriétaires de quatre terrains. Mariannick Haiti, l'une des anciennes propriétaires, ne décolère pas. Aujourd'hui, elle dénonce “l'utilité publique” de ces expropriations qui, selon elle, n'est pas justifiée, persuadée qu'il existait d'autres possibilités pour construire une route. “Ils ont défoncé une colline pour tracer une route parallèle à la route de ceinture pour pouvoir faire une voie piétonne. Donc quatre expropriations, presque 200 millions de Fcfp de travaux, pour faire ça : avoir 100 m de piétonne qui longe le marae de Piki Vehine, qui n'est même pas entretenu tout le long de l'année, juste pour avoir une petite route piétonne pour le Festival des arts.” De son côté, Benoît Kautai, le maire de Nuku Hiva, explique les raisons qui ont poussé le Pays à construire cette route de déviation. Il relativise : “La route actuelle passe au milieu d'un site archéologique, à un mètre du paepae de la reine Vaekehu. En plus, nous avons un projet d'agrandissement de la plateforme où va se dérouler le prochain Festival des Marquises.”
 
Mais, pour Mariannick, son expropriation est d'autant plus difficile à admettre qu'elle explique qu'aux Marquises, 80% des terres sont présumées domaniales. “Le gouvernement possède 80% des terres et ils viennent nous ennuyer sur les quelques terrains privés qu'il y a”, s'offusque-t-elle. De plus, selon elle, la destruction de la colline a également des conséquences environnementales, puisqu'il s'agirait d'une zone tampon.

Une longue procédure judiciaire

La procédure d'expropriation remonte à 2017 avec un arrêté pris en conseil des ministres au mois de septembre, portant déclaration d’utilité publique le projet de déviation routière de Piki Vehine. “Je n’ai jamais été contactée par l’administration du Pays, ni par le maire de Nuku Hiva", souligne Mariannick qui parle de “mépris” et d'“absence de communication”. Benoît Kautai indique pour sa part qu'une seule famille a cherché à le rencontrer dans le cadre de ce projet. Pour Mariannick, débute alors un long combat. “Mais c'est très difficile de contester une expropriation pour utilité publique.” Les futurs expropriés ont d'abord été invités à déposer leurs observations sur ce projet de déviation routière. Le projet de déviation de route de Piki Vehine ne date pas d'aujourd'hui. Il y a des règles à respecter, il y a eu une enquête commodo et incommodo. On a recueilli les avis de la population et des propriétaires, mais il y a très peu d'observations venant des propriétaires”, indique Benoît Kautai. Mariannick, elle, a fait des observations, “mais les observations, on n'en tient jamais compte”, déplore-t-elle. L'ordonnance d’expropriation a été déclarée par le tribunal administratif en novembre 2017, puis le montant des indemnités a été fixé à 5 000 Fcfp le mètre carré. Mariannick estime que ce montant est la moitié de la valeur réelle des terrains, ces derniers étant constructibles et idéalement situés. “Cette petite colline, elle était magnifique. La vue était exceptionnelle à 360° sur toute la baie. Le marae est juste en bas, donc pendant les festivités, tu es aux premières loges. Là, ils ont coupé la colline par le milieu.”
 
Mariannick fera ensuite appel du jugement en janvier 2021 pour contester l’expropriation et le montant de l’indemnité. Le jugement est confirmé un an plus tard. Le tribunal accepte en revanche que l'ensemble de la surface de la parcelle soit racheté par le Pays, l'expropriation initiale laissant à Mariannick et ses deux frères “deux bandes de 150 m2 chacune”. Elle décide ensuite de porter l'affaire en cassation, mais face à la lourdeur et au coût de la procédure, elle se résigne à abandonner. Si elle a reçu de nombreux courriers en recommandé pour la prévenir qu'elle pouvait aller retirer ses indemnités, elle a toujours refusé de le faire. “C'est pour leur signifier qu'on n'est pas du tout d'accord avec ce projet.” Aujourd'hui, elle sait qu'elle “lance un pavé dans la mare” en faisant part de son indignation, l'expropriation étant officiellement actée et les travaux ayant débuté le 8 mars dernier. Ces derniers doivent durer neuf mois pour que la voie piétonne soit prête pour le prochain Festival des îles Marquises qui se tiendra cette année du 16 au 20 décembre à Nuku Hiva.
Pour réaliser la route de déviation, la colline a été entièrement creusée. © Mariannick Haiti
Pour réaliser la route de déviation, la colline a été entièrement creusée. © Mariannick Haiti

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Lundi 24 Avril 2023 à 14:22 | Lu 3972 fois