PACIFIQUE, le 7 novembre 2019 - Le jade est une pierre mal connue en Occident où elle est assez peu appréciée des joailliers comme des lapidaires. Dans le bassin du Pacifique, élevée au rang de gemme, elle est en revanche beaucoup plus recherchée ; culturellement, sa production et son utilisation se répartissent autour de trois aires formant un singulier triangle culturel, le Guatemala, la Chine (et la Birmanie) et enfin la Nouvelle-Zélande. Avec trois capitales, Hong Kong, Auckland et Antigua...
Un superbe hei tiki de Nouvelle-Zélande. La pierre est originaire non pas de l’île du Sud, mais de Colombie britannique, sur la côte Pacifique du Canada.
Les gisements de jade forment un triangle sur la planisphère : Asie du Sud-Est (Birmanie et Chine essentiellement), Nouvelle-Zélande et Guatemala. Les Chinois ont toujours été friands de cette pierre (jadéite de Birmanie et néphrite de Chine), les Maoris en ont fait la pierre sacrée de Aotearoa (la pounamu), tandis que les Mayas la préféraient de loin à l'or. Trois villes permettent aujourd'hui de mieux connaître le jade, Hong Kong, Auckland et Antigua. En route pour une balade sans autre prétention que de vous inciter, à votre tour, à boucler votre valise...
Hong Kong, la ville verte
À Hong Kong, le visiteur est frappé par l'abondance extraordinaire du jade dans les vitrines des joailleries. Nulle part ailleurs sur la planète, il n'est possible d'admirer autant de pièces exposées à la convoitise des acheteurs. Ceux-ci sont nombreux dans l'ex-joyau de la couronne britannique, alors que dans la rue ou les transports en commun, il est bien rare de voir autour du cou des Chinoises et des Chinois des pièces valant plus de cent euros. Où vont les Bouddhas de jade impérial massifs, pesant près d'un kilo et vendus plus de vingt millions de Fcfp ? Nul ne le sait. Où vont les colliers de perles d'un vert émeraude parfait à douze millions de Fcfp ? Ce n'est en tout cas pas dans les rues de la ville chinoise que nous trouverons réponse à ces questions. Une certitude toutefois : il y a un énorme marché du jade birman (la vraie jadéite), un tout aussi énorme marché du jade chinois (la néphrite, souvent multicolore) et aussi un prospère marché du … faux jade.
Les terribles secousses politiques qu'a connues la Chine au cours du XXe siècle ne permettent plus d'admirer les collections impériales de jade accumulées par les maîtres de l'Empire du Milieu. De nombreuses pièces ont été volées, perdues, dispersées, le général Tchang Kai Chek en ayant pour sa part emporté à Formose (devenue Taïwan) des quantités importantes, aujourd'hui exposées à Taipei. Il convient de garder à l'esprit que le jade est plus qu'une pierre pour les Chinois. Elle est une sorte d'assurance contre tous les risques de la vie. La couleur verte était réservée à l'empereur, dit-on, la jaune à l'impératrice et les autres aux mandarins. Néphrite et jadéite ont toujours été des éléments intégrés à la vie des Chinois qui sont passés maîtres dans l'art de les sculpter.
Aujourd'hui encore, ils sont acheteurs de la majorité de la jadéite produite en Birmanie et commercialisée lors des ventes aux enchères à Rangoon. Ne comparez jamais la relation "jade et Chinois" au diamant chez les Occidentaux. Cette relation est quasi fusionnelle entre la pierre et les Chinois et d'ailleurs, le jade est porté aussi bien par les hommes que par les femmes.
Les terribles secousses politiques qu'a connues la Chine au cours du XXe siècle ne permettent plus d'admirer les collections impériales de jade accumulées par les maîtres de l'Empire du Milieu. De nombreuses pièces ont été volées, perdues, dispersées, le général Tchang Kai Chek en ayant pour sa part emporté à Formose (devenue Taïwan) des quantités importantes, aujourd'hui exposées à Taipei. Il convient de garder à l'esprit que le jade est plus qu'une pierre pour les Chinois. Elle est une sorte d'assurance contre tous les risques de la vie. La couleur verte était réservée à l'empereur, dit-on, la jaune à l'impératrice et les autres aux mandarins. Néphrite et jadéite ont toujours été des éléments intégrés à la vie des Chinois qui sont passés maîtres dans l'art de les sculpter.
Aujourd'hui encore, ils sont acheteurs de la majorité de la jadéite produite en Birmanie et commercialisée lors des ventes aux enchères à Rangoon. Ne comparez jamais la relation "jade et Chinois" au diamant chez les Occidentaux. Cette relation est quasi fusionnelle entre la pierre et les Chinois et d'ailleurs, le jade est porté aussi bien par les hommes que par les femmes.
Auckland, le "tabu" maori
Auckland est devenue aujourd’hui le premier marché du jade néo-zélandais, acheté au Canada mais travaillé en Nouvelle-Zélande.
Si le jade néo-zélandais était, il y a encore quelques années, récolté essentiellement dans l'île du sud et travaillé sur place (à Okitita notamment), la capitale du jade en Nouvelle-Zélande est aujourd'hui, sans conteste possible, la ville d'Auckland. Pour deux raisons fondamentales ; le tourisme d'abord (c'est là que débarquent la plupart des visiteurs de la double île des antipodes) et le tabu que les tribus maories font peser sur le jade des rivières et des plages de la façade ouest de l'île du Sud.
Depuis une dizaine d'années, la récolte, qui s'effectuait en remontant le lit des cours d'eau descendant des Alpes du Sud (un hélicoptère embarquait les nodules rassemblés par les chercheurs), a été presque totalement interrompue, à la demande des Maoris qui ont obtenu, par des lois surprenantes, d'être propriétaires d'à peu près tout le sous-sol néo-zélandais et même de toutes ses richesses marines. Concrètement, récolte et prospection sont interdites et le jade "maori" est donc de nos jours importé directement, par pleins containers, de la Colombie britannique, au nord-ouest du Canada.
Ce secret bien gardé, les Néo-Zélandais ne tiennent pas vraiment à ce qu'il soit divulgué outre mesure. Le renouveau culturel, la tendance "tribale", le retour aux temps anciens ont remis à la mode plusieurs coutumes maories, dont les tatouages (parfois faciaux, les fameux "moko") et le port du jade, la plupart du temps sculpté en forme d'hameçon ou de fougère. Des éléments qui permettent une infinité de déclinaisons de motifs, tous plus "authentiques" les uns que les autres. Même si leur jade est canadien, n'enlevons pas aux sculpteurs néo-zélandais leur savoir-faire, bien supérieur aujourd'hui à ce que fut celui des Maoris. Ceux-ci, en effet, envahirent aux alentours du Xe siècle ce qui devint la Nouvelle-Zélande à partir des îles de l'actuelle Polynésie française. Jusqu'à la colonisation, à partir du XVIIIe siècle, ces Polynésiens n'eurent que sept à huit siècles pour apprendre à maîtriser -sans outils sophistiqués- les problèmes techniques posés par la dureté de la néphrite, ce qui fait que leur art ne peut en aucun cas être comparé, sur le plan de la finesse, à ce que firent pendant plus de cinq mille ans les Chinois.
Depuis une dizaine d'années, la récolte, qui s'effectuait en remontant le lit des cours d'eau descendant des Alpes du Sud (un hélicoptère embarquait les nodules rassemblés par les chercheurs), a été presque totalement interrompue, à la demande des Maoris qui ont obtenu, par des lois surprenantes, d'être propriétaires d'à peu près tout le sous-sol néo-zélandais et même de toutes ses richesses marines. Concrètement, récolte et prospection sont interdites et le jade "maori" est donc de nos jours importé directement, par pleins containers, de la Colombie britannique, au nord-ouest du Canada.
Ce secret bien gardé, les Néo-Zélandais ne tiennent pas vraiment à ce qu'il soit divulgué outre mesure. Le renouveau culturel, la tendance "tribale", le retour aux temps anciens ont remis à la mode plusieurs coutumes maories, dont les tatouages (parfois faciaux, les fameux "moko") et le port du jade, la plupart du temps sculpté en forme d'hameçon ou de fougère. Des éléments qui permettent une infinité de déclinaisons de motifs, tous plus "authentiques" les uns que les autres. Même si leur jade est canadien, n'enlevons pas aux sculpteurs néo-zélandais leur savoir-faire, bien supérieur aujourd'hui à ce que fut celui des Maoris. Ceux-ci, en effet, envahirent aux alentours du Xe siècle ce qui devint la Nouvelle-Zélande à partir des îles de l'actuelle Polynésie française. Jusqu'à la colonisation, à partir du XVIIIe siècle, ces Polynésiens n'eurent que sept à huit siècles pour apprendre à maîtriser -sans outils sophistiqués- les problèmes techniques posés par la dureté de la néphrite, ce qui fait que leur art ne peut en aucun cas être comparé, sur le plan de la finesse, à ce que firent pendant plus de cinq mille ans les Chinois.
Antigua : la renaissance maya
Enfin au Guatemala, c'est dans la ville d'Antigua, l'ancienne capitale du pays, que vous pourrez retrouver la fièvre qui agitait le monde maya lorsque des centaines de sculpteurs travaillaient les bijoux en jadéite portés par les rois et censés les accompagner dans l'au-delà.
Personne, à l’heure actuelle, ne sait encore pourquoi les immenses cités États de cette nation ont disparu aux alentours du IXe siècle : Palenque, Tikal, Copan, Quirigua… On peut pourtant facilement, aujourd’hui, se replonger dans la mythologie maya grâce au travail remarquable d’un certain nombre de fabriques installées dans la cité d’Antigua. Des artisans, des artistes même, reconstituent patiemment tout le panthéon maya en travaillant le jade (grâce à un spécialiste belge, Pierre de Vaux, qui forma des ouvriers locaux dès 1970).
Dans le monde maya, la pierre verte était bien plus précieuse que l’or ; les Mayas considéraient que le jade était sacré. Ils en extrayaient principalement de l’actuelle Sierra de Las Minas, massif montagneux qui domine la “carretera el Atlantico”, la route qui relie les Caraïbes à Guatemala Cuidad.
Le mot de mine est sans doute bien exagéré pour parler de ces simples carrières à ciel ouvert où les Mayas extrayaient leur jade. Après la disparition de leur civilisation et, plus tard, l’arrivée des conquistadores, l’origine du jade maya (qu’appréciaient tout autant les Aztèques) se perdit. Il fallut attendre des fouilles dans les années 1950 pour que les sites soient retrouvés et que renaisse une industrie de la jadéite au Guatemala.
Bien entendu, les artisans d’aujourd’hui utilisent des matériels modernes (des scies à diamant notamment) mais, comble de l’ironie, il y a des pièces anciennes, fabriquées à la main, que l’on est toujours dans l’incapacité de reproduire tant elles sont complexes. Les orfèvres et artistes sculpteurs Mayas ont emporté dans la tombe leurs secrets de fabrication. Rien qu’en ponçage, on estime que certains objets nécessitaient cinq à dix ans de travail. Aujourd’hui, il ne faut plus que quelques jours, pour ceux que l’on sait reproduire...
Personne, à l’heure actuelle, ne sait encore pourquoi les immenses cités États de cette nation ont disparu aux alentours du IXe siècle : Palenque, Tikal, Copan, Quirigua… On peut pourtant facilement, aujourd’hui, se replonger dans la mythologie maya grâce au travail remarquable d’un certain nombre de fabriques installées dans la cité d’Antigua. Des artisans, des artistes même, reconstituent patiemment tout le panthéon maya en travaillant le jade (grâce à un spécialiste belge, Pierre de Vaux, qui forma des ouvriers locaux dès 1970).
Dans le monde maya, la pierre verte était bien plus précieuse que l’or ; les Mayas considéraient que le jade était sacré. Ils en extrayaient principalement de l’actuelle Sierra de Las Minas, massif montagneux qui domine la “carretera el Atlantico”, la route qui relie les Caraïbes à Guatemala Cuidad.
Le mot de mine est sans doute bien exagéré pour parler de ces simples carrières à ciel ouvert où les Mayas extrayaient leur jade. Après la disparition de leur civilisation et, plus tard, l’arrivée des conquistadores, l’origine du jade maya (qu’appréciaient tout autant les Aztèques) se perdit. Il fallut attendre des fouilles dans les années 1950 pour que les sites soient retrouvés et que renaisse une industrie de la jadéite au Guatemala.
Bien entendu, les artisans d’aujourd’hui utilisent des matériels modernes (des scies à diamant notamment) mais, comble de l’ironie, il y a des pièces anciennes, fabriquées à la main, que l’on est toujours dans l’incapacité de reproduire tant elles sont complexes. Les orfèvres et artistes sculpteurs Mayas ont emporté dans la tombe leurs secrets de fabrication. Rien qu’en ponçage, on estime que certains objets nécessitaient cinq à dix ans de travail. Aujourd’hui, il ne faut plus que quelques jours, pour ceux que l’on sait reproduire...
Le silex devenu gemme…
Hongkong, Auckland, Antigua : vous avez la tête qui tourne ? Au-delà du grand voyage, au-delà des destinations exotiques, le jade nous semblait mériter un tel pèlerinage. Aucune pierre n'est plus liée à l'homme que celle-ci. À la fois outils, objets cultuels, bijoux, les jades (néphrite ou jadéite) ont suscité, partout où le chemin de l'homme les a croisés, le même engouement, la même fascination. Un peu comme si, en Occident, depuis la Préhistoire, celle des pierres taillées et polies, le silex était devenu la plus recherchée des gemmes. Le jade le fut et l'est resté pour les Chinois, les Maoris et les Mayas et son retour en force aujourd'hui sur les devantures des bijouteries les plus luxueuses le prouve. À vous de vous laisser tenter...
Jadéite et néphrite
Il y a deux types de pierres qui, une fois travaillées, sont appelées « jade » : la néphrite et la jadéite.
La néphrite se trouve essentiellement en Chine et en Nouvelle-Zélande, tandis que la jadéite est produite au Guatemala et surtout en Birmanie (l’Europe, au Néolithique, exploita des gisements de jadéite dans les Alpes). Pure, la jadéite est transparente et incolore, ce sont des oxydes qui la rendent translucides et qui la colorent.
L’autre très gros producteur de néphrite est la Colombie britannique, sur la côte Pacifique du Canada ; les gisements, alors que ceux de Nouvelle-Zélande sont quasiment taris, connaissent un développement spectaculaire, le jade maori, nous l’avons dit, étant donc en réalité originaire aujourd’hui du Canada.
La néphrite (du grec « nephros », rein) était supposée soulager les douleurs et les maladies des reins, d’où son appellation.
Ce n’est qu’en 1863 qu’un géologue averti, Alexis Damour, fit la différence entre la précieuse jadéite birmane et la néphrite chinoise.
La néphrite se trouve essentiellement en Chine et en Nouvelle-Zélande, tandis que la jadéite est produite au Guatemala et surtout en Birmanie (l’Europe, au Néolithique, exploita des gisements de jadéite dans les Alpes). Pure, la jadéite est transparente et incolore, ce sont des oxydes qui la rendent translucides et qui la colorent.
L’autre très gros producteur de néphrite est la Colombie britannique, sur la côte Pacifique du Canada ; les gisements, alors que ceux de Nouvelle-Zélande sont quasiment taris, connaissent un développement spectaculaire, le jade maori, nous l’avons dit, étant donc en réalité originaire aujourd’hui du Canada.
La néphrite (du grec « nephros », rein) était supposée soulager les douleurs et les maladies des reins, d’où son appellation.
Ce n’est qu’en 1863 qu’un géologue averti, Alexis Damour, fit la différence entre la précieuse jadéite birmane et la néphrite chinoise.
- le jade néphrite est un silicate de calcium et magnésium du groupe des amphiboles, assez commun (formule chimique : Ca2(Mg, Fe)5((OH,F)Si4O11)2
- le jade jadéite, un silicate de sodium et aluminium du groupe des pyroxènes, est plus dur, plus dense, plus rare et il est considéré comme plus précieux (formule chimique : NaAl(Si2O6)
- Il existe un troisième minéral dans la famille des jades, le kosmochlor, très proche de la jadéite (originaire de météorites).
Multicolore
Une ancienne pièce de jade bicolore de la maison impériale chinoise, blanc (teinté de jaune) et vert « impérial ».
On associe la plupart du temps les jades à des pierres vertes. C’est à la fois exact et à la fois faux, car si le jade vert est presque toujours le plus recherché (jade vert impérial), il en existe des jaunes, des blancs, des orange, des bleu-vert, des noirs, des roses, des marrons, des violets, des gris, des mordorés, bref presque toute les nuances d’une palette. Le vert et le blanc restent des valeurs sûres aux yeux de la majorité des acheteurs.
Quelle que soit sa couleur, le jade de qualité est toujours une pierre atteignant des prix très élevés.
Une carrière de jadéite au Guatemala ; elle a été retrouvée il y a une vingtaine d’années, après avoir été oubliée plusieurs siècles.
A Antigua, les vitrines des bijouteries regorgent de reproductions anciennes et de bijoux en jadéite.
Le jade néo-zélandais n’est plus arraché aux rivières de Nouvelle-Zélande ; il arrive du Canada en containers par le port d’Auckland...