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Opération séduction des tāvana


Tahiti, le 20 septembre 2023 - Avec trois députés et la présidence du Pays dans son escarcelle, le prochain enjeu pour le Tavini est de faire basculer les communes majoritairement rouges dans leur camp, et de pouvoir ainsi faire élire des sénateurs bleu ciel. Le congrès des communes est une belle opportunité pour le président Brotherson qui tente de séduire les tāvana en leur proposant la reprise par le Pays de leur compétence en matière de traitement des déchets. Une idée “séduisante” sur le papier mais qui n'a pas fait l'unanimité.
 
 
Après avoir déjà gagné trois députés et la présidence du Pays, la question est de savoir si la logique qui a prévalu lors des dernières mandatures va là encore s'appliquer. Autrement dit, la vague bleue va-t-elle déferler sur les 48 communes de Polynésie en 2026, comme la vague rouge en 2020 ?

Sur 48 tāvana, 30 étaient inscrits sur la liste du Tapura aux dernières élections territoriales, et le Tavini souhaiterait évidemment en rallier quelques-uns à sa cause dans l'optique des prochaines échéances électorales : les communales et les sénatoriales.
C'est important car contrairement aux élections législatives, territoriales et communales où c'est la population qui vote, pour les sénatoriales, ce sont des grands électeurs. C’est-à-dire que ce sont les 666 conseillers municipaux, les 57 représentants de l'assemblée et les cinq parlementaires de Polynésie qui devront élire nos deux prochains sénateurs.

Une idée “séduisante” sur le papier

Le 32e congrès des communes qui a ouvert mardi à Teahupoo est ainsi l'occasion parfaite pour le président du Pays de commencer son opération de séduction auprès des élus municipaux avec lesquels il a pu échanger sur l'une de ses promesses de campagne : la reprise par le Pays de la compétence dévolue aux communes depuis 2004 concernant le traitement des déchets. Mais si l'idée est “séduisante” sur le papier, ses modalités d'application le sont moins, et elle est loin d'avoir fait l'unanimité auprès des élus municipaux dont beaucoup ont rapidement déchanté. Car le transfert de compétences, c'est bien – même si le parcours législatif sera assez long comme l'a reconnu lui-même Moetai Brotherson –, mais le nerf de la guerre reste le financement.

Le CGCT [code général des collectivités territoriales] impose en effet un équilibre des budgets. Il faut donc que les communes puissent engranger suffisamment d'argent pour pouvoir payer la collecte et le traitement des déchets puisqu'il s'agit d'un budget annexe. Sauf qu'aujourd'hui, les communes qui y parviennent se comptent sur les doigts de la main. Et l'idée que le Pays reprenne la main est donc séduisante pour elles. Du moins, en imaginant qu'ainsi, elles n'auront plus à supporter cette charge financière dans leur budget communal.

Pas de “chèque en blanc”

Mais c'est là que le bât blesse. Car même si le Pays reprenait cette compétence, le président Moetai Brotherson a clairement laissé entendre que ce ne serait pas gratuit. “Là où les maires ont déchanté, c'est que le président a dit : ‘On récupère la compétence mais vous devrez nous payer !’ Le Pays va facturer les communes comme ça se passe aujourd'hui [avec la société Fenua Ma pour les îles-du-vent, NDLR], en fonction du volume des déchets, mais on ne sait pas le montant, c'est l'inconnue totale. On ne sait pas si on va payer moins cher ou plus cher que ce que l'on paye aujourd'hui”, a ainsi déploré l'élue Tapura de Paea, Tepuaraurii Teriitahi qui a d'ailleurs dit au président qu'elle refuserait de “faire un chèque en blanc”.

Objectif : Faire un hold-up des communes

Et d'ajouter : “Le Tavini Huiraatira ne le cache pas : leur objectif c'est de faire le hold-up sur les communes ! Donc le gouvernement fait en sorte d'entretenir les bons liens avec les tāvana en leur disant ce qu'ils ont envie d'entendre. C'est comme pour les Fare Ora. C'est l'évolution des Fare Natira'a qui étaient des unités de proximité permettant à la population de bénéficier des services du Pays. Aujourd'hui, on nous dit que ces Fare Ora seront dotés de personnel, mais on ne sait pas vraiment de quels agents il s'agit. C'est assez flou et c'est à la carte. Si chacune des 48 communes veut un représentant du Sefi, hier on leur a vendu qu'il n'y avait pas de souci. La question est de savoir si le Sefi dispose de ces moyens humains. Et puis il y a un texte qui régit les compétences. Ça me choque d'entendre un président dire ‘On fait et on verra le côté légal après’.”
 
De son côté, le maire de Rurutu, Frédéric Riveta, lui aussi représentant Tapura jusqu'au bout des ongles, s'est dit “un peu perplexe” même si ce que propose le président du Pays est “alléchant” : “Il est rusé, c'est un renard. Il sait amener là où il n'est pas attaquable mais attention, les maires ont aussi leur mot à dire”, a-t-il prévenu, s'interrogeant lui aussi sur le montant de la facture qui sera nécessairement à payer à la fin.

Rendez vos copies

Même son de cloche du tāvana de Mahina, Damas Teuira, qui s'est toutefois dit “intéressé” par cette reprise de compétence du Pays au niveau de Mahina. “Mais c'est sûr qu'il y aura une participation, et comme l'ont rappelé certains élus : qu'est-ce qu'on y gagne ? La dotation qu'on paye chaque année à Fenua ma sera-t-elle plus élevée ou moins ? On ne sait pas”, a-t-il commenté. Plus mesuré, il souhaite néanmoins laisser sa chance au président du Pays et la place au débat : “Il faut qu'on étudie au cas par cas et chacun doit apporter sa pierre à l'édifice.” Damas Teuira veut développer sa commune et entend bien “travailler en bonne intelligence” avec le gouvernement pour y arriver. En voilà peut-être déjà un qui pourrait être séduit par le chant du président du Pays... il en reste 29 à convaincre. Mais il reste encore deux ans donc tout est possible.

En attendant, Moetai Brotherson pourrait avoir un début de tendance assez rapidement puisqu'il a demandé aux tāvana présents au PK 0 de se prononcer pour ou contre cette reprise de compétence par le Pays dans un formulaire qu'ils ne sont pas obligés de remplir mais invités à rendre à la fin du congrès des communes ce jeudi.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mercredi 20 Septembre 2023 à 18:10 | Lu 1763 fois