Tahiti, le 10 mars 2024 - Une délégation État/Pays/associations d'anciens travailleurs a visité l'atoll de Moruroa, samedi, avec à la clé un exposé des missions de surveillance Turbo et Telsite. Un gage de bonne volonté pour les acteurs de l'opposition, qui ont pu constater que le niveau de radioactivité était aujourd'hui quasiment nul et que la situation est très encadrée, même si certains restent sur leur faim de réponse.
Moruroa questionne, attriste, enrage l'opinion publique polynésienne depuis des années. Sur ce site où l'air est chargé d'histoire, témoignage des 181 essais nucléaires qui s'y sont déroulés jusqu'en 1996, l'État français y tient aujourd'hui deux missions de surveillance. La mission Turbo, qui effectue des prélèvements de l'environnement de l'atoll permettant d'y mesurer les taux de radioactivité, et la mission Telsite, un dispositif de surveillance des sous-sols de l'atoll (fragilisés suite aux divers essais qui y ont eu lieu) permettant de prévenir tout risque d'un glissement de terrain qui pourrait provoquer une vague menaçant d'impacter l’atoll voisin de Tureia.
Si ces deux dispositifs affichent des résultats optimistes, avançant notamment l'absence de risques réels (qu'ils soient d'ordre d'exposition à la radioactivité ou lié à un potentiel glissement de terrain), nombreux sont les Polynésiens à émettre quelques doutes. Sans doute la trace d'événements passés et de révélations à demi-mots, comme l'avait révélé Disclose dans son enquête sur l'impact sur la population de Tahiti des retombées radioactives des essais Centaure et Pallas. Événement minimisé par l'État français. La délégation d'aujourd'hui est en quelque sorte faite comme un pas vers les acteurs de l'opposition, pour prouver la bonne gestion du site de Moruroa par l'État français après des événements d'une époque que l'État aimerait sans doute glisser sous le tapis.
Les dispositifs Turbo…
Née en 1997 suite à l'expertise radiologique de Moruroa et Fangataufa par l'Agence internationale de l'énergie atomique, la mission Turbo a pour objectif “d'assurer la direction, le suivi et le contrôle de la surveillance radiologique et géomécanique de Moruroa et Fangataufa”, déclare la médecin-chef Anne Marie Jalady du Département de suivi des centres d'expérimentation nucléaire (DSCEN). Sur cette île où reposent deux puits de déchets hautement contaminés à 1200 mètres de profondeur, et une vingtaine de puits pour des déchets moins contaminants, un suivi demeure de “la responsabilité de la France”, témoigne aujourd’hui le haut-commissaire Éric Spitz.
Réalisés chaque année sur des périodes de deux mois, près de 70 personnes sont mobilisées, dont une équipe de scientifiques et de plongeurs polynésiens du CEA (Commissariat à l'énergie atomique) pour réaliser les différents prélèvements. Au total, ce sont 350 échantillons, 1200 kilos prélevés sur 85 points répartis entre les deux atolls qui feront l'objet de 700 analyses une fois envoyés dans les laboratoires du CEA. Des analyses qui prennent du temps, environ 18 mois, “en raison des très faibles taux de radioactivité recherchés qui frôlent souvent la limite de détection des appareils de mesure, pourtant à la pointe de la technologie”, affirme un scientifique de la mission Turbo.
Pour couvrir tout l'écosystème des atolls, les scientifiques expliquent analyser des prélèvements physiques “avec les eaux de l'océan, du lagon, des eaux souterraines, mais aussi du sol, du sable et des sédiments”, de même que des prélèvements biologiques. “On prélève des éléments de la faune aquatique, comme du plancton, des mollusques, des poissons de lagon et des plus gros carnassiers. Mais aussi des denrées consommées comme la noix de coco.” L'objectif est de respecter une certaine méthodologie en essayant de remonter la chaîne alimentaire.
D'après la médecin-chef Anne Marie Jalady, les conclusions sont les suivantes : “Il n'y a aucun risque sanitaire d'exposition, ni à Moruroa ni à Fangataufa, à condition de respecter les zones dont l'accès est interdit et qui sont bien identifiées. Les résultats montrent aussi l'absence de migration des radionucléides du sous-sol (puits de déchets) vers la mer.” Les résultats d'analyse sont d'ailleurs disponibles sur le site internet du ministère des Armées.
… et Telsite
L'exposition aux radiations ne serait donc plus à craindre ; reste encore la menace du glissement d’un volume important du soubassement coralien de l'atoll qui pourrait provoquer la formation d'une vague de plusieurs mètres, mettant en potentiel danger les habitants de l’atoll voisin de Tureai ; mais aussi le personnel déployé sur Moruroa. Cette crainte est liée à la fragilisation d'une partie des sous-sols de l'atoll au nord de celui-ci, “en conséquence des 46 essais atmosphériques et 147 essais souterrains dits ‘essai de puits’ réalisés sur les deux atolls”, rappelle Anne Marie Jalady.
Pour maîtriser la situation et prévenir tout potentiel danger, le dispositif Telsite a été mis en place dès la fin des essais nucléaires. Il a fait l’objet d’une rénovation d’ensemble en 2018. Aujourd'hui, ce dispositif regroupe cinq technologies différentes pour un total de 50 capteurs qui collectent en temps réel les mouvements infimes en surface et en profondeur. “Ces données sont traitées quotidiennement par les sismologues du CEA en région parisienne. Des niveaux d'alerte ont été définis après le dépassement d'un certain seuil d'activité sismique, qui permettrait de disposer de plusieurs semaines de préavis afin de réagir à une potentielle menace”, indique la médecin-chef.
Et les derniers relevés donnent confiance : au vu de la très faible activité sismique, un glissement de terrain pouvant provoquer une vague susceptible d'atteindre Tureia est devenu très improbable. “Mais le risque zéro n'existant pas : il faut poursuivre la surveillance pour la sécurité des populations environnantes”, affirme Anne Marie Jalady.
Le Pays se rassure, mais reste sur ses gardes
Comme le rappelait le haut-commissaire, “c'est un devoir de rester ici et de surveiller. C'est aussi important d'amener le gouvernement pour montrer les travaux scientifiques qui ont lieu pour garantir la stabilité de l'île”. Une visite qui a fait du bien, selon Hinamoeura Morgant-Cross, représentante Tavini à l'assemblée de la Polynésie française. “Je me sens un peu mieux. L'histoire nucléaire a été un traumatisme pour chaque Polynésien et d'être venu ici, d'avoir foulé Moruroa ça m'a apaisé ; c'était un moment fort.”
Même si elle aimerait croire à toutes les déclarations entendues pendant la visite, cela reste compliqué “après des décennies de mensonges”. Tout comme le président du Pays, Moetai Brotherson, qui affirme “qu'un discours se doit d'être tenu par ceux qui ont la charge de surveiller le site. Maintenant quand je vois les aléas de construction d'une tour de juge sur un forage d'un demi-mètre cube, ou ceux d'un parking parce qu'on n'est pas capable de bien évaluer les sols, je me dis que les marges d'erreurs sont quand même conséquentes.”
La priorité reste de se concentrer sur d'autres problématiques plus urgentes, notamment la santé, estime Hinamoeura Morgant-Cross. “Aujourd'hui je pense que ça ne sert à rien de continuer à être dans la colère. Il faut qu'on avance. L'essentiel c'est qu'on nous donne de l'argent pour la santé. On a 30 ans de retard en termes de médecine et on va dans les 40. Aujourd'hui beaucoup de Polynésiens atteints de maladies radio-induites sont en train de mourir car on est à la préhistoire de la médecine en Polynésie.”
La députée Merena Reid Arbelot a également apprécié la visite qui lui a permis d'en savoir “un peu plus”. Mais elle précise que le travail continue, et qu'une commission d'enquête parlementaire devrait être déclenchée dans les prochaines semaines. “Il faudra qu'on puisse rassembler un maximum de données pour faire un rapport qui soit le plus complet possible.”
Moruroa questionne, attriste, enrage l'opinion publique polynésienne depuis des années. Sur ce site où l'air est chargé d'histoire, témoignage des 181 essais nucléaires qui s'y sont déroulés jusqu'en 1996, l'État français y tient aujourd'hui deux missions de surveillance. La mission Turbo, qui effectue des prélèvements de l'environnement de l'atoll permettant d'y mesurer les taux de radioactivité, et la mission Telsite, un dispositif de surveillance des sous-sols de l'atoll (fragilisés suite aux divers essais qui y ont eu lieu) permettant de prévenir tout risque d'un glissement de terrain qui pourrait provoquer une vague menaçant d'impacter l’atoll voisin de Tureia.
Si ces deux dispositifs affichent des résultats optimistes, avançant notamment l'absence de risques réels (qu'ils soient d'ordre d'exposition à la radioactivité ou lié à un potentiel glissement de terrain), nombreux sont les Polynésiens à émettre quelques doutes. Sans doute la trace d'événements passés et de révélations à demi-mots, comme l'avait révélé Disclose dans son enquête sur l'impact sur la population de Tahiti des retombées radioactives des essais Centaure et Pallas. Événement minimisé par l'État français. La délégation d'aujourd'hui est en quelque sorte faite comme un pas vers les acteurs de l'opposition, pour prouver la bonne gestion du site de Moruroa par l'État français après des événements d'une époque que l'État aimerait sans doute glisser sous le tapis.
Les dispositifs Turbo…
Née en 1997 suite à l'expertise radiologique de Moruroa et Fangataufa par l'Agence internationale de l'énergie atomique, la mission Turbo a pour objectif “d'assurer la direction, le suivi et le contrôle de la surveillance radiologique et géomécanique de Moruroa et Fangataufa”, déclare la médecin-chef Anne Marie Jalady du Département de suivi des centres d'expérimentation nucléaire (DSCEN). Sur cette île où reposent deux puits de déchets hautement contaminés à 1200 mètres de profondeur, et une vingtaine de puits pour des déchets moins contaminants, un suivi demeure de “la responsabilité de la France”, témoigne aujourd’hui le haut-commissaire Éric Spitz.
Réalisés chaque année sur des périodes de deux mois, près de 70 personnes sont mobilisées, dont une équipe de scientifiques et de plongeurs polynésiens du CEA (Commissariat à l'énergie atomique) pour réaliser les différents prélèvements. Au total, ce sont 350 échantillons, 1200 kilos prélevés sur 85 points répartis entre les deux atolls qui feront l'objet de 700 analyses une fois envoyés dans les laboratoires du CEA. Des analyses qui prennent du temps, environ 18 mois, “en raison des très faibles taux de radioactivité recherchés qui frôlent souvent la limite de détection des appareils de mesure, pourtant à la pointe de la technologie”, affirme un scientifique de la mission Turbo.
Pour couvrir tout l'écosystème des atolls, les scientifiques expliquent analyser des prélèvements physiques “avec les eaux de l'océan, du lagon, des eaux souterraines, mais aussi du sol, du sable et des sédiments”, de même que des prélèvements biologiques. “On prélève des éléments de la faune aquatique, comme du plancton, des mollusques, des poissons de lagon et des plus gros carnassiers. Mais aussi des denrées consommées comme la noix de coco.” L'objectif est de respecter une certaine méthodologie en essayant de remonter la chaîne alimentaire.
D'après la médecin-chef Anne Marie Jalady, les conclusions sont les suivantes : “Il n'y a aucun risque sanitaire d'exposition, ni à Moruroa ni à Fangataufa, à condition de respecter les zones dont l'accès est interdit et qui sont bien identifiées. Les résultats montrent aussi l'absence de migration des radionucléides du sous-sol (puits de déchets) vers la mer.” Les résultats d'analyse sont d'ailleurs disponibles sur le site internet du ministère des Armées.
… et Telsite
L'exposition aux radiations ne serait donc plus à craindre ; reste encore la menace du glissement d’un volume important du soubassement coralien de l'atoll qui pourrait provoquer la formation d'une vague de plusieurs mètres, mettant en potentiel danger les habitants de l’atoll voisin de Tureai ; mais aussi le personnel déployé sur Moruroa. Cette crainte est liée à la fragilisation d'une partie des sous-sols de l'atoll au nord de celui-ci, “en conséquence des 46 essais atmosphériques et 147 essais souterrains dits ‘essai de puits’ réalisés sur les deux atolls”, rappelle Anne Marie Jalady.
Pour maîtriser la situation et prévenir tout potentiel danger, le dispositif Telsite a été mis en place dès la fin des essais nucléaires. Il a fait l’objet d’une rénovation d’ensemble en 2018. Aujourd'hui, ce dispositif regroupe cinq technologies différentes pour un total de 50 capteurs qui collectent en temps réel les mouvements infimes en surface et en profondeur. “Ces données sont traitées quotidiennement par les sismologues du CEA en région parisienne. Des niveaux d'alerte ont été définis après le dépassement d'un certain seuil d'activité sismique, qui permettrait de disposer de plusieurs semaines de préavis afin de réagir à une potentielle menace”, indique la médecin-chef.
Et les derniers relevés donnent confiance : au vu de la très faible activité sismique, un glissement de terrain pouvant provoquer une vague susceptible d'atteindre Tureia est devenu très improbable. “Mais le risque zéro n'existant pas : il faut poursuivre la surveillance pour la sécurité des populations environnantes”, affirme Anne Marie Jalady.
Le Pays se rassure, mais reste sur ses gardes
Comme le rappelait le haut-commissaire, “c'est un devoir de rester ici et de surveiller. C'est aussi important d'amener le gouvernement pour montrer les travaux scientifiques qui ont lieu pour garantir la stabilité de l'île”. Une visite qui a fait du bien, selon Hinamoeura Morgant-Cross, représentante Tavini à l'assemblée de la Polynésie française. “Je me sens un peu mieux. L'histoire nucléaire a été un traumatisme pour chaque Polynésien et d'être venu ici, d'avoir foulé Moruroa ça m'a apaisé ; c'était un moment fort.”
Même si elle aimerait croire à toutes les déclarations entendues pendant la visite, cela reste compliqué “après des décennies de mensonges”. Tout comme le président du Pays, Moetai Brotherson, qui affirme “qu'un discours se doit d'être tenu par ceux qui ont la charge de surveiller le site. Maintenant quand je vois les aléas de construction d'une tour de juge sur un forage d'un demi-mètre cube, ou ceux d'un parking parce qu'on n'est pas capable de bien évaluer les sols, je me dis que les marges d'erreurs sont quand même conséquentes.”
La priorité reste de se concentrer sur d'autres problématiques plus urgentes, notamment la santé, estime Hinamoeura Morgant-Cross. “Aujourd'hui je pense que ça ne sert à rien de continuer à être dans la colère. Il faut qu'on avance. L'essentiel c'est qu'on nous donne de l'argent pour la santé. On a 30 ans de retard en termes de médecine et on va dans les 40. Aujourd'hui beaucoup de Polynésiens atteints de maladies radio-induites sont en train de mourir car on est à la préhistoire de la médecine en Polynésie.”
La députée Merena Reid Arbelot a également apprécié la visite qui lui a permis d'en savoir “un peu plus”. Mais elle précise que le travail continue, et qu'une commission d'enquête parlementaire devrait être déclenchée dans les prochaines semaines. “Il faudra qu'on puisse rassembler un maximum de données pour faire un rapport qui soit le plus complet possible.”