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Nicole Bouteau : ​“On est dans un dialogue constructif avec l'État”


Tahiti, le 8 juin 2022 – Première participante de notre série d'entretiens –menés également en Facebook live– avec les candidats du second tour des élections législatives, Nicole Bouteau revient pour Tahiti Infos sur ses résultats dans la première circonscription, pointe à dessein le retour d'un clivage autonomistes-indépendantistes, évoque en détails la proposition du Tapura relative à la “citoyenneté polynésienne” et revient sur l'argument du “partenariat renforcé avec l'État” vanté par le parti majoritaire.
 
On vous imagine satisfaite des bons résultats du premier tour en ce qui vous concerne (12 970 voix – 41,9%). A quoi sont-ils dus selon vous ?

“Effectivement, très satisfaite de ces résultats. (…) Je l'explique d'abord par une campagne de proximité. Je suis en campagne avec mon équipe depuis le début du mois de février, parce que la circonscription est juste unique au sein de la République. Un territoire avec des communes urbaines et des îles très éloignées, comme Fatu Hiva, Taenga… Je crois que nous avons parcouru près de 32 îles et il nous fallait bien quatre mois de campagne. Nous sommes allés au plus près. Nous avons eu bien évidemment le soutien du parti, de nos équipes sur place…”
 
Et donc le soutien des maires ?

“Le soutien de nombreux maires. Je suis élue communale. Mon suppléant est également maire d'une commune. Sur les Marquises, les six hakaiki des Marquises ont fait le choix dans le cadre de la présidentielle de s'unir autour de la candidature d'Emmanuel Macron et ils ont fait le choix que Joseph Kaiha soit mon suppléant. On a mené vraiment tous ensemble une campagne de proximité.”
 
Tout ça peut valoir pour l'ensemble du Tapura, mais votre score est plus élevé que les autres candidats du parti majoritaire. Est-ce que des faits de campagne ont particulièrement joué en votre faveur ou est-ce que le fait de succéder à Maina Sage peut également avoir été un atout ?

“C'est vrai que j'ai eu cette chance et ce privilège d'avoir à mes côtés Maina Sage pendant toute la campagne. Elle aurait pu se contenter de dire : j'arrête la vie politique, je termine le mandat. Mais j'ai eu la chance de l'avoir avec nous. Elle en a profité pour remercier et présenter son bilan. Un bilan sur un programme qu'elle a présenté avec notre majorité et sur lequel 80% des propositions de sa profession de foi ont été réalisés. Surtout, elle a pu mettre en lumière ce qu'est l'action du député au quotidien pour le Pays, les communes, les infrastructures, le contrat de ville, les plateaux sportifs, nos quais, nos aéroports, le soutien aux entreprises et aux associations… Elle était dans le concret et ça a parlé à la population. Oui, je pense que c'est la combinaison de tout ça qui fait que nous avons eu ces résultats extrêmement satisfaisants au premier tour.”
 
Sur un plan plus personnel, votre démission du gouvernement a pu avoir un effet sur une image d'intransigeance et d'intégrité ?

“C'est possible. Je vous avoue que pendant la campagne, le sujet a été très peu abordé. En tous cas, dans toutes les rencontres que j'ai pu avoir. Je crois que la population est passée à autre chose. C'est un sentiment, même si je pense qu'il reste toujours cette attente –je n'aime pas parler d'exemplarité parce qu'on n'est jamais exemplaire– que lorsqu'on vote des lois et qu'on demande à la population de les appliquer, nous devons nous les appliquer à nous même.”
 
Sur l'ensemble des circonscriptions, le Tapura a perdu près de 2 000 voix en cinq ans au premier tour des législatives. Est-ce qu'on peut, selon vous, expliquer cet effritement des voix par l'effet d'un “vote sanction” contre la majorité ?

“Je pense qu'il y a une combinaison de plusieurs choses. D'abord l'abstention qui reste forte. On aime bien parler du long week-end, mais ce n'est pas uniquement lié à ça. Il y a certainement aussi le fiu des élections. Le fiu de la politique après deux années de pandémie, de difficultés où notre majorité a pris des décisions. Et c'est ce que nous avons défendu pendant la campagne : avec l'État et avec le gouvernement d'Emmanuel Macron, nous avons réussi à soutenir notre économie, soutenir nos entreprises, sauvegarder nos emplois tout en essayant de protéger notre population. Donc, c'est vrai qu'il y a ce phénomène d'abstention. Après, il faut être réaliste. Il y a aussi eu des départs du Tapura Huiraatira. La création de nouveaux mouvements… On voit ce que la création de A Here ia Porinetia a pu générer en nombre de voix. C'est plutôt honorable et ça le positionne en troisième à quatrième force politique aujourd'hui. Donc, oui, on tient compte également de tout cela.”
 
Est-ce que vous imaginez que les voix du A Here ia Porinetia sont plutôt des voix autonomistes qui se reporteraient sur le Tapura ou qu'il s'agit au contraire de voix anti-Tapura qui iront au Tavini ?

“Je n'irai pas analyser le profil des électeurs de A Here ia Porinetia. En tous les cas, nous sommes dans un deuxième tour où il y a trois candidats du Tapura huiraatira. Un parti qui est, nous l'affichons et nous le réaffirmons, autonomiste ancré dans un partenariat avec l'État et le gouvernement central. Ceci face à trois candidats du Tavini huiraatira qui est un parti souverainiste qui aspire à l'indépendance de notre Pays. Donc ce clivage qui au premier tour pouvait sembler lissé, où l'on était sur des sujets de société et les priorités du moment, il se rappelle à nous au moment des élections : trois autonomistes contre trois indépendantistes.”
 
Sur votre programme, il y a un sujet qui s'est beaucoup invité dans cette campagne, c'est celui de la protection de l'emploi local au sens large. Qu'il s'agisse de protéger les emplois des résidents polynésiens ou de permettre le retour des fonctionnaires d'État polynésiens. Vous proposez, pour y arriver, de passer par une modification statutaire pour intégrer la notion de “citoyenneté polynésienne”. Expliquez-nous en détail ce projet ?

“Je voudrais rappeler qu'en 2003, il y a eu une réforme de la Constitution française avec de nouvelles adaptations et un renforcement des spécificités d'un certain nombre de territoires. Parmi ces territoires, il y avait la Polynésie française. La Constitution nous a permis, comme pour la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, de pouvoir protéger le patrimoine foncier et l'emploi local. C'était une nouveauté. Notre statut a été modifié en conséquence. Sauf que les dispositions statutaires prévoient une protection de l'emploi local uniquement dans le secteur privé, c’est-à-dire qui concerne les salariés du secteur privé. Rappelez-vous à l'époque, Gaston Flosse était président du Pays et il a été à l'initiative de cette réforme importante de la loi statutaire. Et en 2004, il avait sollicité l'intégration, comme pour la Nouvelle-Calédonie, de ce principe de citoyenneté polynésienne.”
 
Ce qui n'avait pas été retenu à l'époque…

“Le législateur, à ce moment-là, n'avait pas suivi la demande de Gaston Flosse. Aujourd'hui, dans un contexte où nous avons été impactés, où notre économie a été impactée, où il nous faut également, dans les emplois publics, avoir un renforcement de nos dispositifs juridiques, cette citoyenneté va nous permettre de pouvoir conditionner la participation aux concours –par exemple dans la fonction publique communale mais aussi dans la fonction publique du Pays– à cette citoyenneté polynésienne. En sachant que, peut-être à la différence du Tavini huiraatira qui en fait une des voies pour accéder à la souveraineté et à l'indépendance, pour nous la citoyenneté polynésienne c'est aussi pour ceux qui ont choisi de vivre et de bâtir leur vie et leur foyer en Polynésie. Ça tient à une durée de résidence, mais nous ne sommes pas dans l'exclusion. Je prends le cas de mon père, après 60 ans en Polynésie je considère qu'il est citoyen polynésien, de Virginie Bruant qui, depuis 20 ans, est en Polynésie, dont la fille est en Polynésie et qui a investi en Polynésie… On n'est pas dans l'exclusion. On est sur cette ouverture. Nous sommes sur un territoire qui est grand en océan, petit en terres, où notre vivier d'emplois n'est pas celui que l'on peut proposer en métropole. Et le législateur a compris, par ces statuts à la carte, qu'il nous fallait s'adapter aux spécificités des outre-mer. Les choses, on peut les améliorer. On souhaiterait les améliorer en temps de circonstances exceptionnelles, ça a été le cas de la pandémie mais ça peut être le cas en cas de catastrophes naturelles, pour avoir une chaîne de commandement beaucoup plus efficace que celle que nous avons pu avoir. (…) C'est ce qui est unique dans ces statuts. Notre statut n'est pas le même que celui de la Nouvelle-Calédonie. On tient compte aussi des faits de l'histoire. Et je souhaite vraiment le réaffirmer, on est dans un dialogue constructif avec l'État. Nous ne considérons par le gouvernement français, ni l'État, comme un adversaire mais comme un partenaire avec lequel nous souhaitons continuer à travailler.”
 
Est-ce que vous avez des garanties que l'État vous suive cette fois-ci sur ces évolutions, comme celle de la citoyenneté polynésienne, et est-ce que vous avez déjà discuté de ces questions avec Paris ?

“Ce sont des sujets que nous avons déjà eu l'occasion d'aborder avec l'État. En tout cas sur la nécessité de renforcer les dispositifs juridiques sur ces questions. Et ensuite, dans le cadre du processus calédonien, nous savons qu'il va y avoir une modification de la Constitution. Les travaux devraient démarrer dans le cadre de la prochaine législature. Donc 2023 devrait voir une modification de la Constitution et nous souhaitons participer à ces travaux pour pouvoir obtenir cette citoyenneté dans la Constitution et enchaîner avec l'amélioration de notre loi statutaire. D'autres collectivités regardent, observent, vont vouloir participer à ces travaux. Et je pense qu'on peut avoir une dynamique ultra-marine sur ces sujets-là.”
 
Est-ce que c'est réellement un avantage d'être du côté de la majorité au pouvoir à Paris pour porter ces dossiers et est-ce que ce discours ne place pas la Polynésie dans une position de subordination par rapport au gouvernement central ? Dans le sens où, a contrario, on serait obligé d'être du côté de l'État pour faire avancer nos dossiers ?

“Je tiens à vous rappeler que nous travaillons toujours dans l'intelligence avec l'État. Lorsque François Hollande était Président de la République, nous avons travaillé avec son gouvernement. Il y a eu des avancées sur un certain nombre de dossiers. Je vous rappelle que le président Édouard Fritch a signé avec François Hollande les Accords de l'Élysée. Nous l'avons accueilli. Donc ça ne nous empêchera pas de travailler quel que soit le gouvernement en place et l'issue des élections législatives. Quoi qu'il en soit, cette relation de confiance que nous avons bâtie avec Emmanuel Macron et son gouvernement est une réalité. Et nous souhaitons bien évidemment que dans le cadre des élections législatives, les députés sous l'étiquette “Ensemble” puissent apporter une majorité absolue à Emmanuel Macron et à son gouvernement. C'est un soutien sous une mandature. Mais je rappelle que j'ai été ministre du Tourisme et du Travail et que nous avons été impactés par cette pandémie comme la Terre entière. Nous avons eu un soutien de l'État qui, associé à la mobilisation des capacités financières de notre Pays, nous a permis de résister. On est fragilisé aujourd'hui mais nous avons pu résister. Et c'est en cela que parmi nos priorités, et c'est le point numéro 1 de notre profession de foi, nous sommes vraiment dans un partenariat renforcé avec l'État et le gouvernement central. Parce que ces partenariats aujourd'hui sont beaucoup financiers, au niveau des contrats de transformation, des contrats de développement au niveau des communes, dans la santé, dans un appui à nos comptes sociaux que nous souhaitons discuter avec l'État. Aujourd'hui, toute cette solidarité nationale ne pèse pas sur la fiscalité de notre Pays. Et je fais un lien avec le pouvoir d'achat. Aujourd'hui le budget que l'État met en Polynésie, qui représente globalement 200 milliards par an, soit autant que le budget du Pays, ce sont 200 milliards que nous n'allons pas chercher auprès des Polynésiens.”
 

Les résultats du premier tour sur la première circonscription


Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Jeudi 9 Juin 2022 à 17:11 | Lu 1669 fois