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Nathalie Salmon-Hudry : “Rendons le paradis accessible à tous”


Tahiti, le 6 septembre 2023 - Nathalie Salmon-Hudry, déléguée interministérielle aux handicaps nous a accordé un entretien depuis son bureau de la présidence pour évoquer les pôles de développement qu'elle souhaite voir aboutir à destination des personnes porteuses de handicap au fenua.
 
En poste depuis le 15 mai, quel est votre premier bilan de votre action au sein du gouvernement ?
“On a déjà beaucoup travaillé. Nous sommes dans un domaine où je suis concernée au premier chef. La première action phare que je retiens, c'est celle de la ministre des Solidairité, Chantal Galenon, qui a rendu son ministère accessible en moins d'une semaine. C'est surtout la réussite à épurer 1 400 dossiers Cotorep. Il n'y avait aucun médecin depuis septembre-octobre. Donc les dossiers n'avançaient pas. Imaginez le nombre de personnes impactées. Pas d'allocations, pas de reconnaissance pour les travailleurs handicapés. Avec le ministre de la Santé et celui de la Solidarité, on a trouvé un médecin en un mois et on a stabilisé la situation. À la dernière séance plénière, nous avons fait passer 1 146 dossiers. C'est du jamais vu.”
 
Le médecin est en poste définitivement ?
“Oui, ça y est, sauf s'il décide de partir à la retraite. Mais il reste en place. C'est un médecin rééducateur qui a une forte expérience de 20 ans dans un centre mondialement connu et qui a une vision simple qui permet de voir les dégradations et les améliorations des dossiers. C'est une victoire dans le monde du handicap.”
 
Beaucoup reste à faire. Votre cheval de bataille, c'est la mobilité, dans les transports en commun, mais aussi dans les villes…
“Ce sera un projet à long terme. Il y a différents acteurs qui rentrent dans le jeu. Il y a les communes d'abord. Si on rend accessibles les transports, mais qu'on arrive en ville et que les trottoirs ne sont pas accessibles, cela ne sert à rien. Ce sera long. J'échange souvent avec Jordy Chan, ministre des Transports. On est en train de voir la problématique ensemble et nous cherchons la meilleure option à offrir à la population. Avec Jordy Chan, nous faisons aussi le point sur les bâtiments administratifs que l'on doit revoir dans leur capacité d'accueil aux personnes handicapées.”
 
Et les touristes dans tout ça ?
“Justement, nous ne sommes pas une destination qui facilite la vie du touriste porteur de handicap. Tahiti est un paradis. Rendons le paradis accessible à tous. Mais cela ne viendra pas uniquement du gouvernement. Le privé, les communes doivent aussi participer.”
 
On parle beaucoup de Papeete. Mais dans de nombreuses communes, se déplacer c'est souvent être en fauteuil roulant sur la route.
“Vous savez, le président a décidé de faire des conseils des ministres décentralisés. Il voulait en faire un à Tubuai. Il a été annulé depuis pour d'autres raisons. Mais Moetai Brotherson voulait que je vienne. Je lui ai expliqué que cela n'allait pas être facile, mais il s'en moque. Il veut voir justement les difficultés que cela représente de travailler avec moi, pour voir les points d'amélioration à apporter pour les personnes handicapées. On parle de Papeete, mais toutes les communes sont concernées. Je suis la ‘beta testeuse’ du gouvernement [rires]. Quand le président m'a demandé de quoi j'avais besoin pour aller à Tubuai… j'ai répondu ‘Six gars costauds’ [rires]. Petit à petit, le président peut faire bouger les choses. La nomination d'une personne handicapée à ce poste est une première.”
 
 
Il y a un fort manque d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH, ex AVS) dans les écoles. Comment régler le problème ?
“C'est un dossier qui a été pris en main dès le premier jour de ma prise de fonction. On manque de formations. On n'a pas sur le territoire assez de formations en la matière. Mais il y a aussi un problème de financement. Les concours sont lourds financièrement. Ensuite, une fois titularisés, il faut ouvrir des budgets pour les postes de ces AESH. Là encore, ce sont des crédits à trouver.”
 
Chaque année dans les écoles sont organisées des manifestations comme les cross scolaires, “Marche pour ta santé”, la journée du sport, etc. Est-ce que ces événements doivent être rendus plus inclusifs ?
“Oui. Tout est ‘repensable’. Mais il faut pouvoir le faire sans marginaliser les enfants. Si on fait une journée pour trois fauteuils… Il faut penser au groupe. Comment faire tous ensemble, comment les insérer dans la classe, dans les projets. Mais “Marche pour ta santé” par exemple… rien n'empêche de faire des binômes avec les enfants qui se relaient pour pousser le fauteuil de leur camarade, ou donner la main.”
 
Au 1er octobre, la “déconjugalisation” pour les personnes handicapées en couple percevant une allocation va entrer en vigueur. Mais ne faut-il pas repenser plus largement les allocations aux personnes handicapées ?
“Des modifications sont toujours souhaitables. Par exemple, la retraite. Quand on part à la retraite, on reste handicapé. Il faudrait pouvoir cumuler les deux, la retraite et l'allocation. Mais on ne va pas se mentir… On finance comment ? Surtout que l'on a un taux de chômage très fort chez les personnes handicapées. Il faut réfléchir avant de faire des annonces. On est d'accord que le cumul doit s'appliquer partout, mais la réalité est : comment fait-on pour financer ? On est en réflexion avec la ministre du Travail pour essayer de revoir le dispositif d'aide à l'emploi. 2 000 personnes sont reconnues comme travailleurs handicapées, et seulement 400 ont un emploi. C'est très faible. Cela pouvait s'expliquer à l'époque par l'impossibilité des cumuls “salaire + allocation”, mais ce n'est plus le cas. Avant, on risquait, dans certaines situations, de gagner moins en travaillant. Ce n'était pas intéressant. Maintenant, avec le cumul, on a inversé la tendance. Je pense qu'aujourd'hui, on doit refaire une campagne de communication autour du cumul. Beaucoup pensent encore qu'on perd le bénéfice de l'allocation handicapé en trouvant un travail. Ce n'est plus vrai. Après, ce n'est pas la seule raison. Il faut revoir les dispositifs d'aide à l'emploi. Le dispositif SIPH [Solidarité et inclusion des personnes handicapées] flambe. Mais ce ne sont que des stages. Derrière, il n'y a pas d'embauches. Certains employeurs ne jouent pas le jeu. Ils prennent les SIPH, puis les lâchent.
 
Comment inciter les entreprises à faire plus de places aux travailleurs handicapés ?
“L'idée générale que veut développer Vannina Crollas, c'est inciter à l'embauche, plutôt qu'investir dans les stages.”
 
L'idée est de rendre plus facile l'embauche, ou de pénaliser plus lourdement ceux qui n'embauche pas ?
“Alors, c'est justement notre débat aujourd'hui. C'est le bâton ou la carotte ? Soit on prend le bâton et on tape, soit on prend la carotte en espérant que cela avance… Moi, je suis partisane de la grosse carotte, pour taper avec [rires]. Plus sérieusement, l'idée est de faire confiance dans les entreprises de ce pays qui vont – j’en suis certaine – jouer le jeu. La proposition devrait prochainement être faite.”
 
Les choses s'activent au niveau du sport au fenua : Jeux olympiques, Jeux du Pacifique Sud… L'accès au sport, et plus largement aux loisirs, est-il bien pensé ?
“Il y a très peu de loisirs et très peu de sports aujourd'hui qui sont adaptés aux personnes handicapées. Là, ce n'est qu'un constat. Nous sommes en train de voir avec la ministre des Sports, Nahema Temarii, comment faire changer les choses. Les prochains Jeux du Pacifique, que nous organisons, pourraient être un peu plus ouverts aux personnes handicapées. Mais aujourd'hui, on part de rien ou de presque rien. Les associations se bougent pour les handicapés, mais les clubs et les fédérations ont besoin de bouger un peu pour mieux s'ouvrir aux handicapés.”
 
Dans la vie de tous les jours, d'autres domaines pourraient être améliorés ?
“Oui, je pense aux personnes sourdes qui essaient d'avoir leur permis de conduire. Une personne a passé 27 fois son code parce que le code n'est pas adapté. Les cours ne sont pas “signés”. Il n'y a pas de sous-titre sur les diapos lors des examens. Nous sommes en train de voir avec Jordy Chan comment améliorer la situation et imaginer une prise en charge différente. C'est un beau projet.”
 
Il y a aussi la volonté de transposer le reo tahiti en langue des signes…
“Tout à fait. Il n'y a pas qu'une langue des signes. En Nouvelle-Zélande, la langue des signes est la troisième langue du Pays, c’est dire la place qu'ils donnent aux personnes sourdes. Nous avons appris que des matahiapo, il y a bien longtemps, signaient déjà. Des signes tahitiens qu'ils ont fait eux-mêmes. On est en train de se rapprocher d'eux pour que ces signes ne se perdent pas. C'est un projet qui tient à cœur à Élianne Tevahitua.”
 
Vous vouliez faire de la politique ?
“Non. J'ai rencontré Moetai Brotherson deux fois après son élection. Je lui ai demandé s'il était conscient qu'en me prenant, il prenait un package [désignant son fauteuil]. Mais il a dit 'Go, c'est ça que je veux'. (…) Après, j'ai toujours eu peur de la politique. Ça peut faire mal. Souvent, il y a des coups bas. Et quand tu es assise en fauteuil, les coups bas, tu les prends dans la figure [rires]. Mais Moetai Brotherson m'a pris sous son aile. Je le connais depuis 15 ans. On a écrit nos premiers livres ensemble. Je lui fais confiance.”
 

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mercredi 6 Septembre 2023 à 20:30 | Lu 3071 fois