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Mutinés du Bounty : à Tubuai, le fort George raconte une autre histoire


Tubuai, le 9 novembre 2023 - Loin des clichés et de l'image véhiculée par Hollywood des célèbres mutinés du Bounty, une famille de Tubuai a inauguré un lieu de mémoire et d'histoire qui raconte une tentative avortée de colonisation de l'île au XVIIIe siècle.
 
“Le fort est ouvert !” Sur le rivage nord de l’île de Tubuai, dans l’archipel des Australes, la famille Tetauru est fière de raconter l’histoire d’une bataille gagnée par le peuple polynésien. “L’histoire des mutinés du Bounty est connue dans le monde entier mais on ne garde en tête qu’une aventure romantique et la dimension tragique a été complètement éludée !”, s’émeut Stéphanie Caire-Tetauru, professeure de lettres à Tahiti et membre de l’association Bounty Fort George Tubuai.
Sur leur terrain familial, à l’endroit précis où les marins mutinés de Christian Fletcher ont tenté de prendre possession de Tubuai en 1789, les Tetauru ont créé un lieu de mémoire et d’histoire. Les visiteurs ont aujourd’hui accès à une modeste mais très documentée reconstitution du bastion fortifié que les marins anglais ont construit lors de leur guerre contre les Polynésiens.
 
“Pour nous, il est important que la population locale se souvienne d’un événement qui a marqué cette île”, poursuit Stéphanie Caire-Tetauru. “On parle d’un conflit armé qui a causé la mort de dizaines de personnes originaires de l’île. La baie s’appelle aujourd’hui encore Bloody Bay, la Baie sanglante. C’est un épisode fondateur parce que sans leur échec à Tubuai, les marins du Bounty ne seraient pas allés ensuite à Pitcairn, une île déserte.”
 
Une tragédie éloignée de la version hollywoodienne
 
Alors que dans les archipels du fenua, l'image du marin en révolte contre un pouvoir injuste fait autorité, il était urgent d'apporter un contre-récit à la figure de Marlon Brando vivant, à l’écran, une histoire d’amour passionnée avec une vahine. La démarche est récente : le fort George a ouvert ses portes au public cette année. La famille Tetauru a beaucoup travaillé, mené des recherches historiographiques à Papeete, Paris, Londres et s'est principalement inspirée du journal de bord d'un des mutinés, James Morrison.
 
Dans son ouvrage de référence sur le sujet, Le Bounty, passions, pouvoir, théâtre : histoire d'une mutinerie, l'historien australien Greg Dening raconte lui aussi une tragédie bien éloignée de la version hollywoodienne. “Christian (le chef des mutinés, NDLR) ne douta jamais qu'il devrait trouver une cachette où se terrer jusqu'à la fin de ses jours”, écrit-il. “Il ne se laisserait jamais ramener en Angleterre, devenir la honte de sa famille. Tahiti était le dernier endroit où ils pouvaient aller, car c'était le premier où la Navy débarquerait.”
 
En rupture avec sa nation – la mutinerie était à l'époque un crime systématiquement puni de la peine de mort, par pendaison – Christian Fletcher décide donc d'aller à Tubuai, une île quasiment inconnue à l'époque car seulement aperçue par le capitaine Cook. “Étant les premiers étrangers européens à fouler le sol de Tubuai, [les marins du Bounty] se mirent à rejouer la scène des premiers contacts dans tout le Pacifique – signes mal interprétés, suppositions relevant du mythe, tueries”, poursuit l'historien.
 
Une guerre épuisante
 
Alors qu'ils tentent de s'installer durablement sur l'île – et construisent le fort George, au nord de Tubuai – les marins se heurtent à la résistance des Polynésiens. “Quoi qu'ils aient pu être aux yeux des indigènes lorsqu'ils débarquèrent à Tubuai – des dieux, des étrangers mythiques tombés du ciel –, ces hommes constituaient désormais une force d'invasion”, conclut l'historien Greg Dening. “Des groupes armés partirent à la recherche d'épouses, brûlant les maisons, tuant d'une balle de mousquet ou passant à la baïonnette ceux qui résistaient.” En moins d'un an, malgré leurs divisions internes – l'île est alors divisée en trois chefferies –, les Polynésiens repoussent la force d'invasion. Au prix d'une épuisante guerre d'usure autour du fort George.
 
Raconter cette tentative méconnue de colonisation, c’est apporter un contre-récit aux innombrables exploitations touristiques du mythe des révoltés du Bounty. Aujourd'hui, dans le lieu de mémoire bâti par la famille Tetauru, on peut découvrir des panneaux d'information très bien réalisés, des copies d'objets d'époque et un véritable parcours muséographique.
 
Anne Tetauru, la mère de Stéphanie Caire-Tetauru, se souvient de la façon dont la parcelle qui abrite les ruines historiques lui a été attribuée après un conflit juridique complexe lié à l’indivision. “Il y a eu un tirage au sort : le fort George portait le numéro 1. Il a tout de suite été pour moi. Je me suis dit que les ancêtres avaient décidé. Nous avons le devoir de raconter cette histoire telle qu’elle s’est passée : il est toujours dommageable d’oublier les morts.”

A visiter

Le fort George, à Tubuai
Accès au site gratuit - 500 francs pour accéder à la salle d'exposition.
Ouvert les mardis et jeudis
Visites sur rendez-vous


Rédigé par Julien Sartre le Jeudi 9 Novembre 2023 à 16:20 | Lu 4650 fois