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Mort d’un marin en 2016 : quatre prévenus jugés pour homicide involontaire


Le jugement a été mis en délibéré. Le tribunal rendra sa décision le 15 avril. Crédit photo : Archives TI.
Le jugement a été mis en délibéré. Le tribunal rendra sa décision le 15 avril. Crédit photo : Archives TI.
Tahiti, le 1er avril 2025 – Neuf ans après la mort d’un marin écrasé par des plaques de cale sur le quai de Motu Uta, le tribunal correctionnel de Papeete examinait ce mardi les responsabilités pénales dans un enchaînement de fautes. Un cariste, un capitaine d’armement, ainsi que les deux dirigeants de la société Vanuatu Ferry, employeur de la victime, comparaissaient pour homicide involontaire. Le jugement sera rendu le 15 avril.
 
Plus de neuf ans après les faits, l’émotion reste vive dans les rangs de la famille endeuillée. “C’est un dossier ancien, mais l'émotion est toujours à son paroxysme”, a rappelé Me Bennouar, avocat de la partie civile, devant le tribunal correctionnel de Papeete, ce mardi.
 
Le drame remonte à septembre 2016. Ce jour-là, un marin employé par la société Vanuatu Ferry, propriété d’Eugène Degage et de sa fille Mehiti Degage, trouve la mort sur le quai de Motu Uta, lors d’une opération de manutention de plaques de cale en fer, pesant entre cinq et huit tonnes. Alors qu’il se tient derrière une pile instable, l’homme est violemment percuté par les plaques, projeté à l’eau et noyé. Un collègue parvient de justesse à se jeter à l’eau pour échapper à la chute. Les dockers étaient en pleine opération de déplacement de ces plaques de fer, dans l'attente du départ du bateau, prévu quelques jours après l'accident. En effet, le navire Vanuatu Cargo, en maintenance à quai depuis plusieurs mois, devait partir pour le Vanuatu. Les salariés ont alors décidé de déplacer les cales et de les empiler plus loin, à l'aide d'un chariot élévateur. Mais l’empilement s’avère instable et, à la cinquième plaque, la pile bascule. La victime, positionnée à l’arrière, est mortellement frappée. Les images de l’accident, captées par une caméra de vidéosurveillance et diffusées à l’audience, montrent la brutalité de l’impact.
 
Une chaîne de négligences
 
Quatre personnes comparaissaient ce mardi : un cariste – salarié d’une autre société venu donner un coup de main – qui a manipulé les plaques à l'aide d'un chariot élévateur, le capitaine d’armement en charge de la sécurité du navire, et les deux dirigeants de Vanuatu Ferry, absents à l’audience. Tous sont poursuivis pour homicide involontaire.
 
Le président du tribunal évoque une “accumulation d’irrégularités”, ce qui est confirmé par l'expertise : “Toutes les tâches ont été effectuées en dépit du bon sens”. Le cariste, sollicité pour un coup de main, n’était pas habilité à conduire le chariot élévateur utilisé ce jour-là. Il l’a également  emprunté sans autorisation. Le capitaine, responsable des opérations et de la sécurité pendant la réfection du navire, était absent lors de la manœuvre, en violation des obligations réglementaires.
 
Prison avec sursis et amende
 
Pour la procureure, les responsabilités sont entières pour tous les protagonistes. Elle parle d’un “accident tragique” mais évitable, fruit d’un enchaînement de décisions imprudentes.
 
À l’encontre du cariste et du capitaine, elle requiert quatre ans d’emprisonnement avec sursis. Elle estime qu’Eugène Degage, bien que non présent le jour des faits, agissait comme “donneur d’ordres général” : garant bancaire, gestionnaire des travaux, payeur des fournisseurs. “Il est présent à tous les stades”, soutient-elle. Il était le “le gérant de fait” tandis que sa fille était la “gérante de droit”.
 
Contre lui, elle requiert huit mois de prison avec sursis et une amende d’un million de francs. Et contre sa fille Mehiti Degage, une amende de 1,3 million de francs. Quant à la société Vanuatu Ferry, une amende de 5 millions est demandée.
 
Une défense vent debout
 
Les avocats de la défense dénoncent des réquisitions infondées et un dossier d’instruction lacunaire. Me Quinquis, qui défend Mehiti Degage, le capitaine et la société, conteste l’existence d’une faute caractérisée. Selon lui, les agissements du capitaine “ne sauraient engager la responsabilité” de sa cliente, Mehiti Degage. Il plaide la relaxe pour les trois prévenus qu’il représente.
 
Me Mitiranga, avocat d’Eugène Degage, va plus loin. Il critique vertement l’enquête judiciaire, qu’il qualifie de “bâclée”. “À aucun moment, le juge d’instruction ne s’est sérieusement intéressé à l’activité de la société, ni au rôle d'Eugène Degage (...) Vous n'avez rien car le juge d'instruction n'a rien fait”, s’insurge-t-il. Il rappelle qu’Eugène Degage, bien que détenteur de 99 % des parts de l’entreprise, n’aurait pris part qu’à quelques actes de gestion, étalés sur une période de trois mois alors que la société existe depuis 2014. “Vous ne trouverez nulle part dans ce dossier la preuve qu’il a ordonné l’empilement des plaques. C’est une initiative personnelle des salariés. Je vous mets au défi de démontrer le contraire”, tonne-t-il. Lui aussi demande la relaxe. Le jugement a été mis en délibéré. Le tribunal rendra sa décision le 15 avril.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mardi 1 Avril 2025 à 19:03 | Lu 1470 fois