Tahiti, le 8 février 2022 – Le dernier rapport de la Cour des comptes et de la chambre territoriale des comptes sur la gestion de la ZEE polynésienne se penche sur la stratégie du Pays et de l'État dans l'exploration, et à terme l'exploitation, des ressources minérales des grands fonds de Polynésie. Des encroûtements polymétalliques convoités et dont l'intérêt ne cesse d'être loué, mais pour lesquels le Pays et l'État ont deux stratégies parallèles, que les juridictions financières appellent à “coordonner”.
Engagée depuis plus de 20 ans, la connaissance des grands fonds marins de la Polynésie française peine à émerger, souligne le récent rapport interjuridictionnel de la Cour des comptes et de la chambre territoriale des comptes sur la gestion de la ZEE polynésienne. Dès 2001, une campagne d'expertise collégiale de l'Infremer et du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) a entamé une “évaluation stratégique et prospective préliminaire des encroûtements polymétalliques sous-marins de la ZEE de la Polynésie française”. En 2012, une étude menée par la société Creocean pour le compte du Pays a analysé le “potentiel minier des grands fonds”. Et en 2014, l'IRD a poursuivi pour le compte du Pays par un “état des lieux des connaissances sur le potentiel de ressources minérales profondes de la ZEE”.
Explorer avant d'exploiter
On le sait donc aujourd'hui, des ressources potentielles en nodules polymétalliques sont présentes au nord-ouest de la ZEE et surtout des “encroûtements cobaltifères” reposant sur un substrat également riche en phosphates, plus accessibles et plus “prometteurs”, sont identifiés entre 800 et 4 000 mètres au Sud de la Société. Toutes les études menées recommandent la même approche : approfondir ces recherches par des campagnes d'exploration avant de penser à leur exploitation. Les explorations n'ont pas été menées, mais le gouvernement polynésien, pleinement compétent en la matière, a déjà projeté “des exploitations susceptibles d'intervenir dans 15 à 20 ans”. Au doigt très mouillé, visiblement.
En 2019, la filiale de Creocean, Abyssa, a tout de même été chargée par le Pays d'élaborer une stratégie d'exploration des ressources minières et notamment des encroûtements cobaltifères. Un programme de recherche et développement a été établi en 2020 pour un coût estimé à 1,36 milliard de Fcfp. Mais une rencontre entre le Pays et Abyssa en 2021 a mis en exergue : “le manque de réponse sur le retour sur investissement au profit de la Polynésie française et l'absence de prise en considération des rapports des Polynésiens à l'océan”. Le Pays souhaitant mieux prendre en compte “l'environnement biologique” et “l'importance des aspects symboliques et politiques que représente l'océan”. Depuis, Abyssa se prépare à intervenir en créant une filiale polynésienne, via un appel de fonds pour son financement et avec la bénédiction du Pays.
Deux stratégies parallèles
Pour les juridictions financières, “ces éléments témoignent qu’en 2021 la Polynésie française était engagée dans une stratégie régionale. Cette dernière semble toutefois menée sans référence explicite à une stratégie nationale.” Dès 2015 en effet, l'État a approuvé une stratégie nationale relative à l’exploration et à l’exploitation minières des grands fonds marins. Stratégie mise à jour en 2021, mais sans aucune référence aux travaux menés par la Polynésie… “Il semble que l’État n’ait pas pris la pleine mesure de la capacité de la Polynésie française à conduire sa propre politique de connaissance des fonds marins. Cette apparente inaction surprend au regard des enjeux et au vu de l’abandon des recherches engagées dans la ZEE de Wallis-et- Futuna en 2014 et 2015”, s'étonne le rapport des juridictions financières.
Le plan d'action de la stratégie nationale prévoit pourtant explicitement “une concertation avec la Polynésie française et les autres territoires concernés” pour “construire un projet d’expertise commun État/territoires” et même la mise en place d'un “site démonstrateur de vocation internationale” sur la ZEE polynésienne… Conclusion et recommandation assez cocasse du rapport de la Cour des comptes et de la chambre territoriale : “Il apparaît nécessaire d'entreprendre un rapprochement entre la Polynésie française et l'État, pour articuler les stratégies de l'une et l'autre”.
Et le problème des “ressources stratégiques” ?
Reste la question très politisée, et évoquée par le rapport, de la notion de “matières premières stratégiques”. Un “élément clé de la répartition des compétences entre l'État et la Polynésie française dans le domaine minier sous-marin.” Largement porté sur la scène politique par le Tavini ces dernières années, le fond du problème réside dans l'existence d'une réglementation nationale datant de la fin des années 1950 et permettant à l'État d'obtenir la compétence unique sur l'exploitation des “matières premières stratégiques” à l'époque identifiées comme nécessaires à l'énergie atomique : hélium, uranium, thorium, béryllium, lithium et leurs composés. La crainte du parti indépendantiste ? Que l'État ne décide d'empiéter par ce biais sur la compétence dévolue à la Polynésie pour exploiter les ressources de ses encroûtements polymétalliques.
Ces références réglementaires sont pourtant aujourd’hui considérées par les scientifiques comme “inadaptées et devant être actualisées”, indique le rapport. Une mise à jour est prévue via le projet de refonte du code minier national, “en chantier depuis 2011, mais suspendu en 2021 sur ce point spécifique”. Le rapport explique également que le statut d'autonomie ne “fournit aucune indication sur la manière dont la compétence résiduelle de l’État s’articule avec celle de principe de la Polynésie française et ne précise pas dans quelle mesure la première conditionne la seconde”.
Une “limite” relevée à la fois par l'expertise menée par l'IRD en 2016 et par le rapport de 2020 sur la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins. Avec une suggestion dans ce dernier rapport : “l’idée qu’en contrepartie d’une compétence pleine et entière de la Polynésie française concernant ces minerais, leurs affectations pourraient être prioritairement orientée vers l’économie française”.
Engagée depuis plus de 20 ans, la connaissance des grands fonds marins de la Polynésie française peine à émerger, souligne le récent rapport interjuridictionnel de la Cour des comptes et de la chambre territoriale des comptes sur la gestion de la ZEE polynésienne. Dès 2001, une campagne d'expertise collégiale de l'Infremer et du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) a entamé une “évaluation stratégique et prospective préliminaire des encroûtements polymétalliques sous-marins de la ZEE de la Polynésie française”. En 2012, une étude menée par la société Creocean pour le compte du Pays a analysé le “potentiel minier des grands fonds”. Et en 2014, l'IRD a poursuivi pour le compte du Pays par un “état des lieux des connaissances sur le potentiel de ressources minérales profondes de la ZEE”.
Explorer avant d'exploiter
On le sait donc aujourd'hui, des ressources potentielles en nodules polymétalliques sont présentes au nord-ouest de la ZEE et surtout des “encroûtements cobaltifères” reposant sur un substrat également riche en phosphates, plus accessibles et plus “prometteurs”, sont identifiés entre 800 et 4 000 mètres au Sud de la Société. Toutes les études menées recommandent la même approche : approfondir ces recherches par des campagnes d'exploration avant de penser à leur exploitation. Les explorations n'ont pas été menées, mais le gouvernement polynésien, pleinement compétent en la matière, a déjà projeté “des exploitations susceptibles d'intervenir dans 15 à 20 ans”. Au doigt très mouillé, visiblement.
En 2019, la filiale de Creocean, Abyssa, a tout de même été chargée par le Pays d'élaborer une stratégie d'exploration des ressources minières et notamment des encroûtements cobaltifères. Un programme de recherche et développement a été établi en 2020 pour un coût estimé à 1,36 milliard de Fcfp. Mais une rencontre entre le Pays et Abyssa en 2021 a mis en exergue : “le manque de réponse sur le retour sur investissement au profit de la Polynésie française et l'absence de prise en considération des rapports des Polynésiens à l'océan”. Le Pays souhaitant mieux prendre en compte “l'environnement biologique” et “l'importance des aspects symboliques et politiques que représente l'océan”. Depuis, Abyssa se prépare à intervenir en créant une filiale polynésienne, via un appel de fonds pour son financement et avec la bénédiction du Pays.
Deux stratégies parallèles
Pour les juridictions financières, “ces éléments témoignent qu’en 2021 la Polynésie française était engagée dans une stratégie régionale. Cette dernière semble toutefois menée sans référence explicite à une stratégie nationale.” Dès 2015 en effet, l'État a approuvé une stratégie nationale relative à l’exploration et à l’exploitation minières des grands fonds marins. Stratégie mise à jour en 2021, mais sans aucune référence aux travaux menés par la Polynésie… “Il semble que l’État n’ait pas pris la pleine mesure de la capacité de la Polynésie française à conduire sa propre politique de connaissance des fonds marins. Cette apparente inaction surprend au regard des enjeux et au vu de l’abandon des recherches engagées dans la ZEE de Wallis-et- Futuna en 2014 et 2015”, s'étonne le rapport des juridictions financières.
Le plan d'action de la stratégie nationale prévoit pourtant explicitement “une concertation avec la Polynésie française et les autres territoires concernés” pour “construire un projet d’expertise commun État/territoires” et même la mise en place d'un “site démonstrateur de vocation internationale” sur la ZEE polynésienne… Conclusion et recommandation assez cocasse du rapport de la Cour des comptes et de la chambre territoriale : “Il apparaît nécessaire d'entreprendre un rapprochement entre la Polynésie française et l'État, pour articuler les stratégies de l'une et l'autre”.
Et le problème des “ressources stratégiques” ?
Reste la question très politisée, et évoquée par le rapport, de la notion de “matières premières stratégiques”. Un “élément clé de la répartition des compétences entre l'État et la Polynésie française dans le domaine minier sous-marin.” Largement porté sur la scène politique par le Tavini ces dernières années, le fond du problème réside dans l'existence d'une réglementation nationale datant de la fin des années 1950 et permettant à l'État d'obtenir la compétence unique sur l'exploitation des “matières premières stratégiques” à l'époque identifiées comme nécessaires à l'énergie atomique : hélium, uranium, thorium, béryllium, lithium et leurs composés. La crainte du parti indépendantiste ? Que l'État ne décide d'empiéter par ce biais sur la compétence dévolue à la Polynésie pour exploiter les ressources de ses encroûtements polymétalliques.
Ces références réglementaires sont pourtant aujourd’hui considérées par les scientifiques comme “inadaptées et devant être actualisées”, indique le rapport. Une mise à jour est prévue via le projet de refonte du code minier national, “en chantier depuis 2011, mais suspendu en 2021 sur ce point spécifique”. Le rapport explique également que le statut d'autonomie ne “fournit aucune indication sur la manière dont la compétence résiduelle de l’État s’articule avec celle de principe de la Polynésie française et ne précise pas dans quelle mesure la première conditionne la seconde”.
Une “limite” relevée à la fois par l'expertise menée par l'IRD en 2016 et par le rapport de 2020 sur la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins. Avec une suggestion dans ce dernier rapport : “l’idée qu’en contrepartie d’une compétence pleine et entière de la Polynésie française concernant ces minerais, leurs affectations pourraient être prioritairement orientée vers l’économie française”.