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Mieux vaut ne pas être malade à Hao


Seuls trois infirmiers et un dentiste sont basés en permanence à Hao. Le médecin s'y rend une fois par mois.
Seuls trois infirmiers et un dentiste sont basés en permanence à Hao. Le médecin s'y rend une fois par mois.
PAPEETE, le 21 octobre 2018 - Depuis deux ans, les habitants de cet atoll n'ont plus de médecin, ou plutôt, ils ont un médecin, mais celui-ci est basé à Tahiti. Une situation qui exaspère le tāvana, surtout que le professionnel de santé s'y rend une fois par mois uniquement.

L'histoire se répète, mais le cas de figure de Hao est hallucinant.

Situé à 920 km à l'est de Tahiti, l'atoll de Hao compte 1 200 habitants. Si la vie sur place est paisible, un problème majeur vient entacher cet environnement digne d'une carte postale.

L'atoll n'a pas de médecin attitré. Une situation qui dure depuis deux ans et qui commence à exaspérer les habitants et l'équipe municipale.

LE TAOTE VEUT UNE MAISON EN BORD DE MER

Rencontré sur Papeete vendredi dernier, le maire de Hao n'a pas caché son énervement face à cette situation qui dure depuis "trop longtemps".

Selon le premier magistrat, Théodore Tuahine, un poste de médecin a été créé à Hao. Mais, "le médecin qui est sur ce poste, est à Tahiti", parce qu'il "ne veut pas être à Hao". Il se rend sur cet atoll, une fois par mois. Une situation complexe bien connue dans nos archipels éloignés. "En plus, ils me demandent de répondre pour un deuxième poste de médecin sur Hao, c'est aberrant. Ils me disent que c'est sûrement la meilleure solution pour encourager le premier à y aller. Je ne comprends vraiment pas", s'indigne le tāvana.

Et ce n'est pas tout, le maire avance également une autre raison, assez surprenante, qui explique ce manque de taote à Hao. "Ils ont dit que s'il n'y a pas de médecin, c'était parce qu'il n'y a pas de maison en bord de mer avec sable blanc. Je leur ai proposé des maisons de la commune et que j'allais tout aménager. Ils n'ont pas voulu. En plus, cette maison se trouvait à 10 mètres du lieu de travail. Ils ont refusé soi-disant, que cela inciterait les allées et venues. Ils ont donc décidé de le mettre à 1 km", sur un terrain appartenant au pays. Depuis, le gouvernement a investi dans la construction de trois maisons sur cette parcelle située au Nord, à 1 km de "l'hôpital".

"Mais, pendant une réunion avec la population, un habitant m'a interpellé à ce sujet. Ce monsieur habite à 2 km de l'hôpital, côté Sud, et il est arrivé en premier aux urgences pour déposer son fils malade. Il m'a dit que sur place, il a patienté pendant une demi-heure avant que le médecin arrive. J'ai interpellé le ministère, de ce qui se passe. En plus, ce n'est pas à moi de régler ça. Il faut qu'on trouve une solution", déplore Théodore Tuahine.

AUCUN VÉHICULE DE SERVICE

Pendant l'absence de médecin sur Hao, ce sont les trois infirmiers présents sur l'atoll qui prennent la relève, en plus du dentiste.

Et si ce personnel de Santé fait de son mieux pour répondre aux demandes des uns et des autres, un problème majeur se pose, en dehors des horaires d'ouverture de l'hôpital, les véhicules de service.

En effet, les infirmiers n'ont pas de voitures. "Quand les habitants appellent aux urgences, ils doivent non seulement déposer leurs malades, mais ils doivent aussi aller récupérer l'infirmier. Et si c'est une famille qui n'a pas trop les moyens, eh bien, elle n'a pas le choix", regrette le premier magistrat. "Heureusement que la commune est là. Ça ne peut plus continuer ainsi".

UNE ENTREVUE AVEC LE PRÉSIDENT DU PAYS


Fatigué de cette situation, le tāvana tire aujourd'hui la sonnette d'alarme. "J'aimerai dire au ministre de la Santé de venir vivre à Hao ou dans les îles pour comprendre les choses. Je l'encouragerais aussi à travailler avec les maires. Je comprends qu'ils veulent bien faire les choses administrativement, mais est-ce qu'ils ont des personnes qui connaissent le terrain ?", s'interroge Théodore Tuahine.

Et de poursuivre : "Je laisse un peu de temps au président, parce qu'il est là que depuis 5 mois. Mais au bout du 6è ou 7è mois, j'irai le voir pour lui dire que ça ne va pas."

Le maire de Hao qui s'interroge aussi sur l'avenir de son atoll, "si aujourd'hui avec 1 200 personnes, ils n'arrivent pas à régler le problème, j'imagine demain, avec le projet aquacole qui amènera deux fois plus de monde."

La commune de Hao regroupe aussi les atolls d'Amanu et de Hereheretue. "À Hereheretue, il y a un auxiliaire de santé, mais, il n'y a pas d'avion et c'est un bateau tous les mois. À Amanu, il y a aussi un auxiliaire de santé. Cependant à Amanu, tu peux transférer plus facilement les patients sur Hao parce que c'est plus près", conclut le tāvana.

Quelle solution pourrait-on apporter à ces populations ? Ce qui est certain, c'est que ce manque de médecins se fait également sentir dans certaines villes françaises.


Théodore Tuahine
Maire de Hao

"Quand c'est grave, on fait un évasan"


"Je suis quelqu'un qui favorise le dialogue. J'essaye de comprendre les choses, mais à un moment donné, il faut réagir et on va interpeller le gouvernement. À Hao, les pathologies sont les mêmes qu'à Tahiti, même s'il y en a qui ont la tyroïde mais rien d'alarmant. Il y a la grippe, la fièvre… Quand c'est grave, on fait un évasan qui coûte cher au pays et aux contribuables. J'ai l'impression qu'ils préfèrent dépenser des millions au lieu d'emmener un médecin sur place."


L'interview de la Direction de la Santé

Laurence Bonnac Théron
Directrice à la Direction de la Santé

Pourquoi les médecins ont-ils du mal à se rendre dans les archipels éloignés ?

"Nous avons du mal à recruter aussi bien les médecins, les infirmiers, les sages-femmes… Ils ont de plus en plus de réticence à être seuls dans un poste dans les îles éloignées. C'est difficile pour eux et cela peut être dangereux parfois, puisqu'on peut être amené à faire des actes pour lesquels on n'est pas formé. Le poste de médecin à Hao est resté plus d'un an, vacant. Personne ne voulait postuler, comme celui de Ua Pou, d'Atuona, de Rurutu ou de Tubuai. Donc, plutôt que de perdre une chance de pouvoir recruter, j'ai demandé à ce que le poste soit rapatrié sur Papeete, où là, on a plus de facilités à recruter. Et nous avons pris l'engagement que ce médecin fasse régulièrement des missions sur Hao, mais aussi sur les autres atolls. Et à cette condition-là, on a un recrutement possible. Et si je reposte à Hao, puisque le poste sera bientôt vacant, il n'y aura pas de candidats. Pour 2019, on demande de doubler ce poste, compte tenu du développement économique que va vivre cet atoll, on s'était dit que si on mettait un deuxième médecin, eh bien, on pouvait les mettre tous les deux sur Hao."

C'est vraiment l'isolement le problème dans cette histoire ?
"En effet, il faut savoir que nous sommes un désert médical, au même titre que de nombreuses régions en France. Donc, il faut travailler avec ça. D'où l'effort de formation que l'on fait vers les infirmiers qui deviennent le pivot de notre système de soins, et les efforts sur la télémédecine, si toutefois, on a un outil informatique qui est compétent. Maintenant, il ne faut pas rêver, même avec la modification des études de médecine, la ressource médicale va se renforcer, mais dans dix ans. Et pendant dix ans, il faut trouver des stratégies. Alors, ce n'est pas de la mauvaise volonté. Les clichés carte postale avec sable blanc, ne suffisent absolument pas. C'est un cadre idyllique pour les gens qui sont en vacances, mais pour les médecins et les infirmiers, ce n'est pas idyllique du tout. C'est un vrai bagne, parce qu'on est d'astreinte 24 heures sur 24, 365 jours sur 365. On fait des actes difficiles, loin de toutes ressources techniques, on n'a pas de radio, de réanimation, de matériel performant. Et quand on déclenche une évasan, on a quand même entre 2 et 8 heures d'attente avant de pouvoir évacuer son patient. Pour les médecins, c'est une véritable performance et un défi quotidien. Je rends hommage à ces personnes qui sont dans les îles et qui font le métier que l'on fait, parce qu'ils prennent des risques, et croyez-moi, si on se plante, on va le payer."

Est-ce que ce n'est pas plus rentable de mettre un médecin permanent à Hao que de faire des évasans ?
"Ce n'est pas forcément plus rentable, parce que quand un médecin n'est pas sur place, l'infirmier est en relation avec un médecin du dispensaire des Tuamotu, qui est à Papeete, et quand il a une urgence, il est en relation avec le 15. J'ai obtenu du pays, par contre, la création de trois postes de sages-femmes qui iront en mission dans les archipels, dont deux aux Tuamotu et une aux Marquises, pour la santé des femmes."

Le maire de Hao souligne également le problème de locomotion. Qu'avez-vous à lui répondre ?
"Les voitures ne dépendent pas de nous. C'est le ministère de l'Equipement qui nous en attribue. On a eu des véhicules, mais on n'a pas eu ce qu'on demandait. J'ai envoyé des véhicules à Bora, à Uturoa, aux Marquises et dans un atoll des Tuamotu. Après, il y a les véhicules ambulances, les VSAV qui sont du ressort de la commune depuis 10 à 15 années. On ne peut envoyer des ambulances que si on est un hôpital."

Quel serait votre message pour les tāvana des archipels éloignés ?

"Le paysage de la Polynésie a grandement changé depuis 20 ans, et il faut prendre en compte le fait que nous sommes un désert médical. La direction de la Santé va tenter d'améliorer la médicalisation et la couverture sanitaire des îles éloignées, mais si les médecins ne sont pas favorables à y aller, on ne pourra pas les forcer. Par contre, on va renforcer les compétences des infirmiers, créer des postes de médecins itinérants pour pouvoir augmenter le nombre de rotations de missions, créer des postes de sages-femmes pour qu'elles puissent tourner dans ces archipels… Et si les tāvana veulent nous aider, en termes de logements, de véhicules, on acceptera volontiers. C'est un vrai défi que l'on vit."



le Dimanche 21 Octobre 2018 à 15:00 | Lu 11645 fois