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Mieux comprendre le métier d'éditeur : le livre, une passion qui se partage


PAPEETE, le 12/01/15 - Éditer des livres, le métier peut faire rêver. En réalité, l’éditeur n’est pas seulement celui qui lit, qui fait ou défait un écrivain, il est soumis à de fortes contraintes économiques. En particulier en Polynésie à cause d'un marché réduit et des soucis logistiques importants (impressions, envoi des livres, présence dans les librairies). Rencontre avec trois éditeurs du fenua : Les éditions des Mers australes, Haere po et Au vent des îles.

Être passionné

Guy Wallart, Éditions des Mers Australes : Pour être éditeur, il faut aimer lire et sentir la littérature. Il faut avoir du succès pour vendre des livres et pouvoir en faire d'autres. Un éditeur doit être gestionnaire et avoir le goût du public. J'étais enseignant à Rurutu et je devais apprendre à lire aux petits Polynésiens. Mais dans les livres, il n'y avait que des histoires de chênes, de glands et de champignons… Impossible de faire lire des enfants avec des images qu'ils ne connaissaient pas, il fallait des histoires locales pour les enfants. C'est comme cela que j'ai eu l'idée de faire des livres pour enfants.

Robert Koenig, Haere Pō : Pour être un bon éditeur, il faut aimer ce que l'on fait et avoir le temps.

Christian Robert, Au vent des îles : En tant qu'éditeur, je suis indépendant, je fais ce que je veux. Par ailleurs, l'édition fait appel à 1 000 métiers, il y a plein de filières de formation. Une seule évidence c'est que c'est extrêmement complexe. Il faut un peu d'ouverture quand on a affaire à des mondes très différents et à des subtilités de texte. Certains appellent ça de la passion, d'autres de l'engagement. Si demain quelqu'un veut travailler dans le monde l'édition, il faut qu'il soit passionné.

Contraintes logistiques et réalités économiques

Haere Pō : Nous produisons le livre entièrement à Tahiti : la maquette et l'impression. Ce sont des contraintes économiques terribles. À Tahiti, nous n'arrivons pas à avoir la qualité de la couverture à un prix abordable comme si c'était imprimé en Chine, on ne peut pas dépasser un certains grammage de papier. Nous faisons tout par nous-mêmes, nous sommes tous bénévoles, c'est comme cela que nous arrivons à être rentables car tout est réinvesti dans d'autres livres. Nous sommes contraints de faire de bons livres qui marchent. Nous apportons les livres nous-mêmes dans les librairies de Tahiti et des archipels.

Au Vent des îles : Nous essayons d'être des relais de pensée mais ensuite, nous sommes contraints par l'économie. C'est sûr, c'est plus simple de vendre un livre de recettes qu'un auteur des Samoa. Il est difficile d'obtenir un équilibre avec la publication d'un livre car le monde de l'édition n'est pas soutenu, les seules recettes qui puissent nous faire vivre sont les nôtres. Nous publions des sujets qui nous paraissent important de soutenir. Beaucoup de gens pensent que les livres sont trop chers et pourtant ce n'est pas vrai. Nous finançons les frais de la fabrication d'un livre, les frais de structure, un loyer, les salaires, la CPS … C'est pour ça qu'il y a qu'une seule maison d'édition sous forme d'entreprise en Polynésie car c'est très complexe. L'autre vision du métier, c'est des cartons de livres, des milliers de kilos à déplacer, qui ont une valeur. Nous n'avons pas un fonctionnement "polynasio-centré", on travaille en Asie mais aussi en Europe de l'Est. Nous imprimons sur des lieux utilisés par tous les éditeurs du monde. Un livre d'Au Vent des îles peut être acheté à la Fnac, à Nouméa et à Marseille au même prix.

Éditions des Mers Australes: Nous faisons deux titres par an. Nous sommes le premier éditeur à faire des livres pour enfants, c'est très plaisant car nous avons débroussaillé ce monde-là. Comme nous sommes sur une niche, nous sommes rentables économiquement. Notre principal problème est de vendre trop de livres car cela coûte cher de faire réimprimer en Chine. Nous ne pouvons pas imprimer à Tahiti car nos livres sont cousus, cartonnés et plastifiés pour les enfants. Nous travaillons à la maison. S'il fallait en vivre avec un bureau et des salariés, ça ne serait pas possible. La difficulté en Polynésie, c'est que le marché est tout petit, par contre, la fabrication d'un livre coûte aussi cher qu'en France.

La sélection des écrivains

Haere Pō : Nous devons toujours aller avec l'auteur au-delà de ce qu'il nous propose. Un livre peut se faire en quelques mois ou en dix ans. Parfois la gestation est plus longue que chez les éléphants et les baleines ! Mais quand on nous donne un texte presque parfait, ça peut être très court. Nous sommes une petite dizaine d'amis à travailler ensemble pour sélectionner les livres. Par exemple, nous avons eu la volonté de traduire Le Petit Prince en tahitien et marquisien car nous attachons beaucoup d'importance à l'existence des langues. Nous avons le respect de l'écriture et de la langue. Souvent, les gens nous proposent des textes au moment des rencontres comme le salon du livre. Des fois par téléphone, par mail et puis on en cherche aussi des textes. On fait appel à notre propre curiosité comme l'histoire, la linguistique, les traductions de textes sur le Pacifique jamais publié dans notre région. Notre première limite est de ne publier que des livres en rapport avec Tahiti et ses îles. Je pense réellement que chaque livre est une aventure différente.

Éditions des Mers Australes: Quand on a créé cette littérature jeunesse, il a fallu trouver des auteurs et des illustrateurs. On commence à avoir des gens sur le territoire, mais il faut un style d'écriture pour la jeunesse, peu de monde est formé à ça. La moitié de nos auteurs viennent de Polynésie, les autres de l'extérieur. Nous essayons de trouver des gens capables d'écrire pour les enfants. Nous sommes un petit comité de lecture et relecture, il y a ma femme et moi, d'anciens conseillers pédagogiques et enseignants … Les gens qui veulent publier des livres viennent nous voir. Aujourd'hui, on a de quoi faire des livres pendant 5 ans.

Au Vent des îles : Nous voulons aider les gens à se construire un avenir ou se souvenir d'un passé et également - ça c'est le combat d'Au vent des îles - élargir le champ éditorial du Grand Pacifique. Nous voulons rapprocher les gens du Pacifique, c'est une région unique même si elle est traversée par des guerres et des rivalités. C'est important de réaliser qu'il y a un passé, tout peuple ne peut se construire qu'en ayant conscience de son lien.

Au Vent des îles nous recevons entre 10 et 20 manuscrits par mois. Malheureusement nous en gardons très peu. Choisir un manuscrit pour un éditeur, ce n'est pas se positionner comme le juge qui sait et les autres qui sont bons ou pas bons, c'est penser estimer, espérer que cet écrit va pouvoir rentrer dans la ligne éditoriale de celle de la maison, qu'on aura les moyens d'amortir ce produit.
Je reçois plein de manuscrits très bon mais je ne suis pas armé pour les éditer et les défendre. Nous avons un fonds du Pacifique, il faut que le livre rentre dans le marché sur lequel on est identifié.
Pour faire un livre il nous faut 7 à 8 ans à quelques mois. Il y a le travail de correction, de relecture… Nous avons un comité de lecture qui lit et qui est rémunéré pour ça. En fonction des notes du comité le manuscrit est relu une seconde fois. Souvent il s'est passé un an entre un livre fini et la sortie d'impression.

Culture orale ou culture écrite

Au Vent des îles : Quand j'entends dire : les Polynésiens ne lisent pas, ça me révolte ! On ne lit pas plus ici qu'ailleurs c'est vrai. Je ne suis pas du tout d'accord avec cette idée de tradition orale, c'est une évidence qu'il y avait peu d'écris dans la société ancestrale polynésienne mais c'est pareil pour tous les peuples du monde. Cependant, beaucoup de gens ne lisent pas de fonds océaniens, ce qui me surprend toujours, la destination du livre n'est pas réservée à une élite, ni un groupement politique, tout le monde a un intérêt de lire des thématiques du pays dans lequel il vit. La littérature c'est le meilleur moyen de découvrir ce que les gens font ici.

Éditions des Mers Australes: C'est vrai qu'en Polynésie on ne lit pas énormément mais pour nous, qui sommes une "niche", nous vendons très bien, ici mais aussi en France, en Nouvelle-Calédonie …

Haere Pō : Normalement, nous ne rencontrons pas tellement notre public sauf dans les salons, c'est très important car c'est là que nous pouvons voir des lecteurs fidèles, de futurs lecteurs et auteurs. À Papeete, le public est très différent de Rimatara ou Taravao. C'est toujours très intéressant et enrichissant. C'est vrai que l'amour du livre prend des chemins très détournés. Donc, est-ce que les gens d'ici lisent ? Je pense que le problème c'est d'abord l'accès au livre, même à l'école. Dans les écoles, les enfants ont plutôt des photocopies que des livres. On dirait que les enfants ne savent pas tourner les pages. Est-ce à cause des photocopies ou de l'habitude de la tablette ? On distribue des marque-pages mais beaucoup n'ont pas de livres à la maison et ne savent pas ce qu'est un marque- page. C'est très surprenant !

Haere Pō a été fondée en 1981 par un groupe d'amis qui aimait les livres sur la Polynésie Française. Robert et Denis Koenig accompagnés de leurs amis ont décidé de fonder leur maison d'édition pour publier ce qui avait été écrit sur Tahiti et ses îles et "pour donner la parole à ceux qui ne l'ont pas". Haere Pō signifie noctambule, c'est une allusion aux marcheurs de la nuit, aux gens dans les temps anciens qui marchaient autour des marae en récitant des légendes, des généalogies pour préserver la mémoire. Le logo représente un dessin de Bobby quand il était à Huahine qui montre un jeune homme tatoué, tapant à l'ordinateur. Quatre-vingt-quinze livres ont été édités.
www.haerepo.com

Éditions des mers Australes : Créée en 1986, elle édite des livres pour enfants et adolescents. Ce sont des albums richement illustrés qui racontent des histoires anciennes ou modernes de la Polynésie française faisant appel au vécu des enfants tahitiens. La création des Éditions des Mers Australes est partie d'une bande d’amis enseignants constatant un gros problème de lecture auprès de leurs élèves et une absence totale de livres jeunesses pour les enfants polynésiens. 70 titres ont été édités.
www.editions-mers-australes.com

Au vent des îles : Depuis plus de 20 ans, cette maison d'édition s'est spécialisée dans la publication d'ouvrages d'auteurs océaniens ou traitant de l'Océanie. Son catalogue comprend une dizaine de collections : littérature, sciences humaines, pratique, guide, jeunesse. Les collections littératures du Pacifique et culture océanienne sont également disponibles au format Ebook. Deux-cent titres ont été édités.
www.auventdesiles.pf..

Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Mardi 12 Janvier 2016 à 09:08 | Lu 1597 fois