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Michel Boujenah : “Il y a des histoires qui touchent tout le monde”


Tahiti, le 15 janvier 2024 - Michel Boujenah va fouler les planches du grand théâtre de la Maison de la culture le 20 janvier prochain. L'humoriste de 71 ans va jouer son dernier spectacle “Adieu les Magnifiques”, qui clôt sa trilogie humoristique, entamée au début des années 80. L'artiste, qui est arrivé ce lundi matin au Fenua, s'est confié, pour Tahiti Infos, sur son spectacle qui interroge sur la place des anciens, de nos grands-pères, dans notre société. 
 
Vous venez de mettre le pied pour la première fois en Polynésie, quelle est votre première impression ?
“Je déteste la montagne, la neige et le froid, je n'aime que la mer. Dès qu'il y a la mer, je suis content. Je suis sûr que si je reste ici un mois, je m'y installe (rires). Ici, c'est comme quand on arrive aux Antilles, on sent que la vie est là. C'est aussi pour ça que je suis venu ici d'ailleurs. Si j'avais fait 24 heures d'avion pour jouer dans un endroit comme Lille, je n'y serais pas allé. Alors oui, forcément, la première impression est bonne. Je suis très content. Même si, pour l'instant, je n'ai vu que l'aéroport.

J'aime le bruit de la mer, le bruit du ressac (il tend l'oreille), vous l'entendez ? Ça veut dire que je vais bien dormir. Car l'endroit où je dors le mieux, c'est sur un bateau et que j'entends ce bruit, car c'est le son de mon enfance, même si ce n'est pas la même mer que la Méditerranée.”

 
Vous allez jouer votre dernier spectacle, “Adieu les Magnifiques”, qui clôt la trilogie. Ces Magnifiques sont trois personnages, trois vendeurs de pantalons, que vous jouez tous les vingt ans et qui sont nés au début des années 80. Vous leur dites donc définitivement adieu ?

“Il y a une phrase dans mon spectacle qui dit, tant qu'il y aura des auteurs pour nous écrire, et des acteurs pour nous jouer, on sera éternel. C'est pour être fidèle à cette phrase que je me suis dit, à l'époque, que je les jouerais tous les vingt ans. Il se trouve que là, dans 20 ans, je ne jouerai plus.
J'ai d'ailleurs eu un intérêt particulier à l'écrire, car c'est la rencontre de la génération de mon père et celle de mon fils. De ces gosses qui vivent à Paris, avec toute cette nouvelle technologie. Quel rapport ont-ils avec leurs grands-pères ? D'ailleurs, quelle place ont les vieux aujourd'hui sinon à l'Ehpad ? Donc c'est à la fois un portrait de la jeunesse d'aujourd'hui à travers le regard de ces Magnifiques, de ces grands-pères, et à la fois sur l'indispensable place de la mémoire. Car on ne peut pas vivre sans mémoire. Tout ça n'a pas l'air drôle du tout alors que ça l'est, car la confrontation est tellement forte. Car ils sont perdus en face de ces jeunes, et c'est passionnant, ce n'est pas un spectacle nostalgique, bien au contraire.”

 
Allez-vous adapter votre spectacle au public polynésien ?

“Je ne m'adapte pas à la culture locale, mais au public. L'important, c'est est-ce que les gens ici sont touchés par la mémoire des anciens ? Si c'est important pour eux, est-ce que les vieux ont une place ici ? Est-ce que les petits-enfants se souviennent d’où ils viennent ? Est-ce que les racines, ça joue un rôle ? C'est ça qui est important. Il y a des histoires qui touchent tout le monde, parce que c'est sincère.”
 
Désormais, sur la scène comique française, c'est le stand-up qui est à la mode avec l'arrivée d'une nouvelle génération d'humoristes. Il y a moins l'incarnation et l'interprétation de personnages comme c'est le cas avec ces Magnifiques. Est-ce un phénomène culturel ?

“En effet, ils ne jouent plus. Mais c'est vieux comme le monde, ça existe aux États-Unis depuis très longtemps. C'est comme au cabaret également, à l'époque, les mecs montaient sur scène et ils parlaient, ils racontaient des histoires, c'est pareil... Dans la tradition, c'était plus écrit, mais ça se ressemble. C'est culturel oui, un phénomène culturel, ce sont des jeunes qui viennent de la culture rap, de la banlieue, etc. Ils arrivent, ils ont besoin de rien pour faire un spectacle, ils causent au public et c'est tout. Mais attention, c'est extrêmement difficile à faire. J'ai beaucoup de respect pour ça, car j'ai essayé une fois à Montréal, j'ai pris une claque, au bout de 20 minutes j'étais rentré chez moi. C'était une des seules fois où j'ai senti que je n'étais pas capable de faire quelque chose. Après, le danger, c'est qu'il n'y a pas de recherche artistique véritablement. Ce sont des gens qui écrivent leurs mémoires à 20-30 ans. Mais attention, je le répète, c'est difficile.”
 

À quoi est dû cet engouement du public ?

“Je crois que c'est une langue immédiate qui plaît, c'est le langage de la cour de récréation qui a pris le pouvoir. Il y a le langage du cours et le langage de la cour. Moi ce que j'aime, c'est la poésie, quand on va chercher des choses poétiques. C'est ça qui rend les choses éternelles. Le stand-up, c'est génial, mais c'est limité dans le temps. Ils seront obligés de passer à la fiction. Car une fois qu'ils auront tout raconté, qu'ils auront fait leurs mémoires, que vont-ils dire de plus ? Il va falloir apporter un autre propos et trouver une langue pour le faire.”
 
Vous avez une carrière incroyable, autant au théâtre que sur le grand écran. Comment fait-on pour se renouveler continuellement comme vous le faites ?

“Je ne pense pas à me renouveler. On ne se renouvelle pas, on continue à chercher. Van Gogh, Brassens, Jacques Brel, les Beatles... Se sont-ils renouvelés ? Jamais. Par contre, ce qui est important, c'est de continuer à chercher sincèrement au plus profond de nous, de notre cerveau, de creuser, pour faire mieux et évoluer. On progresse, on ne se renouvelle pas.”
 
Quels sont vos projets après ce spectacle ?

“J'ai dernièrement fait un film de Claude Lelouch, qui va bientôt sortir et qui s'appelle “Finalement”. J'ai aussi tourné un film avec Maxime Gasteuil, un autre au Maroc. Je vais aussi bientôt jouer dans une pièce de théâtre d'Ivan Calbérac, à partir de janvier 2025, et puis j'écris les Magnifiques pour le cinéma... Car j'ai besoin de les mettre au cinéma, de les libérer. J'ai plein d'autres projets à venir également. Ça fait beaucoup. Là, théoriquement, les prochains projets que j'ai m'amènent jusqu'au moment où je vais lever le pied. J'ai 7-8 ans de travail devant moi et après je lève le pied.”
 

Pour finir, vous disiez à Tahiti Infos en novembre dernier qu'il fallait absolument qu'on vous emmène pêcher pendant votre voyage en Polynésie. Avez-vous déjà organisé vos sorties ?

“Au total, je reste dix jours en Polynésie, à Tahiti, Moorea et Bora Bora. Mais oui, il faut que je pêche, j'attends ça avec impatience, j'adore ça. J'ai contacté énormément de personnes pour ça. Même si je suis le plus mauvais pêcheur du monde. Quand je sors pêcher, toutes les mamans poissons disent à leurs enfants 'c’est bon, c’est Michel, vous pouvez y aller, vous ne risquez rien'.”
 

Rédigé par Thibault Segalard le Lundi 15 Janvier 2024 à 18:30 | Lu 1720 fois