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Mara Aitamai sur l'affaire du FDA : “C'était Teina le patron”


Tahiti, le 25 octobre 2022 – Seul condamné en appel dans l'affaire du Fonds de développement des archipels (FDA), avec la relaxe de Teina Maraeura, l'absence d'Émile Vernaudon et le décès de Coco Taputuarai, Mara Aitamai ne formera pas de pourvoi en cassation. Ce dossier, vieux de 14 ans, est officiellement terminé, mais l'ancien directeur goûte peu d'être tenu pour seul responsable des problèmes de gestion de l'établissement public. “Il était clair pour tous les tāvana avec qui j'ai pu travailler pendant deux ans et demi que c'était Teina le patron”, tient à préciser Mara Aitamai.
 
Qu'est-ce qui motive aujourd'hui votre envie de vous exprimer sur cette affaire du FDA. Est-ce que c'est le fait de s'être retrouvé la semaine dernière à être le seul condamné en appel dans ce dossier ?
 
“Je crois qu'il était important de mettre les points sur les "i". Oui, Teina Maraeura a été complètement relaxé. Son avocate a été pointilleuse en mettant le doigt là où il fallait et en disant que Teina, même s'il était PCA, n'avait jamais eu à signer quelques bons de commande, factures ou bons à paiement que ce soit… Sauf qu'il faut reconnaître qu'il était le grand patron. Par rapport à ma mission à moi de directeur général, c'est quand même lui qui dictait le plan de travail, qui me disait quoi faire, sans pour autant mettre sa signature à chaque page tous les jours.”
 
Vous ne formez pas de pourvoi en cassation, pourquoi ?
 
“J'en ai discuté avec mon avocat. Et du cauchemar d'où je reviens, c'est inutile. Je crois qu'à un moment donné, il faut que chacun reconnaisse un peu ses torts et ses manquements. On va dire qu'il y a 14 ans, j'ai démarré l'affaire avec une accusation de Chantal Tahiata, Opahi Buillard et Tahiarii Cabral sur le fait que j'aurais détourné près d'un milliard. Donc, il y a 14 ans, j'étais certainement le plus grand bandit de la planète. Aujourd'hui, je m'en sors en étant coupable d'un abus de bien social sur des outils que j'avais pris, ramené ensuite, mais ce qui avait été considéré comme un vol…”
 
On rappelle qu'il y a un stylo Mont Blanc, un téléphone satellite et deux pirogues…
 
“Pour ce qui est des pirogues, j'ai été condamné pour négligence parce qu'effectivement je n'avais pas vérifié si ces pirogues avaient été construites et livrées. J'ai payé. J'ai fait confiance à mes collaborateurs… Mais ces pirogues n'ont jamais été construites ou livrées. (…)”
 
Le principal délit mis au jour dans cette affaire, c'est le saucissonnage de marchés publics de fare MTR au bénéfice de sociétés appartenant à feu Coco Taputuarai. Expliquez-nous ?
 
“Ce n'est pas aussi simple. La manière la plus officielle et la plus rigoureuse de procéder, pour un établissement public, c'est l'appel d'offres. Moi je n'ai jamais participé aux commissions d'attributions, donc je ne pouvais pas attribuer ni à monsieur Taputuarai, ni à quelques sociétés amies que je pouvais avoir dans l'entrepreneuriat. (…) Sauf que dans le cadre de certains marchés, on se retrouvait coincés, au pied du mur, par rapport à des maisons qu'on devait aller construire sur Nukutavake, sur Nukutepipi ou en tout cas sur des atolls éloignés. Et personne ne voulait y aller, parce qu'il fallait y emmener une équipe qui reste deux mois au minimum. Donc, on est reparti sur des consultations pour demander à des entreprises existantes qui voulaient bien aller sur ces atolls éloignés. Eh bien, un des seuls qui a répondu à ça, c'est Coco Taputuarai. Après, c'est facile, de fil en aiguille, de dire qu'il y a eu saucissonnage.”
 
Mais les marchés ont tout de même été attribués à Coco Taputuarai, en plusieurs lots non contrôlés ?
 
“Il n'a pas été le seul. Mais c'est vrai que sur beaucoup de zones, c'est le seul qui a accepté d'aller construire des maisons.”
 
Il a été question pendant la procédure d'enveloppes d'argent en liquide remises régulièrement par les trois gérantes des sociétés de Coco Taputuarai à ce dernier. Cet argent est-il remonté jusqu'au FDA ?
 
“Pas du tout. Moi je l'ai appris en prenant lecture des différents procès-verbaux. J'ai découvert que Coco avait cette manière de procéder, mais je n'ai jamais eu à le vivre et je ne sais pas ce qu'il en a fait…”
 
Pendant ce procès, votre ancien PCA, Teina Maraeura, vous a chargé de toute la responsabilité de ces malversations. Il a été relaxé parce que vous étiez, en tant que directeur, le seul ordonnateur de ces dépenses. Vous le contestez ?
 
“J'avoue que, quand ils ont prononcé le jugement final, lorsqu'ils ont annoncé que Teina était totalement relaxé, j'ai eu peur. Je me suis dit que j'allais hériter de la catastrophe globale. Et finalement, de la manière dont la présidente du tribunal a expliqué les choses… Je reconnais la négligence. Je n'ai pas voulu reconnaître l'abus de bien social, parce que j'ai ramené le stylo et le téléphone. Mais bon, ils n'ont retenu que la première action. J'ai pris, donc j'ai volé. Mais là où je me demande si c'est moi qui aurais dû payer tout seul… C'est quand je me demande si on n'a pas voulu sauver Willy.”
 
Willy en l'occurrence, c'est Teina Maraeura ?
 
“Il était clair pour tous les tāvana avec qui j'ai pu travailler pendant deux ans et demi que c'était Teina le patron. C'était Teina qui filait la feuille de route, qui me remontait les bretelles lorsque je n'étais pas à jour. Son objectif, c'était de livrer clé en main 50 maisons par mois dans tous les archipels. Au début, c'était compliqué. Mais au bout de quelques mois, on a trouvé le rythme avec les entrepreneurs qu'il fallait. Il suffisait qu'on retombe à 30 maisons par mois pour que je ramasse une valse de la part de Teina qui me disait même : ‘Si tu fais le con, je te jette’.”
 
Est-ce qu'aujourd'hui vous regrettez et vous comprenez le ras-le-bol de la population sur les atteintes à la probité ?
 
“(…) J'espère en tout cas du fond du cœur que ce que j'ai vécu a permis aux différents gouvernement après le Taui d'aller vers une forme de correction de ce qui a été fait, du système de contrôle.”
 

​Hao : “On est passé à côté de quelque chose”

Sur le projet aquacole de Hao, vous êtes le consultant à maîtrise d'ouvrage de ce projet. Où en est-on depuis le discours d'Emmanuel Macron en juillet 2021 sur ce sujet ?
 
“Si on fait juste un petit flashback, j'avais lancé les travaux juste avant l'arrivée du Président Macron. (…) On était limite, border line. Si on n'avait pas lancé les travaux, les permis de construire tombaient. Donc on a été obligé. Et puis on a pensé qu'il fallait passer à l'action. On a commencé à faire les premiers travaux, les 280 conteneurs devaient quitter Shanghai, on était un peu à la fin du Covid… Mais la venue du Président Macron, avec ce qu'il a pu dire dans son discours, a nécessairement beaucoup vexé l'investisseur chinois. Parce que c'est quand même quelqu'un de sérieux. Pratiquement tout le gouvernement a eu l'occasion d'aller à Shanghai voir ce qu'il a fait. (…) Je crois qu'il y a eu une discussion entre Wang Cheng et le président du Pays, sous une forme que je trouve un peu bizarroïde, avec un accord commun qui se reporterait après les élections territoriales de 2023 pour éventuellement relancer les travaux. Mais ça veut dire qu'on va refaire toute cette partie de dossiers techniques pour obtenir un nouveau permis de construire.”
 
Aujourd'hui, les permis de construire ne sont plus valables ?
 
“Oui, c'est fini. (…) J'ai peur de voir que la maire qui a remplacé Théodore Tuahine ne soit pas favorable au projet. Est-ce que c'est parce qu'il avait été porté par Théodore ? Est-ce que c'est parce qu'elle n'y croit pas ? On allait quand même créer 750 emplois durables. On allait faire revivre Hao. Je ne sais pas où elle était pendant les années où le CEP est parti, mais ça allait être une nouvelle bouffée d'oxygène.”
 
Vous êtes toujours en contact avec l'investisseur chinois Wang Cheng ?
 
“Toutes les semaines. On reste en contact. Malheureusement, ce qu'il faut voir c'est ce qu'on aurait réussi derrière si on avait lancé la construction du projet. Ça allait faire comprendre aux autres grosses entreprises chinoises que la Polynésie pouvait accueillir des projets d'investissement type hôtels, etc. On était prêts à remettre de l'argent pour la réfection de l'aéroport de Faa'a ; pour la construction de l'aéroport de Nuku Hiva. On était parti sur un investissement conséquent pour le Pays et aujourd'hui on n'a rien.”
 
On a quand même l'impression qu'on vend beaucoup de choses sur ce projet aquacole, qui finalement ne se sont jamais réalisées : l'emploi, la production, l'export… Si tout cela avait dû se concrétiser, pourquoi ça ne s'est pas fait plus tôt ?
 
“Avec du recul, on se dit avec monsieur Wang Cheng qu'on n'aurait pas dû annoncer le projet tel qu'on l'a annoncé. C’est-à-dire 1 000 bassins flottants dans l'eau… Un projet aussi gros. (…) C'est dommage, on est passé à côté de quelque chose. Je sais que la Calédonie est en train de faire appel à monsieur Wang Cheng. Imaginons qu'il décide d'emmener tous ses investissements en Nouvelle-Calédonie ?"
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Mardi 25 Octobre 2022 à 20:23 | Lu 3305 fois