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Manoukian en "conférence pianotée" sur le motu de l’Intercontinental Tahiti


Tahiti, le 15 novembre 2022 – André Manoukian se produira sur le motu de l’hôtel Intercontinental de Faa’a les 3 et 4 décembre à partir de 19h30 avec son spectacle intitulé “Les Notes qui s’aiment”, à l’initiative de SA Productions, Radio1 et Tiare FM.

Vous êtes venu en 2013 avec China Moses pour deux concerts sur le motu de l’hôtel Intercontinental Tahiti, en gardez-vous un bon souvenir ?
“J’en garde un souvenir qui m’émeut beaucoup. Avec China Moses, c’était la première fois qu’on donnait un concert elle et moi. Lorsque nous sommes montés sur scène et que nous avons vu la foule, avec un tel enthousiasme, nous nous sommes dit que nous avions gagné notre pari. Ce que je retiens du public tahitien, c’est beaucoup de chaleur. Nous les artistes, on adore ça ! En France, en fonction des villes, on nous dit parfois que le public n’est pas très démonstratif, mais que cela ne les empêche pas d’apprécier. Je vous assure que cela fait beaucoup plus de bien de jouer devant des Tahitiens. Le public est très démonstratif, et nous on aime ça.”
 
Le prochain événement au fenua est à la fois un spectacle, une conférence “pianoté”" et un one-man-show. De quoi vous êtes-vous inspiré pour ce format-là ?
“En réalité, c’est un one-man-show sur l’histoire de la musique, avec des histoires vraies de musiciens, racontées à travers mon expérience. Dans un premier temps, je raconte mon amour du jazz, […] et surtout je raconte que tous les musiciens classiques et grands compositeurs dont on étudie les œuvres dans les conservatoires, savaient tous improviser, tels que Mozart, Beethoven, Bach, Haydn… Il y avait des battle entre eux, à l’exemple de Mozart versus Clementi. On n’a pas attendu Booba et Kaaris pour faire des battle. […] Je dis ‘conférence pianotée’ car il y a des preuves à l’appui, avec le piano. J’adore expliquer la musique d’une manière drôle. Lorsque vous la jouez, les gens comprennent même s’ils ne sont pas du tout initiés. […] Chanter c’est plus que se mettre à nu, c’est dévoiler son âme. En réalité c’est un striptease spirituel. Pour le troisième volet, je parle de la musique en Orient puisque c’est l’héritage que j’ai eu de mes parents Arméniens. Toujours au piano, je démontre la différence en Orient et en Occident. […] On va donc finir sur une note de tendresse et de nostalgie. Ce spectacle est un voyage dans lequel j’emmène les spectateurs, une sorte d’initiation à la musique à travers l’humour, la sensibilité et les émotions, pour finir sur une touche d’Orient.”
 
Qu’est-ce que cela signifie “les notes qui s’aiment” ?
“À l’âge de trois ans, lorsque le petit Mozart était sur son clavecin et que son père lui a demandé ce qu’il faisait, il a répondu : ‘Je cherche les notes qui s’aiment’. C’est la plus belle définition de la musique qui soit. En réalité, un compositeur est à l’écoute, et cherche les notes qui aiment aller les unes sur les autres. En revanche, lorsque l’on joue des notes voisines, cela crée de la dissonance. Par contre, si l’on joue l’accord parfait, avec de l’espace entre les notes, cela crée un sentiment d’apaisement. […] La musique est à la fois subjective et objective. Objective car ce sont des fréquences mathématiques, reliées par des nombres simples qui font de belles courbes. Tout d’un coup, les fréquences dont le rapport est plus complexe, on obtient ce qu’on appelle du bruit et de la dissonance. Il y a des notes qui s’aiment et d’autres qui se détestent. Le rôle de chaque musicien est d’amener le spectateur vers l’extase.”
 
Vous parlez autant de l’aspect scientifique que de l’aspect émotionnel de la musique, cela donne l’impression que vous n’aimez pas classer la musique par genres. Pouvez-vous nous expliquer ?
“Comme disait Joe Killington, ‘il y a deux musiques : la bonne et la mauvaise’. Pour moi, le jazz est l’aboutissement de la musique classique. C’est quoi une chanson populaire ? C’est une petite ritournelle que les gens retiennent dès la première écoute. Pour un compositeur, c’est l’une des choses les plus difficiles à faire. Prenez l’exemple de Beethoven, dont la mélodie se retient avec seulement deux notes. Pareil pour Mozart, ce sont des mélodies qui nous enchantent. Il n’y a pas de musique savante, il faut amener les gens et se faire entendre par eux. […] La mélodie, c’est l’entendre une fois et s’en rappeler toute sa vie.”
 
Vous êtes compositeur et improvisateur de jazz, certains vous ont qualifié d’‘artiste de la punchline’. Est-ce que vos textes sont préparés en amont ou, là aussi, c’est de l’improvisation comme le jazz ?
“Je vous confirme que c’est du jazz. Je n’ai jamais préparé ces ‘punchline’ comme on dit. J’en parle d’ailleurs en troisième partie, lorsque j’évoque mes ancêtres Arméniens. En fait, il s’agit de se faire comprendre par l’autre. Et pour une minorité, c’est une question de survie. Je tiens cela de ma grand-mère, elle avait la tchatche. Elle a convaincu le commandant turque du convoi qui l’a déporté vers la mort, de l’‘épargner’. Encore une fois, c’est une question de vie ou de mort. Finalement, la métaphore est la meilleure manière de se faire entendre par tout le monde, et en plus ça fait rire. Donc ça passe.”
 
Justement, l’humour est au centre de vos spectacles, est-ce important pour vous d’aborder la musicologie avec légèreté ?
“La musique est une science puisque ce sont des mathématiques, mais c’est aussi de l’Éros. Le paradoxe de la musique est la spiritualité car toutes les premières musiques étaient élevées vers les esprits. Le premier musicien peut être caractérisé par le chaman, qui communiquait avec les esprits à travers des instruments de musique. […] En même temps, la musique symbolise la fête, elle vous rend fou. […] Suivant la musique que vous écoutez, cela vous met dans des états différents, sans même comprendre pourquoi. Donc, la musique étant ce mélange explosif de spiritualité, d’érotisme, de mathématiques et de folies, on est bien obligés de naviguer entre ces deux pulsions-là. Le plus grand cadeau que peut vous faire la musique, est de vous faire voyager. Elle transporte et vous fait sentir plus léger.”
 
Vous dites dans votre spectacle, “les chagrins d’amour, c’est le meilleur mood pour composer”. Vous l’avez déjà expérimenté ?
“Oh que oui ! En fait, l’avantage pour un compositeur, est que lorsqu’il y a un chagrin, on se confie à notre instrument. Du coup, il y a des choses qui sortent, qui ne seraient jamais sorties en temps normal. Si Beethoven ne s’était pas fait largué par une comtesse, il n’aurait jamais composé ces trois notes que l’on connaît tous aujourd’hui. […] Prenez l’exemple du psy qui essaye de faire sortir la douleur avec des mots. Là, vous la sortez avec des notes de musique, ce qui est encore mieux que d’aller chez le psy, parce qu’avec un peu de chance, ces notes peuvent faire un tube et on peut gagner de l’argent avec le chagrin.”
 
Êtes-vous intéressé par la musique polynésienne ?
“Mais grave, et pour moi c’est fondamental. […] J’ai eu la chance de voyager dans des endroits aussi paradisiaques qu’ici. Or, quand il n’y a pas de musique, un endroit paradisiaque ça ne vaut rien du tout. Ce qui fait la beauté des îles polynésiennes, ce sont les gens et leurs musiques. Je n’ai jamais entendu une musique qui soit aussi envoûtante et douce, que rythmée et entraînante. Je défie quiconque de ne pas être pris par un spectacle de musique polynésienne. Je dirais presque que c’est un art total.”
 
Un article est paru à votre sujet, en tant qu’entrepreneur, abordant la musique générée par l’intelligence artificielle. Pourtant, vous avez un discours qui évoque l’aspect humain de la musique. Finalement, vous vous intéressez aussi à la musique “robotique” ?
“Attention, il y a un gros contre-sens. Au contraire, je mets l’intelligence artificielle au service du compositeur. En aucun cas un robot ne pourra composer une mélodie digne de ce nom. D’ailleurs, ma punchline à ce sujet serait ‘un robot composera un morceau digne de ce nom le jour où il éprouvera un chagrin d’amour’. Avouez que nous sommes tranquilles d’ici à ce qu’un robot se fasse larguer ou qu’il éprouve un chagrin d’amour. Sinon, je m’intéresse à toutes les techniques de la musique. J’ai commencé par un studio d’enregistrement, puis avec les ordinateurs. Lorsque l’intelligence artificielle est arrivée, il fallait l’expérimenter. En la mettant au service des compositeurs, on les aide à multiplier leurs œuvres. En fait, un compositeur va créer une œuvre qui va devenir une matrice, qui va générer d’autres œuvres, mais en examinant toutes les combinaisons possibles. Mais – et j’insiste sur ce point-là – cela reste la création d’un compositeur.”
 

Rédigé par Propos recueillis par Radio 1 le Jeudi 17 Novembre 2022 à 17:06 | Lu 1109 fois