Extraction du phosphate à Makatea
MAKATEA, le 28 novembre 2016. Tahiti Heritage et Vahineitiara vous transporte cette semaine à Makatea, cette île du bout du monde, qui au début du 20e siècle a mis un pied dans la civilisation industrielle.
Un rayonnement sur tout le pacifique
La présence de phosphates à Makatea fut décelée par le Capitaine Bonnet vers 1860, mais ce n’est qu’au début du 20ème siècle, que l’exploitation fut lancée. Le phosphate présentait alors un nouvel enjeu économique car il entrait dans la production d’engrais azotés indispensables à des terres pauvres en sels minéraux et servait de base de production aux explosifs nitrés.
Etienne Touzé, ingénieur des Travaux Publics à Papeete, créa le 2 octobre 1908 la Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie (CFPO), qui obtint en 1917 la concession de l’exploitation minière de toute l’île. L’atoll surélevé de Makatea, seul endroit de Polynésie où la production et les échanges prenaient une ampleur à l’échelle des réalités du monde économique moderne, rayonnait au début du 20ème siècle sur tout le pacifique.
Le quart des recettes budgétaires de la Polynésie française
La Compagnie Française des Phosphates d’Océanie versait à elle seule 28 % des salaires du secteur privé et assurait le quart des recettes budgétaires de la Polynésie française en 1966, à la veille de l’abandon. En dehors de la population de Makatea, 200 personnes à Papeete et 500 aux Australes et aux îles Sous-le-Vent vivaient de l’activité de la CFPO. L’ensemble des salaires était supérieur à 100 millions de F cfp par an. La CFPO achetait en Polynésie pour 20 millions de CFP par an environ de marchandises, en importait pour 25 millions de Métropole et 27 de l’étranger.
Le total des impôts et taxes diverses que la Compagnie payait chaque année a pu représenter jusqu’à 24,5 % du budget du Territoire. Les Phosphates de Makatea ont tenu le premier rang des exportations pendant plus de 15 ans, apportant plus des 3/4 des devises reçues par le Territoire puisque les ventes se faisaient en monnaies étrangères.
Les ouvriers du phosphate
L’île étant presque inhabitée, la Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie fut confrontée dès le début à de réels problèmes de main-d’œuvre. La CFPO ne put trouver sur place que 25 travailleurs sur les 300 nécessaires, les cadres et spécialistes étant des métropolitains sous contrat. Les années suivantes apportèrent une main-d’œuvre locale un peu supérieure en nombre, mais pas en capacité. La Compagnie dut faire appel à des ouvriers asiatiques, des japonais, bientôt remplacés par des chinois, puis par des annamites qui assureront la plus grande partie du travail jusqu’en 1920.
En 1910, le début
« En mars 1910 arrivèrent 26 indigènes de Manikiki, puis 21 ouvriers japonais. Devant l’échec d’une tournée de recrutement aux îles Australes en février 1911, et devant l’absentéisme manifesté au travail par les polynésiens à Makatea, la compagnie décida d’embaucher 250 japonais de plus. Les polynésiens furent longs à s’adapter à un travail suivi. À la date du 12 août 1913, sur 30 manœuvres en fin de contrat, 11 seulement demandèrent à reconduire leur engagement. La mobilité du travail, le caractère discontinu de l’effort, le désir de changer de pays et d’occupation, la lassitude caractériseront longtemps la main-d’œuvre d’origine locale » (Molet 1962)
L’embauche de polynésiens ira néanmoins par la suite en augmentant jusqu’à être pratiquement exclusive. Au moment de la guerre, une crise obligera la Compagnie à engager des polynésiens des Cook. Après la guerre, les polynésiens français seront plus nombreux à Makatea tandis que le recrutement dans les Australes, à Raivavae en particulier, donnera des résultats très satisfaisants.
Les années 60
« Groupés selon leurs origines et leurs affinités insulaires, ils forment des équipes homogènes reconnaissables à des détails vestimentaires plus souvent qu’à des particularités morphologiques […] Dans les dernières années de son existence, la Compagnie employait 800 travailleurs, tous polynésiens. Avec leurs familles, ils faisaient de Makatea l’île la plus peuplée des Tuamotu, 3 000 habitants en 1960. C’est à Makatea que les Tahitiens commencent à apprendre le sens du travail industriel régulier. » (O’Reilly 1962)
Les conditions d’existence étaient très dures. Les mécaniciens de la centrale électrique n’avaient aucune majoration de salaire lorsqu’ils travaillaient par roulement, le dimanche ou la nuit […] Comme il fallait s’y attendre, un syndicat fut bientôt créé, l’instigateur étant un certain Max Bernière, qui exerçait la fonction d’électricien… Le bureau syndical exigea qu’une commission se tienne à Papeete, avec la participation de M. Meunier, directeur adjoint […] La Direction déclara accepter les revendications salariales […] De retour à Makatea, Meunier refusa la majoration et – devant la menace de grève – écrivit au tableau noir de la centrale : « Si vous faites cela, vous irez en prison. » ( Jean Virmouneix 1947)
Le circuit du phosphate
Le minerai se trouvait sur l’île de Makatea sous forme de sable phosphaté, parfois de blocs durs, quelquefois formant des couches stratifiées peu épaisses en affleurement à la surface du sol. Lorsque celui-ci était débroussaillé, apparaissait alors une surface plane assez régulière. Une fois enlevée la couche de sable phosphaté apparaissait enfin les feo (colonnes de calcaire dur). C’est entre ces feo qu’était extrait en profondeur le phosphate. Le phosphate de Makatea se serait développé au sein de sédiments organiques lagonaires, comme à Mataiva, puis aurait été porté à l’air libre lors du soulèvement, comme à Nauru et Christmas.
La pelle, la brouette et le seau
La nature même du gisement exigeait comme outils de travail ces archaïques mais indispensables instruments que sont la pelle, la brouette et le seau. Il s’agissait en effet de racler une multitude de petits trous que seule la pelle atteint, ou des puits pot holes parfois si étroits qu’un seau est nécessaire peur amener le minerai en surface. Le minerai continue à être acheminé par brouettes, sur des planches faisant fonction de chemins et même de ponts, jusqu’aux tapis roulants. Une technique très rudimentaire qui persistera longtemps parce que c’est celle qui permet la mesure et le comptage pour la rémunération des ouvriers.
Le convoyeur à bande promenait son tapis en caoutchouc sur des centaines de mètres en formant des bretelles et des détours de façon à relier tous les chantiers, et se chargeait alors de transporter le phosphate dans une trémie. C’est alors qu’intervenait le petit train dont les wagonnets auto déchargeur acheminaient le minerai brut vers les installations de séchage et de stockage.
Lorsqu’un coin de gisement allait être exploité, plusieurs opérations se succédaient. Tout d’abord le terrain était débroussaillé et c’était parfois de grands arbres qu’il fallait abattre. Des charpentiers préparaient et installaient ensuite les madriers qui supportaient le convoyeur. Une ligne électrique était installée.
C’était un spectacle extraordinaire !
Au milieu d’un réseau ténu et complexe de planches de 30 cm de large sur lesquelles courraient avec une adresse étonnante, parfois à plusieurs mètres du sol, des travailleurs poussant une brouette jusqu’au collecteur du tapis roulant. Tous se croissaient sans un heurt, virant sur place, repartant à la même allure vers leurs équipiers. Ces derniers, armés d’une pelle creusaient le sol, extrayaient le phosphate, récuraient le feo. Dominant et surveillant cette fourmilière, le pointeur comptait les brouettées. C’est en effet au rendement qu’était payés les manœuvres. Groupés selon leurs origines et leurs affinités insulaires, ils formaient des équipes homogènes reconnaissables à des détails vestimentaires plus souvent qu’à des particularités morphologiques.
« On travaillait 8 heures par jour. On commençait à 6 heures et on terminait à 16h30. Il faisait très chaud sur le chantier. A tour de rôle, un homme était chargé de distribuer de l’eau à chacun. Avant, on avait pas de jour de repos dans la semaine, après on a eu le samedi » raconte Viritua a Viritua un ancien travailleur.
Bien que rudimentaire, cette technique d’extraction donne des résultats étonnants puisque le rendement d’une équipe travaillant à la pelle atteint et souvent dépasse 5 tonnes par jour et par hommes. De 12 000 t en 1911, l’extraction passa à 251 000 t en 1929 et à 400 000 t en 1960, année record. Au total 11 279 436 tonnes furent extraites à ciel ouvert de 1908 à 1966.
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Un rayonnement sur tout le pacifique
La présence de phosphates à Makatea fut décelée par le Capitaine Bonnet vers 1860, mais ce n’est qu’au début du 20ème siècle, que l’exploitation fut lancée. Le phosphate présentait alors un nouvel enjeu économique car il entrait dans la production d’engrais azotés indispensables à des terres pauvres en sels minéraux et servait de base de production aux explosifs nitrés.
Etienne Touzé, ingénieur des Travaux Publics à Papeete, créa le 2 octobre 1908 la Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie (CFPO), qui obtint en 1917 la concession de l’exploitation minière de toute l’île. L’atoll surélevé de Makatea, seul endroit de Polynésie où la production et les échanges prenaient une ampleur à l’échelle des réalités du monde économique moderne, rayonnait au début du 20ème siècle sur tout le pacifique.
Le quart des recettes budgétaires de la Polynésie française
La Compagnie Française des Phosphates d’Océanie versait à elle seule 28 % des salaires du secteur privé et assurait le quart des recettes budgétaires de la Polynésie française en 1966, à la veille de l’abandon. En dehors de la population de Makatea, 200 personnes à Papeete et 500 aux Australes et aux îles Sous-le-Vent vivaient de l’activité de la CFPO. L’ensemble des salaires était supérieur à 100 millions de F cfp par an. La CFPO achetait en Polynésie pour 20 millions de CFP par an environ de marchandises, en importait pour 25 millions de Métropole et 27 de l’étranger.
Le total des impôts et taxes diverses que la Compagnie payait chaque année a pu représenter jusqu’à 24,5 % du budget du Territoire. Les Phosphates de Makatea ont tenu le premier rang des exportations pendant plus de 15 ans, apportant plus des 3/4 des devises reçues par le Territoire puisque les ventes se faisaient en monnaies étrangères.
Les ouvriers du phosphate
L’île étant presque inhabitée, la Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie fut confrontée dès le début à de réels problèmes de main-d’œuvre. La CFPO ne put trouver sur place que 25 travailleurs sur les 300 nécessaires, les cadres et spécialistes étant des métropolitains sous contrat. Les années suivantes apportèrent une main-d’œuvre locale un peu supérieure en nombre, mais pas en capacité. La Compagnie dut faire appel à des ouvriers asiatiques, des japonais, bientôt remplacés par des chinois, puis par des annamites qui assureront la plus grande partie du travail jusqu’en 1920.
En 1910, le début
« En mars 1910 arrivèrent 26 indigènes de Manikiki, puis 21 ouvriers japonais. Devant l’échec d’une tournée de recrutement aux îles Australes en février 1911, et devant l’absentéisme manifesté au travail par les polynésiens à Makatea, la compagnie décida d’embaucher 250 japonais de plus. Les polynésiens furent longs à s’adapter à un travail suivi. À la date du 12 août 1913, sur 30 manœuvres en fin de contrat, 11 seulement demandèrent à reconduire leur engagement. La mobilité du travail, le caractère discontinu de l’effort, le désir de changer de pays et d’occupation, la lassitude caractériseront longtemps la main-d’œuvre d’origine locale » (Molet 1962)
L’embauche de polynésiens ira néanmoins par la suite en augmentant jusqu’à être pratiquement exclusive. Au moment de la guerre, une crise obligera la Compagnie à engager des polynésiens des Cook. Après la guerre, les polynésiens français seront plus nombreux à Makatea tandis que le recrutement dans les Australes, à Raivavae en particulier, donnera des résultats très satisfaisants.
Les années 60
« Groupés selon leurs origines et leurs affinités insulaires, ils forment des équipes homogènes reconnaissables à des détails vestimentaires plus souvent qu’à des particularités morphologiques […] Dans les dernières années de son existence, la Compagnie employait 800 travailleurs, tous polynésiens. Avec leurs familles, ils faisaient de Makatea l’île la plus peuplée des Tuamotu, 3 000 habitants en 1960. C’est à Makatea que les Tahitiens commencent à apprendre le sens du travail industriel régulier. » (O’Reilly 1962)
Les conditions d’existence étaient très dures. Les mécaniciens de la centrale électrique n’avaient aucune majoration de salaire lorsqu’ils travaillaient par roulement, le dimanche ou la nuit […] Comme il fallait s’y attendre, un syndicat fut bientôt créé, l’instigateur étant un certain Max Bernière, qui exerçait la fonction d’électricien… Le bureau syndical exigea qu’une commission se tienne à Papeete, avec la participation de M. Meunier, directeur adjoint […] La Direction déclara accepter les revendications salariales […] De retour à Makatea, Meunier refusa la majoration et – devant la menace de grève – écrivit au tableau noir de la centrale : « Si vous faites cela, vous irez en prison. » ( Jean Virmouneix 1947)
Le circuit du phosphate
Le minerai se trouvait sur l’île de Makatea sous forme de sable phosphaté, parfois de blocs durs, quelquefois formant des couches stratifiées peu épaisses en affleurement à la surface du sol. Lorsque celui-ci était débroussaillé, apparaissait alors une surface plane assez régulière. Une fois enlevée la couche de sable phosphaté apparaissait enfin les feo (colonnes de calcaire dur). C’est entre ces feo qu’était extrait en profondeur le phosphate. Le phosphate de Makatea se serait développé au sein de sédiments organiques lagonaires, comme à Mataiva, puis aurait été porté à l’air libre lors du soulèvement, comme à Nauru et Christmas.
La pelle, la brouette et le seau
La nature même du gisement exigeait comme outils de travail ces archaïques mais indispensables instruments que sont la pelle, la brouette et le seau. Il s’agissait en effet de racler une multitude de petits trous que seule la pelle atteint, ou des puits pot holes parfois si étroits qu’un seau est nécessaire peur amener le minerai en surface. Le minerai continue à être acheminé par brouettes, sur des planches faisant fonction de chemins et même de ponts, jusqu’aux tapis roulants. Une technique très rudimentaire qui persistera longtemps parce que c’est celle qui permet la mesure et le comptage pour la rémunération des ouvriers.
Le convoyeur à bande promenait son tapis en caoutchouc sur des centaines de mètres en formant des bretelles et des détours de façon à relier tous les chantiers, et se chargeait alors de transporter le phosphate dans une trémie. C’est alors qu’intervenait le petit train dont les wagonnets auto déchargeur acheminaient le minerai brut vers les installations de séchage et de stockage.
Lorsqu’un coin de gisement allait être exploité, plusieurs opérations se succédaient. Tout d’abord le terrain était débroussaillé et c’était parfois de grands arbres qu’il fallait abattre. Des charpentiers préparaient et installaient ensuite les madriers qui supportaient le convoyeur. Une ligne électrique était installée.
C’était un spectacle extraordinaire !
Au milieu d’un réseau ténu et complexe de planches de 30 cm de large sur lesquelles courraient avec une adresse étonnante, parfois à plusieurs mètres du sol, des travailleurs poussant une brouette jusqu’au collecteur du tapis roulant. Tous se croissaient sans un heurt, virant sur place, repartant à la même allure vers leurs équipiers. Ces derniers, armés d’une pelle creusaient le sol, extrayaient le phosphate, récuraient le feo. Dominant et surveillant cette fourmilière, le pointeur comptait les brouettées. C’est en effet au rendement qu’était payés les manœuvres. Groupés selon leurs origines et leurs affinités insulaires, ils formaient des équipes homogènes reconnaissables à des détails vestimentaires plus souvent qu’à des particularités morphologiques.
« On travaillait 8 heures par jour. On commençait à 6 heures et on terminait à 16h30. Il faisait très chaud sur le chantier. A tour de rôle, un homme était chargé de distribuer de l’eau à chacun. Avant, on avait pas de jour de repos dans la semaine, après on a eu le samedi » raconte Viritua a Viritua un ancien travailleur.
Bien que rudimentaire, cette technique d’extraction donne des résultats étonnants puisque le rendement d’une équipe travaillant à la pelle atteint et souvent dépasse 5 tonnes par jour et par hommes. De 12 000 t en 1911, l’extraction passa à 251 000 t en 1929 et à 400 000 t en 1960, année record. Au total 11 279 436 tonnes furent extraites à ciel ouvert de 1908 à 1966.
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Sources
Jean Louis Mollet, 1962. Importance sociale de Makatea dans la Polynésie française. Journal de la Société des Océanistes, Paris, t. XXII.
Correspondance de Jean Virmouneix, mutoi farani en 1947, chef de poste, c’est-à-dire gendarme.
Pierre-Marie Decoudras, Danièle Laplace et Frédéric Tesson, Makatea, atoll oublié des Tuamotu (Polynésie française) : de la friche industrielle au développement local par le tourisme, Les Cahiers d’Outre-Mer, 230 | 2005, 189-214.
Jean Louis Mollet, 1962. Importance sociale de Makatea dans la Polynésie française. Journal de la Société des Océanistes, Paris, t. XXII.
Correspondance de Jean Virmouneix, mutoi farani en 1947, chef de poste, c’est-à-dire gendarme.
Pierre-Marie Decoudras, Danièle Laplace et Frédéric Tesson, Makatea, atoll oublié des Tuamotu (Polynésie française) : de la friche industrielle au développement local par le tourisme, Les Cahiers d’Outre-Mer, 230 | 2005, 189-214.