PAPEETE, le 11 mars 2019 - Jeudi dernier Christopher Finlayson, l'ancien ministre de la justice néo-zélandais, donnait une conférence à Tahiti sur le thème "L'état de droit et le développement économique". Une intervention à laquelle ont assisté de nombreux hommes politiques et acteurs économiques polynésiens. De quoi leur donner des idées...
Comment la Nouvelle-Zélande est-elle devenue si riche aujourd'hui alors qu'il y a 35 ans, elle était au bord de la faillite ? C'est pour répondre à cette question, et espérer trouver des pistes pour développer l'économie polynésienne, que l'Institut Économique de Tahiti a invité Christopher Finlayson en Polynésie.
Christopher Finlayson n'est pas n'importe qui. De 2009 à 2018 il était ministre dans les différents gouvernements conservateurs qui se sont succédé au pouvoir en Nouvelle-Zélande. Pendant cette période il a été "attorney general", un poste similaire à celui de ministre de la Justice en France. Il a aussi été ministre des Négociations du Traité de Waitangi, en héritage de son combat judiciaire contre la couronne aux côtés de la tribu māori de Ngāi Tahu dans les années 90. Il a aussi cumulé le poste de ministre de la culture pendant quelques années, et a même été ministre du renseignement (c'est-à-dire de l'espionnage) pendant trois ans... Bref, c'est un des hommes les plus influent et les mieux informé de Nouvelle-Zélande. Il a quitté la politique en janvier dernier pour reprendre sa vie d'avocat.
Comment la Nouvelle-Zélande est-elle devenue si riche aujourd'hui alors qu'il y a 35 ans, elle était au bord de la faillite ? C'est pour répondre à cette question, et espérer trouver des pistes pour développer l'économie polynésienne, que l'Institut Économique de Tahiti a invité Christopher Finlayson en Polynésie.
Christopher Finlayson n'est pas n'importe qui. De 2009 à 2018 il était ministre dans les différents gouvernements conservateurs qui se sont succédé au pouvoir en Nouvelle-Zélande. Pendant cette période il a été "attorney general", un poste similaire à celui de ministre de la Justice en France. Il a aussi été ministre des Négociations du Traité de Waitangi, en héritage de son combat judiciaire contre la couronne aux côtés de la tribu māori de Ngāi Tahu dans les années 90. Il a aussi cumulé le poste de ministre de la culture pendant quelques années, et a même été ministre du renseignement (c'est-à-dire de l'espionnage) pendant trois ans... Bref, c'est un des hommes les plus influent et les mieux informé de Nouvelle-Zélande. Il a quitté la politique en janvier dernier pour reprendre sa vie d'avocat.
: Christopher Finlayson a été "attorney general", équivalent de notre ministre de la Justice, en Nouvelle Zélande de 2009 à 2018. Selon lui, la dérégulation, la déconcentration des pouvoirs et un état de droit à toute épreuve sont les bases du succès économique actuel de son pays.
Et il nous a fait profiter de sa liberté de parole retrouvée le jeudi 7 mars dernier, lors d'une grande conférence-dîner organisée à l'hôtel Intercontinental de Punaauia sur le thème "L'état de droit et le développement économique". Il a en particulier expliqué au public comment son Pays, menacé de ruine en 1984, est aujourd'hui dans le top 5 mondial en matière de respect des droits de l'homme, d'état de droit et de liberté économique. Le tout avec un PIB par habitant similaire à la France (il y a 30 ans il était inférieur de 30%) et une croissance économique à faire pâlir d'envie n'importe quel pays européen (3,1% en 2015, 4% en 2016 et 3% en 2017, derniers chiffres disponibles).
COMMENT UN HOMME A FAIT PLONGER LA NOUVELLE-ZÉLANDE
Christopher Finlayson a commencé par expliquer comment son pays s'est retrouvé dans une situation catastrophique : "Une partie de la réponse est à trouver dans les années 70. La Nouvelle-Zélande était alors dirigée par un Premier ministre que je qualifierais d’autoritaire, Sir Robert Muldoon. Sa vision erronée s’expliquait en partie : Sir Robert était issu d’une tradition politique partisane d’un interventionnisme fort de l’État, seul à même de mettre en œuvre ce qu’il voulait faire. En plus d’être Premier ministre, M. Muldoon était également ministre des Finances. Il exerçait donc un contrôle complet sur les dépenses du gouvernement."
Cette entrée en matière a immédiatement fait mouche chez le public polynésien qui a senti une similarité avec notre système politique local. D'autant que deux anciens présidents de la Polynésie française, Gaston Flosse et Oscar Temaru, étaient dans le public. Par contre aucun membre du gouvernement actuel n'était venu, bien qu'ils aient été invités... Malgré tout de nombreux représentants de l'Assemblée de la Polynésie française, dont au moins trois appartenant au Tapura, étaient dans le public, à écouter attentivement la suite de ce discours...
Car Christopher a continué en expliquant comment Sir Robert Muldoon a abusé de son pouvoir. Il a pris "la décision unilatérale, en 1982, de répondre à l’inflation galopante par un gel des salaires. Le vice-gouverneur de la Banque Centrale Roderick Deane avait alors décrit cette mesure comme l’action d’un dictateur. Comme prévu, cette mesure s’est avérée désastreuse. Dès 1984, le déficit budgétaire était hors de contrôle et l’économie néo-zélandaise au bord de l’effondrement." Pour Christopher, c'est bien la concentration des pouvoirs par les hommes politiques qui a conduit au désastre. Mais c'est de toucher le fond qui a permis à la Nouvelle-Zélande de réformer en profondeur son système politique, au point que Christopher, le conservateur, reconnaisse que le gouvernement travailliste de David Lange qui a remplacé M. Muldoon en 1984 a été, "à mon sens, l’un des meilleurs gouvernements de l’histoire néo-zélandaise, et notre réussite économique actuelle s’explique en grande partie par les réformes qu’il a conduites à cette époque."
ENLEVER LE POUVOIR AUX POLITIQUES ET ÉTABLIR L'ÉTAT DE DROIT
Si David Lange reçoit tant d'éloges, c'est qu'il a mis en place une politique très courageuse : "Ce gouvernement travailliste a compris deux importants principes qui ont permis à la Nouvelle-Zélande de se remettre des années Muldoon, et des précédents gouvernements qui n’avaient pas mieux réussi. Le premier principe est que les hommes politiques ne peuvent pas prendre toutes les décisions. Ils ne sont d’abord pas compétents pour le faire, et puis ce n’est pas à eux de prendre ces décisions, encore moins lorsque ces décisions peuvent être prises par des personnes plus qualifiées. Si l’on peut se passer du gouvernement pour prendre les décisions, alors il faut s’en passer. C’est ce que le nouveau gouvernement décida lorsqu'il ouvrit notre économie, alors protégée du reste du monde. Et cela réussit pleinement. En 1984, la Nouvelle-Zélande était l’une des économies les plus régulées du monde, c’est aujourd'hui l’une des moins régulées." Voilà encore une remarque qui a fait murmurer le public, composé largement de représentants du monde économique.
Un des exemples cité par l'ancien attorney general était particulièrement frappant : "L'une des grandes réussites du gouvernement travailliste de 1984 fut l’introduction du modèle d’entreprise d'État. Les entreprises telles que les compagnies nationales l’électricité, qui étaient plutôt mal gérées par le gouvernement, ont été reconstituées en entreprises appartenant à la Couronne mais avec une indépendance sur leur façon d’agir et où l’on attendait d’elles qu’elles soient rentables. Selon ce modèle, des directeurs indépendants étaient nommés par le gouvernement mais exerçaient leur pouvoir en toute indépendance. Les résultats furent spectaculaires. En 30 ans ces entreprises sont passées de compagnies relativement peu performantes à des entreprises rentables redistribuant des dividendes à ses actionnaires, l’actionnaire majoritaire demeurant la Couronne."
Mais pour Christopher, simplement déréguler et libéraliser ne suffit pas : "Le second principe était que, même lorsque un pouvoir était légitimement exercé par l’état (avec) un gouvernement compétent et encadré, il est peut-être encore plus essentiel que soit respecté le concept d’État de droit." Ce concept d'État de droit, ou "rule of law" en anglais, est que la loi est la même pour tous les citoyens et toutes les administrations publiques, même au plus haut niveau. Il implique aussi que la loi est écrite par nos représentants de façon claire, en anticipant l'avenir, et qu'elle est appliquée par des tribunaux efficaces et totalement indépendants.
Cet État de droit est capital pour l'économie : "Si l'État de droit est fort dans un pays, avec le temps il se perpétue de lui-même, en déteignant à la fois sur les institutions et sur la culture de ceux qui les servent. La certitude et l'équité conduisent à la confiance. La confiance conduit aux investissements. Les investissements conduisent à la croissance."
Mais un tel état de droit est souvent très impopulaire chez les politiciens... Par exemple "en Nouvelle-Zélande, l’indépendance statutaire de l’organisme national de statistiques gouvernementales lui permet de publier plusieurs statistiques à son gré, sans en informer au préalable le gouvernement. Un gouvernement ne peut donc ainsi pas, par exemple, demander le report de la publication de chiffres du chômage embarrassants à la veille d’échéances électorales." Un autre exemple : chez nos voisins n'importe quel citoyen peut obliger l'administration à publier ses chiffres et ses documents, même s'ils seraient embarrassants. La règle est la transparence... On en est loin en Polynésie où il faut une autorisation de la Présidence pour obtenir la moindre information de l'administration.
Autre exemple donné par Christopher qui a provoqué des exclamations dans le public : "Les Néo-Zélandais se plaignent fréquemment du temps trop long que met la Cour Suprême à rendre ses jugements, souvent au-delà d’un an. Ce n’est pas suffisant. Une justice retardée, c’est un déni de justice. L’incertitude causée par ces retards n’inspire pas la confiance des milieux d’affaires." Ici, que les jugements de tous les tribunaux (en dehors d'une procédure de référé) en moins d'un an serait déjà considéré comme un grand progrès.
Après cette présentation, le public a pu débattre avec l'invité. Les hommes politiques présents ont fait remarquer qu'un tel État de droit à la néo-zélandaise était impossible à mettre en place tel quel en Polynésie, à cause du partage des pouvoirs entre le Pays et la France conformément à notre statut d'autonomie. Ainsi, accélérer le rendu de la justice ou faciliter l'obtention de visas par les touristes est de la responsabilité de Paris. Les spécificités de notre économie compliqueraient aussi une grande libéralisation...
Un homme d'affaires a ensuite apporté la contradiction à cet argument en faisant remarquer que le Pays avait la compétence totale sur son économie, et qu'il y avait déjà énormément de travail à faire pour déréguler et ouvrir notre marché. Il a ensuite glissé que malgré le propos de Christopher Finlayson assurant qu'il fallait "enlever le pouvoir aux politiciens", la seule solution proposée par nos élus était de demander encore plus de pouvoirs et de contrôle sur notre économie... Au moins la conversation est-elle lancée.
COMMENT UN HOMME A FAIT PLONGER LA NOUVELLE-ZÉLANDE
Christopher Finlayson a commencé par expliquer comment son pays s'est retrouvé dans une situation catastrophique : "Une partie de la réponse est à trouver dans les années 70. La Nouvelle-Zélande était alors dirigée par un Premier ministre que je qualifierais d’autoritaire, Sir Robert Muldoon. Sa vision erronée s’expliquait en partie : Sir Robert était issu d’une tradition politique partisane d’un interventionnisme fort de l’État, seul à même de mettre en œuvre ce qu’il voulait faire. En plus d’être Premier ministre, M. Muldoon était également ministre des Finances. Il exerçait donc un contrôle complet sur les dépenses du gouvernement."
Cette entrée en matière a immédiatement fait mouche chez le public polynésien qui a senti une similarité avec notre système politique local. D'autant que deux anciens présidents de la Polynésie française, Gaston Flosse et Oscar Temaru, étaient dans le public. Par contre aucun membre du gouvernement actuel n'était venu, bien qu'ils aient été invités... Malgré tout de nombreux représentants de l'Assemblée de la Polynésie française, dont au moins trois appartenant au Tapura, étaient dans le public, à écouter attentivement la suite de ce discours...
Car Christopher a continué en expliquant comment Sir Robert Muldoon a abusé de son pouvoir. Il a pris "la décision unilatérale, en 1982, de répondre à l’inflation galopante par un gel des salaires. Le vice-gouverneur de la Banque Centrale Roderick Deane avait alors décrit cette mesure comme l’action d’un dictateur. Comme prévu, cette mesure s’est avérée désastreuse. Dès 1984, le déficit budgétaire était hors de contrôle et l’économie néo-zélandaise au bord de l’effondrement." Pour Christopher, c'est bien la concentration des pouvoirs par les hommes politiques qui a conduit au désastre. Mais c'est de toucher le fond qui a permis à la Nouvelle-Zélande de réformer en profondeur son système politique, au point que Christopher, le conservateur, reconnaisse que le gouvernement travailliste de David Lange qui a remplacé M. Muldoon en 1984 a été, "à mon sens, l’un des meilleurs gouvernements de l’histoire néo-zélandaise, et notre réussite économique actuelle s’explique en grande partie par les réformes qu’il a conduites à cette époque."
ENLEVER LE POUVOIR AUX POLITIQUES ET ÉTABLIR L'ÉTAT DE DROIT
Si David Lange reçoit tant d'éloges, c'est qu'il a mis en place une politique très courageuse : "Ce gouvernement travailliste a compris deux importants principes qui ont permis à la Nouvelle-Zélande de se remettre des années Muldoon, et des précédents gouvernements qui n’avaient pas mieux réussi. Le premier principe est que les hommes politiques ne peuvent pas prendre toutes les décisions. Ils ne sont d’abord pas compétents pour le faire, et puis ce n’est pas à eux de prendre ces décisions, encore moins lorsque ces décisions peuvent être prises par des personnes plus qualifiées. Si l’on peut se passer du gouvernement pour prendre les décisions, alors il faut s’en passer. C’est ce que le nouveau gouvernement décida lorsqu'il ouvrit notre économie, alors protégée du reste du monde. Et cela réussit pleinement. En 1984, la Nouvelle-Zélande était l’une des économies les plus régulées du monde, c’est aujourd'hui l’une des moins régulées." Voilà encore une remarque qui a fait murmurer le public, composé largement de représentants du monde économique.
Un des exemples cité par l'ancien attorney general était particulièrement frappant : "L'une des grandes réussites du gouvernement travailliste de 1984 fut l’introduction du modèle d’entreprise d'État. Les entreprises telles que les compagnies nationales l’électricité, qui étaient plutôt mal gérées par le gouvernement, ont été reconstituées en entreprises appartenant à la Couronne mais avec une indépendance sur leur façon d’agir et où l’on attendait d’elles qu’elles soient rentables. Selon ce modèle, des directeurs indépendants étaient nommés par le gouvernement mais exerçaient leur pouvoir en toute indépendance. Les résultats furent spectaculaires. En 30 ans ces entreprises sont passées de compagnies relativement peu performantes à des entreprises rentables redistribuant des dividendes à ses actionnaires, l’actionnaire majoritaire demeurant la Couronne."
Mais pour Christopher, simplement déréguler et libéraliser ne suffit pas : "Le second principe était que, même lorsque un pouvoir était légitimement exercé par l’état (avec) un gouvernement compétent et encadré, il est peut-être encore plus essentiel que soit respecté le concept d’État de droit." Ce concept d'État de droit, ou "rule of law" en anglais, est que la loi est la même pour tous les citoyens et toutes les administrations publiques, même au plus haut niveau. Il implique aussi que la loi est écrite par nos représentants de façon claire, en anticipant l'avenir, et qu'elle est appliquée par des tribunaux efficaces et totalement indépendants.
Cet État de droit est capital pour l'économie : "Si l'État de droit est fort dans un pays, avec le temps il se perpétue de lui-même, en déteignant à la fois sur les institutions et sur la culture de ceux qui les servent. La certitude et l'équité conduisent à la confiance. La confiance conduit aux investissements. Les investissements conduisent à la croissance."
Mais un tel état de droit est souvent très impopulaire chez les politiciens... Par exemple "en Nouvelle-Zélande, l’indépendance statutaire de l’organisme national de statistiques gouvernementales lui permet de publier plusieurs statistiques à son gré, sans en informer au préalable le gouvernement. Un gouvernement ne peut donc ainsi pas, par exemple, demander le report de la publication de chiffres du chômage embarrassants à la veille d’échéances électorales." Un autre exemple : chez nos voisins n'importe quel citoyen peut obliger l'administration à publier ses chiffres et ses documents, même s'ils seraient embarrassants. La règle est la transparence... On en est loin en Polynésie où il faut une autorisation de la Présidence pour obtenir la moindre information de l'administration.
Autre exemple donné par Christopher qui a provoqué des exclamations dans le public : "Les Néo-Zélandais se plaignent fréquemment du temps trop long que met la Cour Suprême à rendre ses jugements, souvent au-delà d’un an. Ce n’est pas suffisant. Une justice retardée, c’est un déni de justice. L’incertitude causée par ces retards n’inspire pas la confiance des milieux d’affaires." Ici, que les jugements de tous les tribunaux (en dehors d'une procédure de référé) en moins d'un an serait déjà considéré comme un grand progrès.
Après cette présentation, le public a pu débattre avec l'invité. Les hommes politiques présents ont fait remarquer qu'un tel État de droit à la néo-zélandaise était impossible à mettre en place tel quel en Polynésie, à cause du partage des pouvoirs entre le Pays et la France conformément à notre statut d'autonomie. Ainsi, accélérer le rendu de la justice ou faciliter l'obtention de visas par les touristes est de la responsabilité de Paris. Les spécificités de notre économie compliqueraient aussi une grande libéralisation...
Un homme d'affaires a ensuite apporté la contradiction à cet argument en faisant remarquer que le Pays avait la compétence totale sur son économie, et qu'il y avait déjà énormément de travail à faire pour déréguler et ouvrir notre marché. Il a ensuite glissé que malgré le propos de Christopher Finlayson assurant qu'il fallait "enlever le pouvoir aux politiciens", la seule solution proposée par nos élus était de demander encore plus de pouvoirs et de contrôle sur notre économie... Au moins la conversation est-elle lancée.