Légende : Selon les chiffres de la CPS, le système de santé a procédé à 690 évasans internationales en 2022, avec une augmentation de 18% par rapport à 2021.
Tahiti, le 1er juillet 2024 - Le système de santé de la Polynésie française traverse des jours compliqués. Recruter devient dur, faute de salaires compétitifs, et des salles d’opérations finissent par prendre la poussière. Il existe pourtant des moyens d’optimiser la pratique médicale et les budgets qui y sont alloués, explique le docteur Djenadi. Déjà, en encourageant la venue de spécialistes dans les hôpitaux du Fenua. Des “missions” qui permettraient d’éviter certaines évasans très coûteuses, tout en pérennisant la qualité des soins prodigués sur le long terme. Rencontre avec le docteur Karim Djenadi, chirurgien orthopédiste et chef de service au CHT.
Ce n’est pas nouveau, le système hospitalier de Polynésie française souffre. Installé derrière son bureau, Karim Djenadi reçoit Tahiti Infos, pour plaider sa cause. Ce n’est pas la panacée mais il a une solution pour diminuer les dépenses de santé. Et le temps d’un échange en marge une journée déjà bien remplie, les yeux rivés sur un dossier de patients qu’il prépare pour la venue d’un confrère, le docteur s’inquiète. Il s’inquiète de l’état de l’écosystème de santé polynésien, dans lequel il évolue depuis les années 2000. Tahiti, cet ancien Eldorado des étudiants en médecine se heurte aujourd’hui à un manque de praticiens dommageable à son bon fonctionnement. La faute à une carence en personnel médical déjà observée à l’échelle nationale ; à la concurrence de destinations “bien plus attractives” en termes de rémunération pour les jeunes spécialistes ; et, en conséquence, d’un système de santé polynésien qui peine à étoffer ses rangs.
Résultat : il devient difficile de maintenir le niveau de soins. Le Centre hospitalier voit des salles de son bloc opératoire fermer à cause du manque de personnel. Des médecins s’insurgent devant ces conditions, d’autres, vieillissants, quittent leur île d’exercice avec le risque de déserts médicaux… “Par exemple, à Nuku Hiva ils ne disposent pas d’un seul médecin généraliste” note, sidéré, le docteur Djenadi.
Avec des moyens amoindris, moins de praticiens, et parfois aucun médecin à proximité, les secours ont souvent recours aux “évasans”. Une évacuation sanitaire, “c’est quand une situation dépasse les médecins sur le plan des compétences ou du matériel. Ils adressent alors le patient à un service compétent”, précise Dr Djenadi. Des évasans, il en existe de deux types au Fenua : l’évacuation inter-îles (33 959 en 2022 pour un montant total de 2,2 milliards de francs selon les chiffres de la CPS), et l’évasan internationale (690 en 2022, pour un coût global de 2,3 milliards de francs selon la CPS).
Évasans coûteuses
Dans les faits, une évasan est une procédure salvatrice. “Les praticiens sont dépassés, ils adressent donc le patient ailleurs”, explique Karim Djenadi. Sauf que la procédure s’arrête là. Elle consiste à déléguer le problème plutôt que de trouver un moyen de s’y adapter localement. Et en plus d’être lourde moralement pour le patient qui doit être transporté loin de chez lui, l’évasan, surtout à l’international, est très coûteuse : “Pour envoyer un enfant atteint d’une scoliose se faire opérer en métropole, le coût moyen c’est 70 000 euros [8,4 millions de francs, NDLR] : trajet médicalisé ; prise en charge et forfait médical sur place et centre de rééducation… Sans compter le coût de l’accompagnant s’il y en a un, qui devra se mettre en arrêt de travail aux frais de la CPS”, détaille-t-il.
La promesse des missions d’experts
Lorsque c’est possible, docteur Djenadi estime qu’une une autre solution devrait être considérée : celle des missions d’experts. “Au lieu d’envoyer les patients en métropole, on fait venir un spécialiste ici en groupant les patients qui ont besoin de rencontrer un tel spécialiste.” Par exemple, le docteur Djenadi attend la venue d’un confrère, le professeur Raphael Vialle, en juillet. Karim Djenadi rassemble les dossiers des patients qui pourront bénéficier de cette expertise depuis 6 mois. Le docteur Vialle doit ainsi voir 33 patients pendant son séjour au Fenua. “Lui, ce qu’il va coûter au CHT c’est un billet aller-retour en classe affaire et une semaine à l’hôtel. Il va venir, on va opérer cinq scolioses, et faire l’économie de 300 à 350 mille euros [36 à 40 millions de francs, NDLR]”, plaide le docteur.
Un intérêt non négligeable, pour les médecins du Centre hospitalier de Taaone, c’est aussi d’apprendre au côté de tels spécialistes, explique Dr Djenadi : “On aide le spécialiste à opérer et on apprend de sa technique.” Une technique qui, une fois calquée en interne, est susceptible de développer le champ des compétences des praticiens du CHT. “On possède quand même un bagage chirurgical qui nous permet de nous adapter et de répliquer. Ce qu’on ne veut pas, c’est faire des opérations qu’on n’a jamais faites”, souligne le chirurgien orthopédique. Là où une évasan consiste juste à déléguer le problème, ces missions d’expert offrent aux praticiens d’apprendre et de peut-être traiter, ultérieurement, des situations similaires.
Bloc opératoire au ralenti
Bien sûr, le propos du docteur Djenadi n’est pas de remplacer toutes les évasans par ces visites d’experts. Déjà, car certains cas nécessitent obligatoirement une évasan, en vertu de leur urgence ou de leur singularité “comme les cancers natifs des os”. Mais aussi car plusieurs problématiques s’opposent encore au développement de ces missions d’experts. “Il y a quatre à cinq missions par an dans ma spécialité, autant en cardiologie, deux en urologie et une en neurologie. Aujourd’hui on ne peut pas recevoir plus de spécialistes en mission, le principal frein étant lié au bloc opératoire.” Un bloc asphyxié par le manque de main-d’œuvre, qui en freine l’utilisation à son plein potentiel.
Résistances
Dr. Karim Djenadi en est convaincu : ces missions d’expert sont “une stratégie vertueuse qu’il faut encourager”. Mais soyons clairs, elles ne régleront pas les problèmes tiers qui gangrènent la santé en Polynésie, comme les déserts médicaux dans les îles ou le manque de nouveau praticiens. Mais les professionnels de santé se creusent la tête pour porter des projets qui pourraient faire avancer la situation locale, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Et ce n’est pas toujours facile. “On finit toujours par trouver des oreilles attentives à notre cause dans les institutions. Mais quelques fois, il y a tellement de lenteur dans le traitement des dossiers qu’on se pose des questions. Quel est le niveau d’attention prêté à la santé de la population ?”.
Le docteur Djenadi planifie également la venue d’un chirurgien orthopédiste pédiatre. Celui-ci est disponible pour une durée d’un an. Une occasion rare, dans l’agenda d’un spécialiste qui s'est concrétisé en fin de semaine dernière . Ce poste d'orthopédiste pédiatre a finalement trouvé un financement, ce qui est une bonne nouvelle pour accompagner l'équipe du CHT à augmenter ses compétences dans ce domaine difficile, au travers d'un contrat d'objectifs et de moyens prometteur.
Ce n’est pas nouveau, le système hospitalier de Polynésie française souffre. Installé derrière son bureau, Karim Djenadi reçoit Tahiti Infos, pour plaider sa cause. Ce n’est pas la panacée mais il a une solution pour diminuer les dépenses de santé. Et le temps d’un échange en marge une journée déjà bien remplie, les yeux rivés sur un dossier de patients qu’il prépare pour la venue d’un confrère, le docteur s’inquiète. Il s’inquiète de l’état de l’écosystème de santé polynésien, dans lequel il évolue depuis les années 2000. Tahiti, cet ancien Eldorado des étudiants en médecine se heurte aujourd’hui à un manque de praticiens dommageable à son bon fonctionnement. La faute à une carence en personnel médical déjà observée à l’échelle nationale ; à la concurrence de destinations “bien plus attractives” en termes de rémunération pour les jeunes spécialistes ; et, en conséquence, d’un système de santé polynésien qui peine à étoffer ses rangs.
Résultat : il devient difficile de maintenir le niveau de soins. Le Centre hospitalier voit des salles de son bloc opératoire fermer à cause du manque de personnel. Des médecins s’insurgent devant ces conditions, d’autres, vieillissants, quittent leur île d’exercice avec le risque de déserts médicaux… “Par exemple, à Nuku Hiva ils ne disposent pas d’un seul médecin généraliste” note, sidéré, le docteur Djenadi.
Avec des moyens amoindris, moins de praticiens, et parfois aucun médecin à proximité, les secours ont souvent recours aux “évasans”. Une évacuation sanitaire, “c’est quand une situation dépasse les médecins sur le plan des compétences ou du matériel. Ils adressent alors le patient à un service compétent”, précise Dr Djenadi. Des évasans, il en existe de deux types au Fenua : l’évacuation inter-îles (33 959 en 2022 pour un montant total de 2,2 milliards de francs selon les chiffres de la CPS), et l’évasan internationale (690 en 2022, pour un coût global de 2,3 milliards de francs selon la CPS).
Évasans coûteuses
Dans les faits, une évasan est une procédure salvatrice. “Les praticiens sont dépassés, ils adressent donc le patient ailleurs”, explique Karim Djenadi. Sauf que la procédure s’arrête là. Elle consiste à déléguer le problème plutôt que de trouver un moyen de s’y adapter localement. Et en plus d’être lourde moralement pour le patient qui doit être transporté loin de chez lui, l’évasan, surtout à l’international, est très coûteuse : “Pour envoyer un enfant atteint d’une scoliose se faire opérer en métropole, le coût moyen c’est 70 000 euros [8,4 millions de francs, NDLR] : trajet médicalisé ; prise en charge et forfait médical sur place et centre de rééducation… Sans compter le coût de l’accompagnant s’il y en a un, qui devra se mettre en arrêt de travail aux frais de la CPS”, détaille-t-il.
La promesse des missions d’experts
Lorsque c’est possible, docteur Djenadi estime qu’une une autre solution devrait être considérée : celle des missions d’experts. “Au lieu d’envoyer les patients en métropole, on fait venir un spécialiste ici en groupant les patients qui ont besoin de rencontrer un tel spécialiste.” Par exemple, le docteur Djenadi attend la venue d’un confrère, le professeur Raphael Vialle, en juillet. Karim Djenadi rassemble les dossiers des patients qui pourront bénéficier de cette expertise depuis 6 mois. Le docteur Vialle doit ainsi voir 33 patients pendant son séjour au Fenua. “Lui, ce qu’il va coûter au CHT c’est un billet aller-retour en classe affaire et une semaine à l’hôtel. Il va venir, on va opérer cinq scolioses, et faire l’économie de 300 à 350 mille euros [36 à 40 millions de francs, NDLR]”, plaide le docteur.
Un intérêt non négligeable, pour les médecins du Centre hospitalier de Taaone, c’est aussi d’apprendre au côté de tels spécialistes, explique Dr Djenadi : “On aide le spécialiste à opérer et on apprend de sa technique.” Une technique qui, une fois calquée en interne, est susceptible de développer le champ des compétences des praticiens du CHT. “On possède quand même un bagage chirurgical qui nous permet de nous adapter et de répliquer. Ce qu’on ne veut pas, c’est faire des opérations qu’on n’a jamais faites”, souligne le chirurgien orthopédique. Là où une évasan consiste juste à déléguer le problème, ces missions d’expert offrent aux praticiens d’apprendre et de peut-être traiter, ultérieurement, des situations similaires.
Bloc opératoire au ralenti
Bien sûr, le propos du docteur Djenadi n’est pas de remplacer toutes les évasans par ces visites d’experts. Déjà, car certains cas nécessitent obligatoirement une évasan, en vertu de leur urgence ou de leur singularité “comme les cancers natifs des os”. Mais aussi car plusieurs problématiques s’opposent encore au développement de ces missions d’experts. “Il y a quatre à cinq missions par an dans ma spécialité, autant en cardiologie, deux en urologie et une en neurologie. Aujourd’hui on ne peut pas recevoir plus de spécialistes en mission, le principal frein étant lié au bloc opératoire.” Un bloc asphyxié par le manque de main-d’œuvre, qui en freine l’utilisation à son plein potentiel.
Résistances
Dr. Karim Djenadi en est convaincu : ces missions d’expert sont “une stratégie vertueuse qu’il faut encourager”. Mais soyons clairs, elles ne régleront pas les problèmes tiers qui gangrènent la santé en Polynésie, comme les déserts médicaux dans les îles ou le manque de nouveau praticiens. Mais les professionnels de santé se creusent la tête pour porter des projets qui pourraient faire avancer la situation locale, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Et ce n’est pas toujours facile. “On finit toujours par trouver des oreilles attentives à notre cause dans les institutions. Mais quelques fois, il y a tellement de lenteur dans le traitement des dossiers qu’on se pose des questions. Quel est le niveau d’attention prêté à la santé de la population ?”.
Le docteur Djenadi planifie également la venue d’un chirurgien orthopédiste pédiatre. Celui-ci est disponible pour une durée d’un an. Une occasion rare, dans l’agenda d’un spécialiste qui s'est concrétisé en fin de semaine dernière . Ce poste d'orthopédiste pédiatre a finalement trouvé un financement, ce qui est une bonne nouvelle pour accompagner l'équipe du CHT à augmenter ses compétences dans ce domaine difficile, au travers d'un contrat d'objectifs et de moyens prometteur.