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Les irréductibles made in fenua de la chloroquine


Tahiti, le 9 septembre 2020 - Avec la flambée des cas Covid en Polynésie, un nouveau collectif citoyen vient de voir le jour pour demander la restauration, en médecine de ville, de la liberté de prescrire des médicaments dérivés d’hydroxychloroquine. En ligne de mire, le traitement préventif des malades infectés par le Covid-19 au fenua.
 
Le collectif Santé Polynésie adresse cette semaine une lettre ouverte aux "zotorités de Polynésie française" pour demander la restauration en médecine de ville de la liberté de prescrire des médicaments dérivés d’hydroxychloroquine. L’enjeu : rendre possible au fenua le traitement préventif des malades infectés par le Covid-19, selon la méthode du professeur Raoult.
Mi-août déjà, le collectif citoyen Nunaa a ti'a interpellait le ministre de la Santé dans le même sens, avec une demande d’abrogation de l’arrêté n° 394 CM. Ce texte, adopté le 8 avril dernier, réglemente la vente et la prescription de médicaments dérivés de l’hydroxychloroquine en Polynésie. Les spécialités pharmaceutiques à base de cette molécule ne peuvent plus être prescrites en médecine de ville. Leur délivrance n’est autorisée en pharmacie d’officine que sur l’ordonnance de certains médecins spécialistes. Leur prescription est réservée au cadre strict des indications thérapeutiques de leur autorisation de mise sur le marché. Donc pas dans le cadre du traitement du Covid-19.
Cette réglementation a vu le jour en avril dernier en Polynésie française, comme dans l’Hexagone, dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire et sur fond de débat scientifique controversé au sujet des expériences thérapeutiques menées à l’IHU de Marseille.
Avec cet arrêté, face à un subit engouement causé par l'espoir de cette méthode, le gouvernement a réglementé pour éviter une situation de rupture de stock au plan local des spécialités pharmaceutiques à base d’hydroxychloroquine ou de chloroquine. L’idée était de réserver ces médicaments aux malades qui en ont beaucoup besoin et pour lesquels ces médicaments sont traditionnellement indiqués.
 
Liberté de prescrire
 
L’arrêté gouvernemental a été dénoncé par une requête en référé. Une action retoquée le 20 mai dernier par le tribunal administratif de Polynésie française. Une procédure au fond est aujourd'hui en instance, à l’initiative du docteur Jean-Paul Théron, des cardiologues Michel Gaultier et Philippe Costes et de Thierry Soussi, chirurgien à Cardella.
En métropole, depuis le 10 juillet, un décret pris dans le cadre de la sortie de l’état d’urgence a mis fin à cette restriction. Cependant, elle perdure en Polynésie, le Pays étant compétent en matière de santé. Et c’est ce que dénonce en préambule le Collectif Santé Polynésie.
Le conseil de l’ordre des médecins de Polynésie française interpelle aussi dans un courrier adressé au ministre de la Santé mi-août dernier. Il demande la modification de l’arrêté n° 394 CM du 8 avril, par principe, "pour que cesse cette atteinte au droit de prescription des médecins libéraux de Polynésie française".

Mais, sous couvert de restaurer le droit de prescription des médecins libéraux, le Collectif Santé Polynésie revient à la charge cette semaine pour défendre le traitement préventif des malades infectés par le Covid-19 dans le cadre d’une bi-thérapie à base de chloroquine promue par le professeur Raoult. Un collectif auquel participerait d’ailleurs Alix Raoult, ophtalmologue à Cardella, sœur du professeur Didier Raoult. 
Hier, c’est Jean-Paul Théron qui a accepté de prendre la parole au nom de ce collectif, cette dernière "ne pouvant être juge et partie", selon lui. Mais aussi parce qu’il est "dégagé de son devoir de réserve", retraité depuis juillet dernier de la Direction de la santé. Quoi qu’il en soit, il assure représenter des "centaines de patients et probablement quelques médecins."
Comme il nous l’explique longuement et sur le ton de l'assurance, dans le cadre d’un traitement préventif "précoce à très précoce", l’usage de l’hydroxychloroquine peut éviter les complications parfois mortelles d’une infection au Covid-19.

Plusieurs études publiées ces dernières semaines réfutent pourtant l’efficacité de cette molécule dans le traitement du Covid-19, avec ou sans antibiotique et quel que soit le moment où la thérapie est administrée (voir encadré).
Mais, balaye vindicatif Jean-Paul Théron, "ces études sont publiées par de véritables escrocs avec la complicité de journaux – en dehors des rédactions sérieuses de France Soir et de Paris Match [sic], qui ont su garder la tête froide." Pour sa part, avec ses "40 ans d’expérience" de thérapeute, il a passé "à peu près 300 heures à éplucher des études chinoises, japonaises, de véritables études suisses et françaises de qualité, et à décrypter 100% de la démarche de l’IHU de Marseille." Aussi, selon lui, ne pas permettre aux médecins libéraux de Polynésie française de prescrire un traitement préventif à base de chloroquine dans le traitement du Covid-19 est "un véritable scandale." Au premier mort, l’activiste claironne qu’il attaque au pénal les responsables locaux de la santé.
 
"Primum non nocere"
 
Et, "plutôt que de s'agiter inutilement sur la véracité de telles ou telles études scientifiques ou pseudo scientifiques dont les plus diffusées sont d'ailleurs les plus frelatées, le seul débat qui justifie d'être porté sur la place publique c'est pourquoi en Polynésie nous sommes les seuls médecins et pharmaciens de la planète à être contraints."
Contacté, le président du syndicat des médecins libéraux s’avère plus mesuré, mais partage cette position de principe. Le docteur Didier Bondoux est favorable à la liberté de prescrire du médecin. Mais avec réserve, en ce qui concerne l'emploi de la chloroquine dans le traitement du Covid-19 : "Je dirai que c’est en âme et conscience que les médecins devraient pouvoir éventuellement prescrire cette molécule, tout en sachant – et j’insiste là-dessus – que l’on n’a encore aucune preuve de son efficacité dans le cadre d’un traitement du Covid. Donc la liberté de prescription, oui. Mais sur la nécessité de ce traitement... Hippocrate nous rappelle qu’en premier, il ne faut pas nuire : 'primum non nocere'. Et en tant que praticien, je ne suis pas sûr de ne pas nuire à la santé de quelqu’un à le prescrire dans ce cas-là. Pour le moment, jusqu’à preuve du contraire et des études qui sont faites, nous n’avons aucune preuve de l’efficacité d’un tel traitement ou de sa non-efficacité. Dans la mesure où l’on n’est pas certain d’apporter un plus avec ce traitement, à titre personnel, je ne prendrai jamais le risque de le prescrire."

L’efficacité douteuse de l’hydroxychloroquine (HCQ)

Etude Recovery (sur l’efficacité de l'HCQ sur la mortalité et la sortie de l'hôpital à 28 jours).
Résultats : aucune différence entre les traitements standards (25 % de mortalité / 62,8 % de sortie) et le traitement par HCQ (26,8 % de mortalité / 60,3 % de sortie).
 
Etudes américaines (deux études randomisées, contrôlées par placebo et en double aveugle).
La première publiée dans Annals of Internal Medicine, observe les différences entre le groupe placebo et le groupe HCQ sur les effets secondaires, la persistance des symptômes, l'hospitalisation et le décès.
Résultats : hormis les effets secondaires (maux d'estomac, nausées, douleurs abdominales) qui augmentent de façon significative avec la prise d'HCQ (43 % contre 22 %), aucune différence notable n'est décelable entre le groupe placebo et l'HCQ sur les autres paramètres.
La seconde, publiée dans le New England Journal of Medicine, s'intéresse à l'usage en prophylaxie. Résultat : l'HCQ n'a pas réduit le risque d'infection (14,3 % d'infections dans le groupe placebo contre 11,8 % dans le groupe HCQ). La diminution des infections dans le groupe HCQ n'est pas significative.
 
Les études françaises, publiées dans la revue Nature le 22 juillet 2020. Une étude in vitro montre que ni la chloroquine ni l'hydroxychloroquine n'inhibent la réplication du SARS-CoV-2. Contrairement aux résultats préliminaires qui suggéraient une inhibition dans des cellules rénales de singes Véro, les résultats des équipes françaises montrent que ces molécules n'inhibent pas le SARS-CoV-2 au sein des cellules pulmonaires humaines.
 
L'étude brésilienne (randomisée) : Elle conclut à l'inefficacité de la célèbre bi-thérapie marseillaise comparée à un placebo sur l'échelle de gravité de la maladie.
 
La revue Prescrire, indépendante de tous liens pharmaceutiques, vient de prendre position grâce aux données de la science et conclut ceci le 24 juillet 2020 : "Les résultats d'essais comparatifs de l'hydroxychloroquine en traitement de la maladie Covid-19 deviennent consistants, et la balance bénéfices-risques paraît de plus en plus clairement défavorable dans cette situation."

Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, a pris position le 23 juillet à la suite de toutes ces publications. L'ancien directeur de l'Inserm se dit très mécontent des agissements de son collègue Didier Raoult : "C'est un scientifique de haute volée, directeur de l'un des six IHU français, les perles de la recherche hospitalo-universitaire, doté d'un budget de l'ordre de 120 millions d'euros par an. On attendait de lui de la belle science, robuste, contrôlée. Pas des publications hebdomadaires à grand succès sur YouTube, la mobilisation sur un tel sujet d'un invraisemblable mouvement d'opinion qui restera dans les annales, des articles bâclés dans des revues maison. Ils ont failli, déconsidéré la recherche hospitalo-universitaire française, effroyablement compliqué la recherche clinique dans le monde entier."

Plus de 243 études sont encore en cours concernant l'HCQ.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 10 Septembre 2020 à 09:00 | Lu 4021 fois