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Les assurances face au défi climatique


Entretien avec le vice-président du comité des sociétés d'assurances de Polynésie française (Cosoda), Yannick Cadet - crédit photo SD
Entretien avec le vice-président du comité des sociétés d'assurances de Polynésie française (Cosoda), Yannick Cadet - crédit photo SD
Tahiti, le 5 octobre 2023 - Alors que la saison des cyclones approche à grands pas et que le changement climatique est devenu une réalité sur laquelle on ne peut plus fermer les yeux, les compagnies d'assurance doivent elles aussi s'adapter. En Polynésie, les risques sont différents qu'en métropole et selon les archipels. Entretien avec le vice-président du comité des sociétés d'assurances de Polynésie française (Cosoda), Yannick Cadet.
 
Quels sont les événements météorologiques les plus préoccupants pour les assureurs en Polynésie ? On imagine que ce ne sont pas les mêmes qu'ailleurs...

“Effectivement, les choses sont un peu différentes en Polynésie par rapport à la France ou aux régions tropicales. Le risque principal qui nous préoccupe, c'est le risque cyclonique car il peut engendrer des sinistres vraiment très importants, avec des constructions assez exposées, la plupart du temps près de la mer, et sur la base de constructions légères et je pense notamment aux hôtels.”
 
Comment les compagnies d'assurances locales adaptent-elles leurs politiques face à ce changement climatique ? Avez-vous déjà amorcé un virage ou pas encore ?

“Oui, on est nécessairement obligé de s'adapter. Ça passe par une meilleure appréhension et connaissance des zones géographiques à l'intérieur même de la Polynésie. On ne traite pas les assurables des Marquises de manière identique à ceux de Bora Bora par exemple. Aux Marquises, c'est plutôt le risque de tsunami qui est prépondérant alors qu'à Bora, c'est plutôt l'exposition aux cyclones. Donc ce sont des choses qu'on doit connaître assez finement pour pouvoir les défendre auprès des assureurs avec lesquels nous travaillons. (...) En Polynésie, on est encore relativement épargnés comparativement aux autres régions tropicales. Jusqu'à présent ... On touche du bois !”
 
Et pour les Tuamotu qui sont aussi très exposés, notamment avec la montée des eaux ? Nous sommes en 2023 et même si ça peut paraître assez loin, 2100 c'est demain et on parle de 3 à 4° en plus sur la planète. Avez-vous des offres adaptées, sensibilisez-vous les assurés ? Comment ça fonctionne ?

“Oui, on communique assez régulièrement pour passer des messages de prévention, notamment sur tout ce qui touche aux risques météo. C'est d'autant plus important en Polynésie qu'il y a une grande distinction à faire avec l'approche de la France hexagonale. En France, la garantie catastrophe naturelle est automatiquement inclue dans le contrat d'assurance. On paie une contribution obligatoire et on bénéficie de la garantie qui est en fait une mutualisation au niveau national. Mais en Polynésie, il n'y a pas ce système de fonds commun de catastrophe naturelle. Cela permet uniquement au gouvernement de débloquer des fonds. Donc ça passe par une garantie à adhésion volontaire et il faut sensibiliser les assurés. Parce que sinon, dans un pays où il y a quand même un réflexe assurantiel assez faible, très peu de personnes vont prendre la décision d'acheter la garantie qui reste quand même assez onéreuse. Et ils vont se retrouver au moment du sinistre exposés sur leurs fonds personnels.”
 
Prenons un cas concret puisqu'on entre en période cyclonique. Demain, un cyclone arrive, j'ai assuré ma maison normalement mais pas spécifiquement pour les cyclones. Je ne suis pas couverte du tout ?

“Effectivement. Si je prends la décision de ne pas souscrire à la garantie cyclone, je prends donc la décision de rester mon propre assureur et d'assumer personnellement les dommages que pourrait subir ma maison en cas de cyclone.”
 
Combien coûte une assurance cyclone ?

“Ça va dépendre bien entendu du type d'habitation, de la valeur de son contenu, etc., mais je dirais que pour une maison assez standard, construite en dur, couverte en tôles avec trois chambres, la garantie va commencer autour de 25 000 francs par an.”
 
Et y a-t-il des zones géographiques ou des constructions que les compagnies refusent d'assurer ?

“Oui, on est sur une approche où c'est la liberté contractuelle qui prévaut. L'assuré est libre de ne pas s'assurer et l'assureur est libre de ne pas assurer. Il n'y a pas d'obligation spécifique pour l'un comme pour l'autre. Après, chaque compagnie va décider de sa politique de sélection des risques.”
 
En termes de délai, on entend souvent les assurés se plaindre du décalage entre le moment du sinistre et le moment où ils sont remboursés par leur assurance, en tout cas en métropole. La Polynésie est-elle meilleure élève en la matière ou pas ?

“J'aurais envie de dire oui, c'est certain (rires), mais c'est difficilement comparable. Globalement, sur des sinistres assez modestes, les choses peuvent se régler en quelques jours. Les services ‘sinistre’ des compagnies et des courtiers sont bien équipés en termes de compétence et de volume d'effectifs. Après, il faut également que l'assuré soit partie prenante et bien impliqué, car plus vite il fournit les justificatifs qu'il doit, plus vite il est indemnisé.”
 
À l'instar de quelques autres professions, vous pâtissez souvent d'une mauvaise image... Nous sommes quelques-uns à penser que l'on paie des assurances pour rien. Comment tordre le cou à cette idée ?

“On a bien conscience de cette problématique d'image. Elle est liée en premier lieu au fait qu'on exerce un métier avec un environnement juridique fort. Ce qui veut dire que ce n'est pas aisément compréhensible par tout le monde. À nous ensuite d'adapter le discours.”
 
Mais c'est vrai que quand on a un problème et que l'on n'est pas remboursé, on a souvent l'impression que c'est à cause de la petite ligne ou du petit astérisque qu'on n'avait pas vu... II y a peut-être un travail de vulgarisation à faire ?

“Oui, et il y aussi une nécessaire implication plus importante de l'assuré dans sa recherche d'assurance. Je prends toujours un exemple assez marquant : quand je vais acheter un téléphone au magasin, si je n'explique pas que c'est pour aller sur internet, je vais me retrouver peut-être avec un téléphone à touches qui ne va pas sur internet. L'assurance fonctionne un peu pareil. Si je n'explique pas mon besoin et que je m'intéresse simplement à acheter le moins cher possible sans regarder ce qu'il y a dedans, il y a des chances que je vise à côté.”
 
Pour conclure, comment abordez-vous cette période qui arrive ? Vous scrutez la météo avec attention ?
“On nous annonce qu'il n'y a pas forcément de risque exceptionnel mais il faut rester prudent. On véhiculera pas mal de messages de prévention, déjà au démarrage de la saison des pluies, et on invite ceux qui n'ont pas déjà fait la démarche, à se rapprocher de leur assureur pour faire un bilan et faire en sorte de mettre en place, dès à présent, les garanties adéquates.”

Rédigé par Stéphanie Delorme le Jeudi 5 Octobre 2023 à 17:18 | Lu 2308 fois