Tahiti Infos

"Les aides ont évité la déroute"


Tahiti, le 20 décembre 2022 – Alors que l'année 2022 s'achève sur le constat d'une reprise économique doublée d'une forte inflation, le président du tribunal mixte de commerce (TMC) de Papeete, Christophe Tissot, a accordé un entretien à Tahiti Infos. Il explique notamment que la juridiction a retrouvé son niveau d'avant-crise bien plus tôt que prévu et que les entreprises ont plutôt bien résisté à la crise en raison, notamment, de la politique du “quoi qu'il en coûte” appliqué par le président Macron et du soutien de la Polynésie. Il relève cependant que la crise a été particulièrement difficile pour les “petits patentés”.
 
Au terme de deux ans de crise sanitaire, la reprise de l'économie se traduit-elle au tribunal mixte de commerce ?

“La remarque principale à faire est que l'activité des procédures collectives est en hausse. C’est-à-dire que nous avons été davantage saisis cette année que ces deux dernières années qui étaient exceptionnelles du fait de la chute du nombre de saisines du tribunal. Assez paradoxalement, il n'y avait plus d'activité durant la crise donc nous aurions pu imaginer qu'il y ait un afflux devant le tribunal de commerce. Or, cela a été le contraire. L'absence d'activité économique ayant été compensée par les aides, tout le monde s'est en quelque sorte confiné et le tribunal n'a pas été saisi. En 2020 et 2021, la moitié de notre activité avait donc disparu. En 2022, c'est donc le retour à la normale. Nous avons une augmentation des chiffres qui nous fait revenir au niveau d'avant-crise. Il y a un retour à la normale que l'on n'imaginait pas aussi rapide mais l'on ne peut pas non plus parler de destruction de l'économie, de vagues de faillite ou de défaillances.”
 
A quelle situation économique post-crise vous attendiez-vous ?

“Tout le monde a pensé qu'il y aurait des défaillances massives. C'était le bon sens de penser qu'après deux ans de perturbations liées au covid et à un niveau d'inflation record, l'on pouvait légitimement prévoir une crise de l'entreprise et ce n'est pas le cas. Cela s'explique, selon moi, par l'importance des aides de l'État et du Pays qui ont été accordées. Il est clair que le “quoi qu'il en coûte” du président Emmanuel Macron en métropole qui a été appliqué sur le territoire a servi et que les trésoreries des entreprises ont été abondées comme il le fallait. Il y a aussi un effet rattrapage d'après-crise qui fait que l'on consomme tout ce que l'on n'a pas consommé. Je rappelle que l'emploi salarié ne s'est jamais aussi bien porté qu'aujourd'hui. On retrouve vraiment très rapidement les hauts niveaux d'avant-crise. Nous sommes remontés aux chiffres d'avant-crise et je ne pensais pas que cela interviendrait avant 2023. Nous pouvons dire que les aides ont évité la déroute.”
 
Quels sont les domaines d'activités qui ont été les plus impactés en matière de procédure collective ?

“Il n'y a pas de domaine particulier. En revanche, il y a une catégorie de population qui est vraiment en difficulté, ce sont les petits patentés. Il est vrai qu'ils ont vraiment des difficultés et que les périodes de crise sont très difficiles pour eux. En effet, ils sont sans trésorerie alors qu'il faut continuer à payer la CPS et les impôts. Et donc, ceux qui n'ont pas de réserves sont les premiers à subir les effets de la crise. Tous les petits patentés du BTP, de la petite restauration se retrouvent donc beaucoup chez nous.”
 
Le TMC a récemment placé les deux Sofitel de Bora Bora et le Tahiti Ia Ora Beach Resort du groupe Grey en redressement judiciaire. Qu'en est-il donc du domaine du tourisme ?

“Au travers de l'activité du TMC, l'on constate qu'il n'y a aucune crise du secteur chez nous. Cela tient plus à un acteur qui se désengage manifestement. Pour le reste, le secteur du tourisme s'est bien relevé. Il a beaucoup souffert de la crise mais il a aussi été très soutenu.”
 
Vous tenez régulièrement à insister sur la nécessité, pour les entreprises, d'user de “mécanismes de prévention” tel que la procédure de conciliation. Que peut-elle apporter à une entreprise en difficulté ?

“Je tiens à rappeler que les difficultés d'entreprise, les défaillances, le problème de cessation des paiements, sont des choses qui doivent se traiter suffisamment tôt. Un grand feu est toujours un petit feu, une maladie, ce sont toujours des signaux que l'on n'a pas pris en considération. C'est la même chose pour les défaillances d'entreprise et c'est le sujet que je rabâche. Il faut que les chefs d'entreprise utilisent les mécanismes de prévention et de conciliation. Si votre entreprise est en difficulté mais pas encore en cessation des paiements, qu'elle a par exemple un rappel de cotisations CPS qu'elle ne peut pas payer, il est inutile d'attendre des relances. Il faut prendre les devants et demander au président du tribunal du commerce une conciliation. C'est le conciliateur qui, dans le cadre d'une mission secrète, essaiera de trouver des solutions, notamment d'échelonnement des dettes sur plusieurs années pour éviter la cessation des paiements. Si la plupart des entreprises que l'on voit au tribunal étaient venues un an plus tôt, nous aurions pu trouver une solution.”
 
Le président avait annoncé il y a 18 mois lors de sa venue en Polynésie le transfert du Registre du commerce et des sociétés de l'État au Pays. Où en est ce projet ?

“Une mission ministérielle de la chancellerie est venue à Tahiti il y a un an pour expertiser les conditions du transfert et les choses sont toujours en cours. Cela demande un travail normatif et réglementaire important mais heureusement, les services de la Polynésie française sont très avancés. Ensuite, il y aura le passage du service actuellement tenu par le tribunal à la Polynésie. Nous espérons que cela pourra aboutir en 2023 et cela devrait permettre une véritable modernisation.”

Le transfert du RCS

Lors de sa visite au fenua en juillet 2021, le président de la République, Emmanuel Macron, avait annoncé le transfert du Registre du commerce et des sociétés (RCS) de l'État vers le Pays. L'objectif de ce transfert est d'en finir avec les très longs délais pour les formalités liées au Kbis des entreprises qui peuvent parfois atteindre plusieurs mois. Le RCS est actuellement rattaché au TMC et doit gérer l'ensemble des mises à jour des sociétés et des demandes de délivrance d'actes du RCS tels que les extraits Kbis, les copies des bilans, les certificats de non faillite ainsi que les statuts.

Chiffres du TMC

  • 320 nouveaux dossiers de procédure collective en 2022 contre 250 en 2020 et 2021 et 330 en 2019.
  • Sur ces 320 nouveaux dossiers, 72 liquidations judiciaires ont été prononcées, soit 20%. Des liquidations auxquelles il faut ajouter les liquidations judiciaires prononcées suite à l'échec du redressement judiciaire ou du plan de continuation.
  • Au total, 150 liquidations judiciaires prononcées en 2022 contre 130 en 2019.
  • 20 plans de continuation en 2022 contre 10 en 2019.

Rédigé par Garance Colbert le Lundi 19 Décembre 2022 à 17:30 | Lu 1888 fois