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Les abstentionnistes, des électeurs à convaincre


© Greg Boissy
© Greg Boissy
Tahiti, le 5 avril 2023 – À dix jours du premier tour des élections territoriales, l'une des grandes inconnues est quel sera le taux de participation. Car au cours des vingt dernières années, même si les élections territoriales sont celles qui mobilisent le plus en Polynésie, on a observé une hausse de l'abstention. Pour les différents responsables politiques, ce sont donc ces abstentionnistes qu'il faut aller convaincre et qui peuvent faire la différence.
 
Lors des élections, le grand gagnant en Polynésie est souvent l'abstention. Cela est particulièrement vrai pour les élections nationales ou européennes. En revanche, les élections territoriales sont celles qui mobilisent le plus, avec les élections municipales. Toutefois, on observe depuis ces vingt dernières années, pour les élections territoriales aussi, une baisse du taux de participation. Alors qu'il était de 80,48% en 2004 et 79,45% en 2005, il est passé à 67,45% au premier tour en 2013 et 61,51% au premier tour également en 2018. Pour les différents partis, ce désintérêt grandissant pour les élections est préoccupant. "Ce sont des personnes qui ne s'expriment pas lors d'un suffrage, donc qui au final ne participent pas à la définition de l'avenir du Pays”, indique le coordinateur principal du Tapura Huiraatira, Léonard Puputauki Jr. Pour le politologue Sémir Al Wardi, en revanche, il n'y a rien d'alarmant. “Quand on regarde les années 1960, on est à peu près aux mêmes chiffres qu'aujourd'hui, il n'y a pas trop de différence”, observe-t-il. Selon lui, c'est l'histoire politique qui a fait qu'à un moment, la participation était plus élevée. “C'est à partir de 1982 où on monte à plus de 70% jusqu'en 2004. Et en 2004, on a un sommet qui est à 80,48%. Et 2005, même chose, 79,75%, mais là nous sommes dans une période très particulière, c'est ce qu'on appelle le Taui. Le premier, en 2004, c'est la “lutte” pour une grande partie de l'opposition en faveur de la démocratie, y compris les indépendantistes, la participation est très forte et c'est là où Gaston Flosse tombe. En 2005, 79,75%, la raison est très simple, Gaston Flosse est revenu au pouvoir suite à une motion de censure et là, les électeurs des îles du Vent (ils sont les seuls à voter en 2005 suite à l'annulation des résultats de la circonscription par le Conseil d'État, NDLR) votent. Ils sont furieux de ce changement et remettent en place Oscar Temaru. On passe d'une différence de 300 à 6 000 voix. Donc là, il y a vraiment une participation active parce que la situation politique incitait la population à voter. Après, ça descend et on retrouve des chiffres un peu plus bas que la moyenne générale (qui se situe autour de 70%) mais ça reste quand même assez élevé.

Une hausse de l'abstentionnisme observée dans toutes les démocraties

L'abstention n'est pas l'apanage de la Polynésie française, loin de là. “Dans toutes les démocraties du monde, on a remarqué que l'abstention était de plus en plus importante”, explique Sémir Al Wardi. “Et en même temps que le taux d'abstention s'élevait, on voyait apparaître les partis antisystèmes. Donc c'est un mouvement plus ou moins général. La Polynésie française n'est pas hors monde. La seule différence vraiment notoire, c'est qu'en réalité, nous fonctionnons comme toutes les démocraties mais avec un peu de retard. Ce qui veut dire que le vote “affectif” diminue, que la campagne électorale prend de l'importance (thèmes abordés) et on va aller à un moment donné forcément vers l'accroissement des abstentionnistes, comme le reste des démocraties. Mais nos taux actuels restent quand même assez élevés.”
 
Reste que les abstentionnistes sont, pour l'ensemble des partis, ceux qu'il faut aller chercher. Car en cas de résultats très serrés, leurs voix peuvent faire la différence. Et la stratégie déployée par les partis pour essayer de convaincre les abstentionnistes est souvent la même : aller à leur rencontre sur le terrain. “On a commencé il y a six mois à faire du terrain”, indique Nicole Sanquer, tête de liste de la section 2 des îles du Vent du A Here ia Porinetia. “Déjà pour présenter les représentants des communes et le parti, parce que nous sommes nouvellement créés. Et ensuite pour échanger. Nous avons aussi les réunions publiques et ce que nous constatons, c'est qu'il y a plusieurs personnes abstentionnistes qui lisent le programme et qui viennent nous interpeler sur des mesures. Elles se déclarent abstentionnistes et notre objectif est évidemment de les convaincre à la fin de la réunion.” Idem pour le Tapura Huiraatira. “La stratégie adoptée, c'est principalement la rencontre sur le terrain, les discussions, le partage”, confie Léonard Puputauki Jr. “On a beaucoup de militants et de responsables qui font du terrain, de la proximité, qui rencontrent des jeunes. Des jeunes par nos jeunes, car on a des équipes de jeunes qui passent dans les quartiers. On a aussi des équipes qui passent voir les personnes âgées.” Pour lutter contre l'abstention, les équipes sur le terrain encouragent également les électeurs à faire une procuration s'ils ne peuvent pas se déplacer pour le scrutin.

Manque de confiance et indécision

Les responsables politiques le reconnaissent, les électeurs ont de moins en moins confiance dans les hommes et les femmes politiques et l'indécision pour quelle liste voter est grandissante. “Il y a effectivement des personnes qui sont un peu blasées de la politique, on peut comprendre”, admet le coordinateur principal du Tapura Huiraatira. “Il peut y avoir ce qu'on appelle ‘une rupture de crédibilité'“, confirme Sémir Al Wardi. “À partir de ce moment-là, la confiance à la classe politique peut être entamée, ce qui veut dire clairement que l'offre politique peut ne pas satisfaire ces indécis-là.” Le A Here ia Porinetia indique avoir des mesures spécifiques dans son programme, justement pour “renouer la confiance” avec les politiques. “Notamment tout ce qui est transparence au niveau des dépenses publiques, au niveau des dettes publiques. On prône la démocratie participative avec l'activation du référendum local sur des sujets qui impactent la vie des Polynésiens. On va jusqu'à préconiser un référendum local sur les grands projets, sur les lois fiscales, sur les mesures de la réforme de la PSG. Tout ça pour essayer de renouer la confiance entre le politique et la population”, souligne Nicole Sanquer. “La question que je me pose maintenant, c'est est-ce que ces indécis vont s'abstenir ou vont se décider au dernier moment ?”, conclut le politologue Sémir Al Wardi.
Premiers éléments de réponse dans dix jours, le 16 avril au soir, à l'issue du premier tour des prochaines élections territoriales.

Source : Sémir Al Wardi
Source : Sémir Al Wardi

le Mercredi 5 Avril 2023 à 18:54 | Lu 2001 fois