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Les Samoa se souviennent encore de l’Église de Tahiti


Une lithographie de John Williams réalisée par Henry Anelay entre 1838 et 1841, avec en fond les Vanuatu et à bord des objets d'artisanat vanuatu.
Une lithographie de John Williams réalisée par Henry Anelay entre 1838 et 1841, avec en fond les Vanuatu et à bord des objets d'artisanat vanuatu.
PAPEETE, le 24 mai 2016 - Dans l'archipel des Samoa, tous les habitants connaissent l’Église de Tahiti, ou Lotu Ta'iti. C'est ainsi que se nommait la toute première congrégation de l'archipel, fondée par des missionnaires venus de Polynésie et d'Angleterre.

L'histoire de ces premiers missionnaires venus de Raiatea pour christianiser les Samoa est peut-être confidentielle en Polynésie française, mais elle est légendaire chez nos cousins à l'Ouest. Ils étaient huit, tous issus des îles de la Société : Umia, Teava, Moia, Boti, Tereauone, Anea, Tuatone et Ratu.

C'est un jeune quincaillier Anglais nommé John Williams qui a tout organisé. Selon le livre d'histoire "Lagaga: A Short History of Western Samoa", il a été "inspiré" à rejoindre la London Missionary Society (LMS) en 1816 pour répandre les Évangiles dans le monde. Il partit pour Raiatea avec sa femme en 1817. La LMS avait installé sa première mission à Tahiti seulement 20 ans plus tôt... Il resta peu de temps sur l'Île sacrée, puisqu'il alla répandre sa foi aux îles Cook, à Rarotonga, en 1821, avec les huit convertis missionnaires des Raromatai. Il décida ensuite d'apporter le gospel aux Samoa, alors impénétrable aux missionnaires européens.

DE LA BOURRE DE COCO POUR ÉTANCHÉIFIER LA COQUE

L'histoire raconte que la LMS ne voulut pas financer l'expédition aux Samoa et que John dû se débrouiller avec les ressources locales pour construire son propre navire en 15 semaines. Il aurait forgé lui-même ses clous et rivets à partir de barres de fer, et avec l'aide de la population locale aurait utilisé de la bourre de coco, de la fibre de bananier et même des tapa pour étanchéifier la coque. Des nattes attachées avec des cordes de pêche auraient constitué les voiles. Le "Messenger of Peace" faisait 60 pieds (18 mètres) de long pour 18 pieds (5,5 mètres) de large.

Ce navire construit avec le mélange des techniques et savoirs modernes et traditionnel devait avoir une drôle d'allure, mais il tenait l'océan. Il embarqua en compagnie de ses huit missionnaires des Raromatai, d'un autre missionnaire européen vivant aux îles Cook, Charles Barff, et la famille de Faueā, un Samoan vivant à Tonga, converti au christianisme.

Les Samoa où ils arrivèrent en 1830 étaient alors en pleine guerre de chefs, comme le raconte l'histoire officielle de la Congregational Christian Church in Samoa (l'héritière de la Lotu Ta'iti). Le chef d'une des deux factions rivales, Malietoā Vainu'upō, vint rencontrer l'équipage du Messenger of Peace et accepta d'héberger les huit missionnaires polynésiens. Malietoā finit par gagner sa guerre et reçu les quatre titres, ou "pāpā", faisant de lui le Tafa'iafā, le "quatre-en-un", donc le chef avec le plus haut rang des Samoa. En 1832, ce chef était devenu chrétien, et les huit missionnaires répandaient la foi et étendaient l'influence de la Lotu Tai'iti, "l’Église de Tahiti" comme l'appelaient les locaux, dans les villages et les îles de l'archipel. Selon l'histoire racontée aujourd'hui par l’Église, le message de paix apporté par des Polynésiens a été rapidement adopté à travers toutes les îles alors souvent en guerre, alors même qu'une décennie plus tôt aucun missionnaire n'était accepté dans l'archipel...

AVEC LA CHRÉTIENTÉ, L'IMPRIMERIE ET L'OUVERTURE SUR LE MONDE

Dès leur arrivée les missionnaires ont commencé à créer un alphabet samoan, alors que John Williams repartait vers d'autres île poursuivre son œuvre religieuse. En 1834, les premiers livres traduits en samoan était rapportée par la London Missionary Society (livres d'hymnes et de catéchisme). En 1839, une presse était installée sur l'île et le premier journal était publié. En 1848, le Nouveau testament en samoan était publié, puis en 1855, l'Ancien testament. Jusqu'en 1975, les Samoa devinrent un important centre d'exportation de missionnaires à travers le Pacifique, ses fidèles allant même bien plus loin, jusqu'à prêcher à Londres, en Afrique ou à Haiti. Des lignes maritimes régulières ont été rapidement établies avec le reste du monde.

Williams, lui, est mort le 20 novembre 1839 à Erromanga aux Vanuatu, tué et mangé par des Polynésiens qui voulaient se venger d'autres aventuriers blancs qui avaient pillé les îles et capturé des habitants pour les faire travailler en esclavage. Son crâne et quelques os ont été retrouvés et enterrés à Apia, la capitale de ces Samoa qu'il avait, avec l'aide de huit missionnaires polynésiens, converti au christianisme et propulsé dans le monde moderne… Au point que dans les années 1880 et 1890, un demi-siècle plus tard, trois puissances coloniales (Allemagne, Angleterre et États-Unis) s'y affrontaient avant de se partager les îles lors d'une convention signée en 1899 à Washington… La partie occidentale de l'archipel retrouva son indépendance en 1962, la partie orientale étant encore un territoire américain.

Le nom de l'église, Lotu Ta'iti, a été changé en 1962 lorsque l'église est devenue indépendante de la London Missionary Society en même temps que le pays quittait le protectorat néo-zélandais.



Petaia Leavai, pasteur de la Congregational Christian Church in Samoa

"Je n'ai pas la charge d'une paroisse, je suis un des pasteurs de la Mission. Nous nous occupons des programmes pour la jeunesse, contre le suicide, la violence domestique… Nous essayons d'avoir un message fort, basé sur les Écritures et avec l'aide des pasteurs locaux pour parler de ces sujets.

Avant, notre église s'appelait Lotu Ta'iti, l’Église de Tahiti, mais désormais nous sommes la CCCS, Congregational Christian Church in Samoa. Selon notre histoire, c'est à Tahiti que John Williams et son équipage se sont arrêtés en premier, d'où le nom. Ici, on raconte que les précédents missionnaires ne parlaient pas la langue et ne connaissaient pas les coutumes. Mais en vérité, aucun des missionnaires de John Williams ne connaissaient la langue, mais ils n'abandonnaient pas facilement et ils ont reçu de l'aide des locaux, qui leur ont appris la langue. Ils sont restés plus que quelques jours, ils ont fait l'effort de rester et d'apprendre, contrairement aux autres missionnaires qui trouvaient que la barrière de la langue était un trop grand problème.

Aujourd'hui, le nom Lotu Ta'iti n'est plus utilisé. C'est vrai que ça n'a rien a voir avec le gospel, mais ce serait bien de rappeler notre histoire aux nouvelles générations et de nous réunir avec les églises de Tahiti pour se souvenir. Mais vous savez, pour répandre le Message il faut aller de l'avant pour transmettre le gospel à d'autres îles et au reste du monde. Aujourd'hui encore nous avons cette vocation missionnaire, avec des missionnaires jusqu'à la Jamaïque. Moi même j'aimerais beaucoup recevoir une mission d’évangélisation et marcher sur les pas de John Williams..."



Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 24 Mai 2016 à 17:41 | Lu 2101 fois