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Les Philippines s'exposent aux foudres de Pékin en se rapprochant de Washington


Ted ALJIBE / AFP
Ted ALJIBE / AFP
Manille, Philippines | AFP | mercredi 05/04/2023 - Les Philippines ont fait volte-face dans leurs relations avec la Chine, s'exposant à d'éventuelles foudres de Pékin en se rapprochant de Washington.

A l'inverse de son prédécesseur Rodrigo Duterte (2016-2022), qui privilégiait une alliance avec Pékin, le président Ferdinand Marcos a d'abord prôné une approche plus équilibrée vis-à-vis des deux puissances rivales et promis que son pays serait "l'ami de tous, l'ennemi de personne".

D'un côté, il a renforcé ses liens avec Washington, jurant que Manille ne laisserait pas Pékin piétiner ses droits dans la très disputée mer de Chine méridionale.

De l'autre, il s'est rendu à Pékin en janvier et a appelé avec son homologue chinois Xi Jinping à une gestion "amicale" de leurs différends maritimes. 

Mais quelques semaines plus tard, une querelle a éclaté lorsque Manille a accusé un navire de sécurité chinois d'avoir utilisé un laser militaire contre un bateau de patrouille philippin.

Et cette semaine, Manille a annoncé la localisation des quatre bases militaires supplémentaires qu'elle met à disposition des troupes américaines, dont deux stratégiques, l'une non loin de Taïwan, l'autre près de la mer de Chine méridionale. 

Pékin a aussitôt accusé Washington de "mettre en péril la paix et la stabilité régionales". 

Le régime communiste revendique la quasi-totalité de ce bras de mer de Chine, d'une part, et l'île démocratique de Taïwan d'autre part, qu'il menace de récupérer un jour par la force.  

Manille a désormais accepté le fait que "les Philippines ne peuvent pratiquement rien faire pour apaiser la Chine", observe Greg Poling, directeur de l'Initiative pour la transparence maritime en Asie, basée aux Etats-Unis. "Si le gouvernement philippin veut défendre les droits des Philippines, le seul recours possible est la dissuasion, ce qui implique de renforcer l'alliance avec les Américains".

"En première ligne"

Manille a "le sentiment d'être en première ligne", a déclaré le président Marcos en février. "Il est très difficile d'imaginer un scénario dans lequel les Philippines ne seraient pas impliquées d'une manière ou d'une autre". 

Les relations entre Washington et Manille ont commencé à s'améliorer en 2021, quand l'ex-président Duterte a compris vers la fin de son mandat que son rapprochement avec Pékin n'était pas concluant en mer de Chine méridionale.

Les autorités chinoises ont créé des îles militarisées et déployé des centaines de navires pour patrouiller dans les eaux que se disputent plusieurs pays, dont les Philippines. 

Le processus s'est accéléré à l'arrivée en juin 2022 du président Marcos, fils du dictateur Ferdinand Marcos (1965-1986) considéré par Washington comme un allié pendant la guerre froide.

Depuis, Manille a vu défiler un grand nombre de hauts responsables américains, dont la vice-présidente Kamala Harris et le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, qui ont promis leur engagement "inébranlable". 

"Il existe un sentiment d'optimisme quant au fait que le gouvernement (philippin) fait ce qu'il faut maintenant", souligne Jay Batongbacal, directeur de l'Institut des affaires maritimes et du droit de la mer de l'Université des Philippines. "Pékin peut essayer de punir les Philippines, mais la vérité est que les relations économiques des Philippines avec les Etats-Unis, le Japon et d'autres partenaires traditionnels l'emportent encore largement sur celles de la Chine".

"Entraînés dans la guerre" 

"Du côté américain, on redécouvre pourquoi les Philippines sont si importantes stratégiquement", estime M. Poling. 

La proximité avec Taïwan fait potentiellement de Manille un partenaire clé pour Washington en cas d'invasion chinoise de l'île.

En février, les deux alliés ont renforcé leur accord de coopération de défense, connu sous l'acronyme EDCA et signé en 2014 par le prédécesseur de M. Duterte, Benigno Aquino (2010-2016). 

Les troupes américaines peuvent désormais tourner sur un total de neuf bases militaires philippines et y stocker leur matériel.

"Nous avons le droit de prendre des mesures pour défendre ces zones stratégiques et les protéger des ambitions maritimes de la Chine", a estimé Rommel Jude Ong, ex-vice commandant de la marine philippine.

Mais la présence militaire des Américains reste une question sensible dans l'archipel, leur ancienne colonie.

"Les Etats-Unis nous entraînent dans leur guerre avec la Chine", dénonce l'activiste Liza Maza, 65 ans, qui a fait campagne contre les bases américaines pendant plus de 30 ans et dit avoir l'impression d'être "transportée dans le temps" avec l'EDCA. 

Rédigé par RB le Jeudi 6 Avril 2023 à 06:31 | Lu 708 fois