Tahiti Infos

Léonard Deane, l'homme qui voulait pêcher seul


Léonard Deane.
Léonard Deane.
TAHITI, le 5 octobre 2022 - Léonard Deane a appris la pêche et la manœuvre des bateaux avec son père et son oncle qu’il a suivis en mer dès son plus jeune âge. Plus tard, c’est son expérience, sa fierté et son ingéniosité qui l’ont amené à mettre au point le poti marara. Cette embarcation, symbole de la pêche tahitienne, est désormais connue au-delà des frontières du Pays. Léonard Deane raconte sa vie dans un ouvrage bilingue qui vient de sortir.

Le poti marara est l'emblème de la pêche polynésienne. Son nom est tout simplement composé des termes “poti” (bateau) et “marara” (poisson-volant). Il est l’œuvre de Léonard Dean dit Pēpe ‘Aro, aujourd’hui âgée de 92 ans, qui s'est décidé à raconter l'histoire de sa fabuleuse invention. “J’allais avec mon père et mon oncle sur l’eau, on partait à la nuit tombée pour trois ou quatre heures. On s’installait sur une pirogue avec, à l’avant, le pêcheur et son épuisette, à l’arrière, le pilote.” Pour éclairer l’équipage et l’activité, le pêcheur portait un flambeau de palmes de cocotier. À l’arrière, le pilote devait suivre les indications et réagir le plus rapidement possible. Sans quoi les marara plongeaient et l’épuisette remontait à vide. Léonard Deane a profondément modifié le navire et la pratique de cette pêche.

Enfant, Léonard Deane allait souvent, le soir, sur la plage voir les pêcheurs de marara et d’aiguillettes s’apprêter pour partir dans la nuit. Ils partaient à la rame, éclairés par une lampe. Les pirogues comptaient deux personnes à bord. Dès l’âge de 10 ans, Léonard Deane demanda à son père, qui pêchait avec son frère, de les accompagner. Le père refusa en raison des dangers à bord. Nombreux étaient les pêcheurs qui rentraient blessés par le rostre pointu des aiguillettes capables de faire des bonds de plusieurs mètres hors de l'eau. Un an plus tard, Léonard Deane revint à la charge. Cette fois, son père accepta.

Georges Deane a réalisé des dessins des étapes marquant l’invention de Léonard Deane.
Georges Deane a réalisé des dessins des étapes marquant l’invention de Léonard Deane.
Un caractère rigide

Rapidement, le jeune Léonard Deane montra une certaine agilité à la pêche. Lorsqu’il eu les moyens, il loua une pirogue. Puis, il fit construire un bateau. Lui était le pêcheur. Il formait les pilotes qui l’accompagnaient. “Il était fier”, rapporte son fils Coco. “Il ne supportait pas de rentrer avec moins de poissons que les autres. Donc il ne partait en mer qu’avec des pilotes aguerris et réactifs.” Lesquels devaient, en plus, être conciliants. “Mon père était très exigent et n’avait pas toujours le tact qu’il fallait.” Florinda Deane, sa fille, précise même qu'“il rejetait la faute sur les pilotes, en haussant la voix.” Il finit par se retrouver seul, sans pilote, plus personne ne voulait partir avec lui.

Avant même la désertion des pilotes las des remontrances, Léonard Deane rêvait d’un bateau qu’il pourrait manœuvrer seul. Son caractère ayant fait fuir les derniers pilotes, il se décida à transformer son rêve en réalité. Il avait moins de 30 ans. “Il avait plusieurs fois vu son grand-père dessiner des plans pour construire des maisons, il s’est mis à faire des plans pour la construction d’un bateau”, se souvient Florinda Deane. Il dessina se premiers plans en 1957. La construction vint plus tard.

En effet, en mai 1959, les travaux de la construction de l’aéroport ont démarré à Faa’a. Quatre cents travailleurs ont été embauché, dont Léonard Deane. Le premier avion de la TAI est arrivé en octobre 1960, les travaux étaient à peine terminés. La piste a été inaugurée en mai 1961. Léonard Deane quitta son travail une fois le premier avion posé. Il participa ensuite à la construction de la route du Lotus à Punaauia, au Drive-in de Arue…

C’est en 1962 que Léonard Deane commença la construction du premier poti marara. Il avait ses plans et avait fait des essais sur son bateau installé sur une remorque. Il installa une caisse à l’avant d’un petit bateau à moteur de façon à pouvoir rester debout. Il ajouta une rallonge en bambou pour garder la main sur l’accélérateur. Enfin, il installa un manche à balai à l’avant, relié à des câbles et à des poulies rejoignant le moteur et permettant de virer de tribord à bâbord en un geste. Le prototype mesurait 15 pieds (un peu plus de 4,5 m), et l'idée s'avéra brillante : Le tout premier poti marara fit sensation dès sa sortie inaugurale en mer. Un concessionnaire de moteurs installé à Tahiti le contacta pour des commandes de bateaux. Des pêcheurs, découvrant la géniale invention, réclamèrent eux aussi leur poti marara.

Le mahi mahi après le mārara

C'est à cette époque et grâce à ce bateau que les pêcheurs se sont mis à utiliser un fusil harpon pour tirer sur les mahi mahi. Ils avaient remarqué que la daurade coryphène restait toujours en surface, en particulier lorsque le vent était fort. Cela changeait des habitudes. Jusqu'à cette période, ce poisson se pêchait normalement à la traîne sur un bonitier. Léonard Deane fût témoin de cette pratique. Il inventa également un harpon pour pouvoir attraper des mahi mahi avec son poti marara. Puis, il construisit un bateau plus grand.

Les commandes de poti marara redoublèrent. Léonard croula sous les demandes. D’autres constructeurs ouvrirent leur entreprise pour répondre à la demande. Le poti marara devint le bateau de pêche des Polynésiens. Au fil du temps, ses fonctions se diversifièrent : transport d’hommes et de marchandises, déplacement entre les îles…

Les deux fils Georges et Coco sont eux aussi pêcheurs et constructeurs de poti marara. Le premier a opté pour le bois, le second pour le polyester. Léonard Deane, lui, a pris sa retraite il y plusieurs dizaines d’années maintenant. Il s’est installé aux Australes, à Tubuai.

Florinda Deane. Crédit : Grégory Boissy.
Florinda Deane. Crédit : Grégory Boissy.
Une biographie bilingue

Il y a une dizaine d’années, l'inventeur s’est mis à écrire ses mémoires. Il a rédigé son histoire et décrit ses anecdotes de vie, en langue tahitienne. Sa fille Florinda Deane a repris son manuscrit. Elle a traduit l’ensemble du texte, vérifié les dates, elle a ajouté des titres, des illustrations et légendes. Elle a réalisé un important travail des mois durant, seule. Elle a été découragée à plusieurs reprises mais n’a jamais abandonné, consciente de l'importance de ce travail. “Ce récit raconte aussi une partie de l’histoire de la Polynésie, la mer, les bateaux et la pêche font partie de nous”, explique-t-elle. Elle rappelle que l’invention de Léonard Deane est connue à l’international. “Des journalistes du monde entier sont venus à la rencontre de mon père”, affirme-t-elle. Aujourd’hui, l’ouvrage intitulé Poti Mārara une invention polynésienne est publié par l’association Tā’atira’a Parau, en tahitien et en français.


Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 5 Octobre 2022 à 18:11 | Lu 1864 fois