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Le spectre du couvre-feu


Tahiti, 16 octobre 2020 - Trois mois après la réouverture des frontières, alors que la situation sanitaire connait une « dégradation brutale » sur tous ses indicateurs, de nouvelles interdictions sur les rassemblement vont s’appliquer en Polynésie. L’idée d’instaurer un couvre-feu en Polynésie plane de nouveau sur la population.
 
La pluie battante et le ciel très assombri au-dessus de Tahiti ont proposé un décor adéquat à l’intervention commune du haut-commissaire Dominique Sorain et du vice-président Tearii Alpha. Covid oblige, Edouard Fritch a laissé le soin à son suppléant institutionnel pour annoncer un nouveau train de mesures destinés à enrayer le regain épidémique sur le fenua. Deux jours après l’intervention du Président Macron sur la détérioration de la situation sanitaire et alors que les principaux arrêtés restreignant les activités et les déplacements arrivaient à échéance le 15 octobre, Etat et Pays se sont retrouvés pour annoncer leur volonté commune d’adresser un « signal fort pour casser la chaine de contamination ». Les discours ont ainsi tour à tour évoqué la « hausse vertigineuse » des cas conduisant à une situation « alarmante » notamment sur Tahiti et Moorea, Tearii Alpha s’avançant même à évoquer, trois mois avant les prévisions, que « le pic est là ».

Les bons et les mauvais élèves

Une situation dégradée qui conduit les pouvoirs publics à décider d’une nouvelle vague de restrictions dues à l’irresponsabilité supposée d’une partie de la population. Là où le Haut-commissaire pointera du doigt des gestes barrières « globalement respectés » mais pas « systématiquement », Tearii Alpha évoquera dans des mots plus directs « les gens qui n’ont pas changé leurs habitudes ». « Une partie de la population fait beaucoup d’effort, une partie de la population est inconsciente ». Une exercice de stigmatisation à double tranchant face à des journalistes se plaignant du manque de transparence dans la communication gouvernementale et alors que des ministres en métropole viennent d’être perquisitionnés dans le cadre d’une enquête sur la gestion de la crise de la Covid-19. L’appel à l’exemplarité et à la responsabilité collective et individuelle a ainsi été vite confronté au comportement des élus notamment lors des dernières sénatoriales avec des regroupements pré et post-scrutin et des embrassades multiples susceptibles d’avoir faciliter la propagation du virus. C’est un Sorain légèrement gêné qui lancera un regard au Vice-Président. Quelques minutes après avoir évoqué l’inconscience de certains polynésiens, Alpha abattra tardivement sa carte « Nous ne sommes pas là pour faire de la polémique ».
 
Nouvelles interdictions en batterie
 
De la polémique sans la polémique donc, mais avec une bonne dose de mesures restrictives. Pour contrecarrer l’évolution défavorable de l’épidémie, des nouvelles interdictions vont être mises en place jusqu’au 25 novembre prochain. Les rassemblements festifs et amicaux,  notamment dans les salles de fêtes et les lieux publics, que ce soit à l’occasion de mariage, de baptême ou d’évènement musicaux sont désormais prohibés. Les rassemblements de plus de six personnes sur la voie publique sont désormais interdits, de même que les jeux de « bingo » ou de combats de coqs. Au niveau sportif, les compétitions doivent désormais se tenir à huis clos. Dans les commerces, les tables des restaurateurs doivent se limiter à 6 personnes et dans les foires et salon, l’accueil du public ne pourra se faire que dans la limite de 4m² par personne. Enfin, finies les veillées funéraires regroupant tout le monde. Elles se feront désormais en relais, par groupe de 10 personnes maximum à chaque fois. 

Hiatus pour le déplacement dans les iles 

Pas de restrictions pour l’instant sur les déplacements notamment dans les iles. A l’approche des vacances scolaires et de la Toussaint, les interrogations, légitimes, sur les risques de propagation du virus avec des déplacements vers les iles des enfants scolarisés sur Tahiti ont été écartées. Ces déplacements ne représentent pour les autorités pas un risque, le respect des règles sanitaire et l’appel continuel à la responsabilité de chacun étant la principale barrière à l’éventuelle dissémination dans les archipels. « Nous ne sommes pas dans une logique de restriction des déplacements de la population sur le territoire » selon Dominique Sorain, relayé peu après par Jacques Raynal. Un discours peu en rapport avec la circulaire diffusée le matin même par Tearii Alpha aux fonctionnaires territoriaux dans laquelle il indiquait que « tout déplacement depuis et vers les îles de Tahiti et Moorea est, suspendu jusqu'au 1er décembre 2020, à l’exception des missions sanitaires ou liées à la sécurité ». La mesure, qui « participe à la préservation et à la sécurité sanitaire de notre population et des familles habitantes des îles plus épargnées par l'épidémie », montre l’ambigüité du discours. Le gouvernement autorise sous conditions aux familles ce qu’elle interdit strictement à ses fonctionnaires.
 
En attendant le couvre-feu

Si de nouvelles interdictions et suspensions sont donc en vigueur pour les 40 prochains jours, il est plus que probable que l’idée d’un couvre-feu refasse surface d’ici là. Les statistiques sanitaires de la Polynésie française, bien plus dégradées qu’en métropole, ne plaident pas en faveur d’un statu quo sur les libertés. Une décision ultime qui dépendra en effet de la pression sur l’offre de soins et donc des capacités d’hospitalisation et de réanimation au niveau local mais également des modalités d’application du décret à paraitre du Président de la République relatif aux mesures sanitaires. Un décret national qui nécessitera des adaptations au niveau local à déjà prévenu le haut-commissaire. Des rencontres doivent ainsi se tenir lundi à ce sujet avec les partenaires sociaux, les confessions religieuses et les maires. Ces derniers se seraient ainsi déjà positionnés favorablement à la réintroduction d’une mesure qui, prise par le haut-commissaire, avait déjà été rendue illégale par le tribunal administratif de Papeete en mai dernier. Un décret pris au niveau national dans les jours qui viennent, sur des critères purement sanitaires, pourrait plus facilement légitimer une interdiction de circuler entre 21 heures et 6 heures.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Vendredi 16 Octobre 2020 à 17:20 | Lu 13348 fois