Le tourisme, comme première ressource du Pays, est chaque année scruté à la loupe par différents indicateurs. La Chambre territoriale des comptes (CTC) s’arrête quant à elle sur la politique menée en sa faveur sur les cinq dernières années et sa quantification.
C’est dans un contexte compliqué que l’enquête de la CTC a été menée. En pleine pandémie mondiale de Covid-19, l’activité touristique était très ralentie, parfois même arrêtée.
Cependant la Chambre reconnaît que “l'impact exceptionnel de la crise sanitaire a été contenu par des aides financières importantes, et les conditions adéquates ont été mises en place afin que les acteurs du secteur puissent être fins prêts pour accueillir les premiers touristes extérieurs une fois les frontières recouvertes, ce qui a été le cas”, dans une introduction élogieuse envers l’État et le gouvernement Fritch qui ont permis un rebond rapide malgré la casse dans l’hôtellerie.
Les plans 2015-2020, redirigés vers Fari'ira'a Manihini 2027, ont permis de tenir un cap même si “la méthode développée en 2015 s'est révélée insuffisamment aboutie”, explique la CTC dans ses conclusions. Pour elle, le document dressait “une liste pléthorique d'actions et de sous-actions, au nombre respectivement de 134 et de 225, qui au surplus ne sont pas affichées par ordre de priorité, et sans que les conditions individuelles de leur faisabilité ne soient définies au préalable, y compris sur des aspects décisifs tels que le budget prévisionnel et les indicateurs de performance renseignes”.
Une longue liste à la Prévert donc, qui avait déjà été dénoncée à l’époque de sa mise en place.
Difficile quantification des résultats produits
Les moyens alloués sont en deçà du niveau d’exigence attendu, empêchant de développer un compte dédié spécifiquement au tourisme, mais aussi les éléments de collecte des données qui mériteraient d’être plus clairs pour le grand public.
Exemple, les recettes générées par les touristes non-résidents en 2022 auraient généré 77 milliards de francs au Fenua. Un résultat auquel l’ISPF déduit les dépenses des Polynésiens hors de Polynésie, soit 30 milliards de francs.
Reste donc 47 milliards de production de richesses localement. Mais la Chambre estime que ce chiffre ne reflète pas ce qu’a coûté l’achat de marchandises (principalement venant de l’étranger) pour organiser ce tourisme.
En production de richesses propre, le Fenua n’aurait créé que 24 milliards de francs de richesses en 2022 via la filière touristique.
Le mauvais calcul du Pays
Basée, certes, sur des chiffres de l’ISPF imparfaits, comme vu juste avant, la volonté du gouvernement d’arriver à 140 milliards de francs par an de production de richesses ne peut se faire sur la base de 600 000 touristes, mais celle d’un million de touristes chaque année. Plus de trois fois la population locale.
De plus, la CTC doute de la stratégie d’aiguiller sur les autres îles de la Polynésie ce nouvel afflux massif de touristes. “L'objectif déclaré d'une diffusion de la fréquentation dans les îles pourrait d'ailleurs se révéler être un trompe-l'œil, voire une difficulté supplémentaire, sur la capacité réelle du territoire à absorber ce surplus de touristes”, explique le rapport.
“Au premier chef, la ressource en eau dans les îles est limitée, la viabilité des nappes souterraines est déjà souvent menacée car celles-ci sont très sollicitées pour répondre aux besoins des populations locales actuelles. La gestion des déchets reste aussi problématique.” Sans parler du marché du travail à entretenir pour s’occuper de tout ce beau monde.
Enfin, la Chambre recommande de conduire une politique du tourisme qui soit transversale, avec la protection “des écosystèmes, des sites archéologiques et des monuments” et de développer des sites reconnus internationalement ou en voie de l'être pour ses patrimoines culturel et naturels comme Taputapuātea, les îles Marquises et Fakarava (réserve de biosphère).
“Ces espaces pourraient constituer l'avant-garde d'une politique du tourisme innovante, sous la forme de zones d'excellence, qui viserait à configurer des activités à valeur ajoutée qui soient acceptables et donc portées par les communautés humaines insulaires concernées.”
C’est ce qu’essaie de mettre en place le gouvernement dans sa logique de développement du tourisme à proximité de “sites remarquables”.
Ce très cher parc Vairai
Sans revenir sur les nombreux chapitres du projet Mahana Beach, rebaptisé Tiki Village, et aujourd’hui seulement parc Vairai, la seule lecture des cinq pages que consacre la CTC au dossier donne le vertige.
Le cumul des sommes allouées à TNAD puis G2P atteint sur la période un total de 3,5 milliards de francs, “et ce n'est qu'une partie”, explique la CTC.
À ce premier ensemble, il convient d'ajouter une série d'études directement liées au projet. Sur la seule période 2017-2019, le Pays a dépensé 35,5 millions de francs.
Enfin, le protocole d'accord d'une durée initiale de quatre ans prorogeables trois fois d'une année, signé avec les investisseurs locaux, prévoit qu'une indemnité de 15 millions de francs par investisseur leur sera versée si le Pays ne réalise pas le projet, soit un total de 90 millions de francs.
Les recommandations
- Doter l’ISPF en moyens adéquats afin qu'il développe et publie un compte satellite du tourisme à partir de 2025.
- À partir de 2024, conduire et publier une enquête de satisfaction tous les deux ans à partir de sondages auprès des clientèles touristiques.
- S'assurer dès 2024 du caractère opérationnel et évaluable de chaque action inscrite dans la stratégie du tourisme (chef de projet, calendrier, rang de priorité, indicateurs cibles renseignes, budget).
- Poursuivre la mise à jour de la réglementation relative aux activités et professions touristiques en Polynésie française à partir de 2024.
- Mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) dans le secteur du tourisme à partir de 2024.