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Le langage décontextualisé vu par ​Déana Wong


Déana Wong a présenté mercredi sa thèse sur l'apprentissage du langage décontextualisé à Moorea.
Déana Wong a présenté mercredi sa thèse sur l'apprentissage du langage décontextualisé à Moorea.
Moorea, le 23 juin 2022 - Conseillère pédagogique dans la circonscription pédagogique de Moorea depuis une dizaine d’années, Déana Wong a obtenu un doctorat en Sciences de l'Éducation à l’Université de la Polynésie française au mois de janvier dernier en soutenant sa thèse : La construction du langage décontextualisé à l’école maternelle en Polynésie française : influence des pratiques langagières parentales et de l’étayage parental sur l’île de Moorea. La nouvelle docteure a présenté son sujet à plusieurs enseignants de l’île sœur mercredi à l’amphithéâtre Fare ‘Ite du Criobe. Elle a également accepté de se confier aux lecteurs de Tahiti Infos.
 
Pourriez-vous nous expliquer le sujet de votre thèse ?
"Il s’agit de la construction du langage décontextualisé. Comme je l’ai expliqué, le langage décontextualisé est un langage précis qui permet de se passer de certains objets et qui est uniquement basé sur des mots, sur l’explication par les mots… C’est justement le langage qui va permettre aux enfants de pouvoir comprendre pour pouvoir appréhender les savoirs scolaires d’une part. C’est aussi le langage qui va pouvoir permettre de comprendre. Lorsque l’enfant commence à lire par exemple, il a besoin, à côté du déchiffrage, de comprendre. Si donc il a construit le langage décontextualisé, il va pouvoir, à partir des mots écrits sur sa feuille et qu’il en train de lire, se représenter les choses dans sa tête et comprendre ce qu’il lit."
 
Quels sont les travaux de recherches que vous avez menés durant votre thèse ?
"J’ai fait un travail très complexe qui comprenait trois étapes. La première était une enquête par questionnaire à remplir auprès de 158 parents d’élèves de SP de l’île. Pour la deuxième étape, j’ai demandé à onze enseignants d’évaluer le langage décontextualisé de ces enfants. Il s’agissait de déclaration dans les questionnaires. J'ai voulu avoir quand même des observations. Dans une troisième étape, je suis donc allée dans sept familles qui avaient des enfants de SP. Je les ai mis en situation d’interaction. Ils travaillaient ensemble sur deux situations. À partir de ces situations, j’ai pu observer comment les parents parlent à leurs enfants, comment ils utilisent le langage et les langues aussi. Est-ce qu’ils n'utilisent que le français, le français et le reo Tahiti ? Vu qu’on est à Moorea, j’ai observé du reo Tahiti. Est-ce qu’ils mélangeaient les deux langues ? J'ai observé tout cela. J’ai observé aussi comment les parents éduquent, comment ils aident leurs enfants autour d’activités et comment ils les encadrent. Est-ce qu’ils sont plutôt autoritaires ? Est-ce qu’ils sont plutôt plus accompagnants en étant pas du tout autoritaires ?"
 
Quels sont les résultats et les conclusions de vos enquêtes ?
"J’avais formulé 15 hypothèses, mais il y a pour moi deux choses importantes : Il faut proposer un étayage linguistique, c'est-à-dire qu’il faut aider l’enfant à absorber, à voir et entendre les mots. Il faut vraiment l’encadrer, il ne faut pas juste parler. En lui demandant par exemple 'quel est le mot que je viens de te dire ?', 'qu’est ce que c’est que ça ?', 'qu’est ce que tu as fait ?', 'tu fais quoi, tu es en train de mélanger ?', il faut vraiment poser des questions, l’accompagner et l’orienter. Cela s’appelle l’étayage linguistique. C’est le premier résultat qui me tient à cœur."
 
Et le deuxième ?
"Le deuxième concerne les pratiques éducatives. On se dit forcément que le plus important, c’est le milieu social. Cette recherche nous montre néanmoins que même si le parent est dans un milieu social moins favorisé, s’il a bien encadré son enfant et lui a donc proposé un accompagnement éducatif, souple, dans lequel il ne lui crie pas dessus, cela fonctionne. Le langage décontextualisé qui est produit par l’enfant le lendemain est meilleur en fait. Tout cela pour dire finalement que le fait d’accompagner éducativement, d’avoir une éducation plus souple, avec son enfant, peu importe le milieu d’où l’on vient, ça fonctionne."
 
Est-ce que l'usage du tahitien influence différemment l'acquisition du langage décontextualisé ?
"Ils ont plutôt utilisé le langage en français. Il y avait peu de langage en tahitien. Dans les 14 interactions que j’ai pu observer, il y avait 4% seulement de mélange. C’est l’une des perspectives dont je n’ai pas parlé, mais il s’est avéré que les parents ont plus parlé français. Il ont juste mélangé avec des expressions comme "ho’i"  ou "pa’i." Il y a aussi "donne un peu" qui vient du tahitien  "a hōro'a mai na". C’est donc aussi du mélange, même si les parents ne se rendent pas compte que ce n’est pas que du français et que l’on a emprunté des choses au tahitien. Dans mon échantillon toutefois, il n'y avait pas de parent qui parlait uniquement tahitien ou majoritairement tahitien. C’est une perspective sur laquelle j’aimerais bien continuer à enquêter."
 
Comment allez-vous utiliser vos recherches pour améliorer l’éducation ou les résultats scolaires des élèves ?
"Ce que je peux faire en étant conseillère pédagogique est de mener des expérimentations dans le cadre de mon métier avec la DGEE. Je peux faire des expérimentations sur notre île ou au niveau de la Polynésie. Je reste en tout cas encore une année à Moorea et en Polynésie. J’espère pouvoir mettre tout cela à profit. Je n’ai pas fait une recherche que pour moi. Je me dis qu’il y a beaucoup de choses à faire pour nos familles et si je peux aider, j’en serais vraiment contente. J’ai déjà cette notion d’aide avec nos enseignants. Il faut donc que j’aille plus loin sur ce sujet en particulier."


Rédigé par Toatane Rurua le Jeudi 23 Juin 2022 à 17:45 | Lu 4452 fois