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Le fenua vu par l'université de Columbia


Interview - Connue pour la qualité de ses enseignements en droit public et international, l'université de Columbia, basée à New York, s'intéresse de près aux problématiques polynésiennes en termes de géopolitique, d'énergie et d'environnement. Actuellement sur le territoire afin de superviser les recherches de ses stagiaires, le professeur Jenik Radon, spécialiste en développement des ressources naturelles durables, revient pour Tahiti Infos sur les enjeux d'une telle étude.
 
L'université de Columbia porte ses études en grande partie sur les différentes problématiques mondiales, liées à la stabilité géopolitique, au climat, aux énergies et à l'environnement. Quelle analyse faites-vous de la situation de la Polynésie française au regard de ces problématiques ?
 
“La Polynésie française a attiré mon attention il y a des années de cela. Votre situation géographique vous rend unique. Vous êtes un ‘petit pays’ en termes de territoire et de population, et en même temps votre espace maritime vous octroie, en un sens, une puissance hors norme. À l'ère où la gestion du réchauffement climatique peine à trouver des solutions venant des ressources terrestres, en termes notamment de matériaux et d'énergies, les regards se tournent de plus en plus vers l'océan et ses fonds marins. Aujourd'hui, la Polynésie française ne peut ignorer ses voisins géographiques comme ces grandes puissances ne peuvent ignorer la Polynésie française. Nous faisons tous partie de la même dynamique.”
 
Que pensez-vous de la façon dont sont gérées ces différentes problématiques ici en Polynésie française ? Y a-t-il un réel effort collectif des institutions, ou au contraire, pouvons-nous faire beaucoup mieux dans le domaine ?
 
“Il m'est difficile de répondre à cette question, car il s'agit seulement de mon deuxième séjour en Polynésie française. En revanche, ce que je peux dire après mes nombreux voyages et analyses, c'est que peu importe où l'on se trouve : la communication et la coordination entre les différents organismes sont fondamentales. Nous avons beaucoup à apprendre de cet ancien jeu que vous appelez ‘le téléphone arabe’. J'aime beaucoup utiliser cet exemple avec mes étudiants, pour souligner l'importance de la communication entre les différents protagonistes. Et dites-vous bien que personne, nulle part, ne le fait correctement.”
 
Toujours concernant ces problématiques, quelles différences, ou similitudes, peut-on trouver entre la Polynésie françaises et le reste du monde ?
 
“La Polynésie française se trouve face à un problème que toutes les petites nations rencontrent à l'échelle internationale : réussir à se faire entendre. Prenons l'exemple de l'Estonie, où j'ai beaucoup travaillé, le pays a du mal à faire parler de lui. En revanche, il est très facile pour un pays comme les États-Unis de se faire entendre grâce à la présence des médias internationaux, dont les leurs. Combien de fois peut-on trouver un article sur l'Estonie dans le journal The Economist ? Zéro. Hélas, le faible poids économique et démographique des petits pays ne suffit pas à peser dans les conversations internationales. L'enjeu pour ces nations est donc de réussir à se faire entendre, d'autant plus qu'elles ont des choses à dire.
 
En termes de différences, l'éloignement entre les îles, dû à ce vaste espace maritime qui est le vôtre, rend la communication et la coordination encore plus difficiles. De ce fait, l'organisation sociale, économique et même politique représente un véritable défi. Comment imaginer qu'une personne vivant à Tahiti représente convenablement un habitant d'un village d'une de ces îles éloignées ? C'est compliqué. Et on y revient toujours, si on veut que la machine démarre et fonctionne : la clé, c'est la communication et la coordination.”  
 
Vous dites, et à raison, qu'il est difficile pour de petits pays comme le nôtre de se faire entendre. Quels conseils auriez-vous à nous donner pour pallier ce problème ?
 
“La réponse est facile, mais la mise en pratique, par contre, est on ne peut plus difficile. Il faut de bons médias, et de bonnes et solides connections entre les différents acteurs qui œuvrent pour résoudre ces problématiques. Que ce soient les pouvoirs publics, les associations, l'enseignement, tout le monde doit parler d'une seule voix. Et pour se faire entendre, les médias traditionnels, ainsi que les réseaux sociaux, jouent un rôle primordial.
 
De plus, vous aurez l'occasion unique, l'année prochaine, d'être vus et entendus par le monde entier à travers les épreuves olympiques de surf à Teahupo’o. La couverture médiatique d'un tel événement est une opportunité rare qu'il faut saisir. Laissez le monde être témoin de votre identité, de ce qui vous représente et  vous caractérise. Montrez leur en quoi vous êtes uniques. Aujourd'hui, le monde entier connaît Tahiti et Bora Bora, mais pas la Polynésie française. Vous avez un nom sur la scène internationale, mais qui est rattaché au tourisme uniquement, ce qui n'est pas une mauvaise chose, mais c'est une notoriété qu'il faut étendre à d'autres secteurs. Il faut vous préparer, l'année prochaine, c'est maintenant pour vous.”
 
Vous avez rencontré la vice-présidente et ministre en charge de l'Environnement, Éliane Tevahitua. Quels ont été les sujets abordés et, peut-être, les premiers aboutissements suite à cette réunion ?
 
“Nous avons parlé de la future collaboration entre l'université de Columbia et le Pays. Il est encore trop tôt pour parler de quelconques résultats ou aboutissements puisque tout reste à faire. Pour l'heure, nous sommes davantage dans la mise en place d'un partenariat et nous comptons le faire étape par étape. En revanche, ce que je peux déjà affirmer, c'est que nous enverrons dès l'année prochaine une délégation de huit à douze universitaires afin d'étudier les différentes possibilités qui s'offrent à la Polynésie française en termes de développement. À moyen terme, nous espérons pouvoir emmener des scientifiques de notre établissement pour pousser l'étude encore plus loin. Nous irons, comme je le disais, étape par étape, afin de mieux nous connaître et donc mieux communiquer. En tout cas, je suis enthousiaste, j'aime l'esprit des gens d'ici. Et c'est important car c'est un réel travail d'équipe, personne ne peut y arriver seul.”
 
De votre point de vue, quel avenir peut-on espérer pour la Polynésie française ?
 
“Je pense qu'il est crucial de comprendre qu'il est désormais impossible de penser vivre isolé. La Polynésie française doit prendre conscience des différentes puissances, existantes et émergeantes, qui l'entourent et tenter d'exister parmi elles. Tout en essayant, bien sûr, de protéger son identité, sa culture et son autonomie. Il s'agira surtout à l'avenir de s'adapter. Ce qui marche ailleurs peut fonctionner ici, ou pas du tout. D'où l'intérêt d'entretenir d'étroites relations avec toutes les forces bienveillantes en présence. Au même titre que la communication et la coordination, l'éducation des futures générations sera la clé. ”

Rédigé par Wendy Cowan le Mercredi 2 Août 2023 à 18:26 | Lu 3265 fois