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“Le droit de la concurrence, c'est l'incertitude”


Dans la lignée des Journées de la concurrence qui se sont tenues en janvier dernier, l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) organise depuis ce lundi, quatre matinées de séminaire à l'hôtel Te Moana.
Dans la lignée des Journées de la concurrence qui se sont tenues en janvier dernier, l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) organise depuis ce lundi, quatre matinées de séminaire à l'hôtel Te Moana.
Tahiti, le 18 septembre 2023 - Dans la lignée des Journées de la concurrence qui se sont tenues en janvier dernier, l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) organise depuis ce lundi, quatre matinées de séminaire à l'hôtel Te Moana. Une trentaine de dirigeants d'entreprises, d'avocats, de juristes ou d’agents de l'administration participent ainsi à des ateliers qui mêlent théorie et cas pratiques.
 
“Le doit à la concurrence, c'est l'incertitude”. Vivien Terrien, référendaire auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, donne d'emblée le ton de ce séminaire organisé par l'APC sur quatre matinées. “La concurrence parfaite, c'est la transparence des marchés, mais cette concurrence parfaite est un mythe car elle est artificielle et va causer des problèmes de collusion”, a-t-il expliqué ce lundi matin, tordant ainsi le cou à beaucoup d'idées reçues.

L'APC comme arbitre

Quand on pense au droit à la concurrence, on a logiquement tendance à se placer du point de vue du consommateur et à considérer les effets que cette concurrence peut avoir sur les prix. Si c'est effectivement le nerf de la guerre et l'objectif recherché, le droit à la concurrence pose des règles et des principes de base à respecter pour les dirigeants d'entreprise, les groupements professionnels, leurs fournisseurs, et leurs distributeurs. Et l'APC est là pour jouer son rôle de gendarme afin de restaurer le processus concurrentiel en sanctionnant les pratiques déviantes et en accompagnant les pouvoirs publics qui peuvent la consulter sur ces questions.   

Un rôle pédagogique

Mais elle a aussi un rôle pédagogique de formation et d'information au sujet de ces règles de droit auprès des acteurs économiques qui pourraient se retrouver dans des situations délicates par simple méconnaissance et alors qu'ils agiraient en toute bonne foi. C'est tout l'objet de ce séminaire de quatre matinées, organisé par thème avec un atelier par jour, animé de façon très ludique par différents intervenants : la présidente de l'APC évidemment, Mme Johanne Peyre, mais aussi la rapporteure générale Sophie Bresny, le référendaire auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, Vicien Terrien, Sofia Bekkali, avocate chez Freshfiels Brukhaus Deringer LLP et le vice-président de l'Autorité de la concurrence sur l'Hexagone, Henri Piffaut.

Ententes “horizontales” et “verticales”

Ce lundi, il était question des ententes avec le distinguo fait entre ce que l'on appelle les ententes “horizontales”, autrement dit entre concurrents, et les ententes “verticales” qui s'opèrent entre opérateurs situés à différents niveaux comme les fournisseurs et les distributeurs par exemple. Que faire si je suis auteur ou victime d'une entente ? Après avoir balayé les aspects théoriques, les intervenants ont proposé des cas pratiques sur lesquels les uns et les autres ont pu mieux définir les contours de ce qui est considéré comme une “entente”.

Un sujet d'autant plus sensible en Polynésie où “tout le monde se connaît” et où il est parfois difficile de garder une certaine distance avec un concurrent qui peut également être un ami. Mardi, il sera question des positions dominantes, mercredi des enquêtes et du pouvoir de l'APC, et enfin jeudi, la dernière matinée sera consacrée aux engagements en matière de concentrations et aménagements commerciaux.

Henri Piffaut, vice-président de l'Autorité nationale de la concurrence et membre suppléant du collège de l'APC : “Ne pas faire de copier-coller”
 
Quel est le caractère particulier de la concurrence en milieu insulaire où le marché est forcément restreint. C'est plus compliqué qu'ailleurs ?

Je ne dirais pas que c'est plus compliqué, c'est juste différent d'une économie qui est plus grande géographiquement, et où il y a beaucoup plus d'accès pour les acteurs, en un sens beaucoup plus de concurrence. Ici, c'est plus étroit, il faut importer la plupart des produits qui sont revendus, il y a moins d'acteurs et on a un mode de fonctionnement du marché qui n'est pas tout à fait le même non plus. Donc il faudrait qu'il y ait une pratique du droit à la concurrence qui soit adaptée aux réalités locales.

Ce que vous voulez dire c'est qu'on ne peut pas faire du copier-coller par rapport à ce qui se passe dans l'Hexagone, c'est ça ?

Exactement. Copier-coller ce ne serait pas faire de bien à la société polynésienne.

Alors que faudrait-il faire ici ?

C'est un droit qui se construit petit à petit avec tout le monde. Il faut qu'il y ait une compréhension de ce qu'est le droit à la concurrence, de l'intérêt que cela peut apporter pour la protection du pouvoir d'achat pour les Polynésiens, et pour les entreprises en général. Une fois que la politique de concurrence devient un peu légitime, on peut aussi arriver à mieux développer différentes approches de régulation économique pour favoriser les entrées ou le jeu de la concurrence.

Vivien Terrien, référendaire auprès de la Cour de justice de l'Union européenne : “Il n'y a pas de recette magique”
 
Dans le droit de la concurrence, on imagine les différences qu'il peut y avoir entre l'Hexagone et la Polynésie. Avec l'Union européenne, c'est encore une autre dimension, alors comment articuler tout cela, et faire en sorte de ne pas faire du copier-coller tout en suivant néanmoins les mêmes règles ?

Alors le copier-coller ce n'est pas vraiment possible. C'est vraiment de l'adaptation mais c'est ça qui est fascinant avec le droit de la concurrence. (...) Vous avez Chypre qui est une île, Malte qui est une île, le Luxembourg qui est un tout petit pays mais qui est ouvert aux quatre vents, donc vous avez des situations particulières partout dans l'Union européenne. Et ici c'est aussi une situation particulière par rapport au droit de la concurrence de manière générale. Mais les principes sont les mêmes.

Et à l'heure où l'inflation explose ici comme ailleurs, c'est un levier aussi pour agir en faveur d’un meilleur pouvoir d'achat ?

L'idée derrière tout ce qu'on fait, que ce soit la lutte contre les ententes, la lutte contre l'abus de positions dominantes, etc., c'est pour aider le consommateur à avoir de meilleures conditions d'achat, et donc de pouvoir d'achat, et évidemment en ce moment, lutter contre l'inflation. Mais en temps normal, sans crise, c'est toujours la même chose : permettre à des marchés de fonctionner de manière optimale pour le consommateur.

Il n'y a pas de recette magique...

Non, il n'y a aucune de recette magique. Mais c'est tout l'intérêt du droit à la concurrence : c'est d'aller chercher les mécanismes qui vont permettre de s'adapter aux marchés et aux secteurs qui sont très différents, et où les problèmes de concurrence sont différents.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Lundi 18 Septembre 2023 à 15:12 | Lu 1885 fois