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Le directeur de l'AFD rompt son silence : "On est dans une situation inédite"


Le directeur de l'AFD rompt son silence : "On est dans une situation inédite"
Le directeur de l’AFD en Polynésie française, Frédéric Audras, a inauguré mercredi à midi l’exposition consacrée aux 70 ans de l’Agence Française de Développement, créée à l'époque par le Général de Gaulle. A cette occasion, l’AFD a choisi de s’associer avec Magnum Photos pour mieux faire connaître ses valeurs et son savoir-faire : le développement des pays du sud. Cette inauguration a été l'occasion pour Tahiti Infos d’interroger ce spécialiste du financement des collectivités locales sur la deuxième tranche du prêt AFD, qui n’en finit plus de se faire attendre.

Alors que le gouvernement accuse l’Etat de faire de ce prêt un moyen de pression politique, le directeur de l’AFD tente de temporiser. Il espère que le décaissement sera fait "avant la fin 2011" mais rappelle que la décision dépend du conseil d’administration de la banque et de ses ministères de tutelle, c’est-à-dire l’économie et l’Outre-mer. Mais Frédéric Audras insiste sur le fait que comme toute banque, l’AFD veut tout simplement s’assurer de la solvabilité de la Polynésie. "C’est assez inédit de voir une collectivité locale de la République française qui enregistre des diminutions sévères de recettes fiscales tous les ans depuis 3 ans. C’est assez inédit de voir un pays qui enregistre une diminution de son PIB tous les ans depuis 3 ans. On ne trouve pas la même situation ailleurs dans l’OM français donc il faut s’adapter" explique-t-il.

"On reste partenaire du pays, et le dialogue n’a jamais été rompu" tient toutefois à assurer également Frédéric Audras. "Les difficultés de décaissement de la 2ème tranche de 2 milliards sont en voie d’être résolues. On est déjà en train de regarder avec le pays comment intervenir de façon adaptée en 2012". affirme-t-il.
Interview.

Tahiti Infos : On est déjà en novembre 2011. Le prêt de 2 milliards destiné à boucler la section « investissement » du budget 2010 n'a pas encore été versé. Si les choses traînent encore, ne sera-t-il pas trop tard pour le Pays ?

Frédéric Audras : Non. Quand des crédits d’investissement sont votés en 2010, ils ne s’exécutent pas forcément en 2010. Ces projets seront pour certains terminés en 2011 ou en 2012. C’est une exécution qui est longue, ce n’est pas comme les dépenses récurrentes, celles du personnel par exemple. Ils se réalisent sur plusieurs exercices budgétaires. Donc ça ne pose pas de difficultés pour le pays ou pour l’AFD. On espère toutefois que ce prêt sera décaissé avant la fin 2011.

Vous avez des nouvelles de Paris à ce sujet ?

Oui, on a des nouvelles bien-sûr, régulièrement. Beaucoup d’arbitrage ont lieu à Paris. Mais... (silence) le dialogue est vraiment renouvelé. Je trouve qu’il avance.

Ce n’est pas un peu délicat pour l’AFD d’être en porte-à-faux entre le Pays et l’Etat ?

On n’est pas en porte-à-faux avec l’Etat puisque nous sommes opérateur d’Etat, et on n’est pas en porte-à-faux avec le Pays non plus puisqu’on est un grand financeur du Pays. L’AFD a plus du quart de l’encours de la dette du pays, et historiquement c’est un partenaire régulier de financement des politiques publiques du Pays. Depuis deux ans, au regard du contexte économique et financier, il y a eu des difficultés à trouver les bons instruments financiers. On travaille beaucoup à s’améliorer pour l’avenir, et ce dès 2012.

Là le problème n’est pas tellement de trouver les bons instruments financiers, il est surtout politique…

Oui mais cela ne nous regarde pas.

Mais nous n’avez pas l’impression justement d’être utilisés politiquement ?

Ça, on ne le regarde pas. Ce qui est important pour nous, sans langue de bois, c’est que ces prêts soient décaissés et servent à des projets d’investissement au bénéfice des populations. Nous sommes un opérateur technique, on n’a pas à rentrer dans les relations politiques entre l’Etat et le Pays. Il y a un besoin de relance de la commande publique et nous voulons y contribuer.

Oscar Temaru a pourtant dit que ces deux milliards serviraient non pas à l’investissement, mais au fonctionnement, à payer les salaires des fonctionnaires notamment…

Un prêt est une recette d’investissement dans le budget du Pays. Ce dernier n’a qu’un seul compte au Trésor, sur lequel il encaisse toutes les recettes. Quand il encaisse un prêt, il peut avoir à payer ses fonctionnaires avec cet argent le jour-même. Cela ne pose pas de difficultés, tant qu’au final, le montant fixé d’investissements a bien été réalisé, et c’est ça que nous vérifions a posteriori en toute transparence. Il n’y a pas de difficultés tant qu'on sait que l’argent va à l’investissement au final.

Donc ce n’est pas le point bloquant aujourd’hui ?

Non, le point bloquant c’est l’action de redressement des comptes du Pays qui est appréciée par l’Etat à travers un certain nombre de critères. C’est une action longue à mettre en œuvre, elle est compliquée, et elle ne se met pas en œuvre en une seule année.

Vous trouvez l’action du gouvernement suffisante ?

Ah il y a des signes très forts. Le Pays met en place des mesures fiscales, a pris des mesures sur les retraites, mais aussi des mesures d’économie sur les dépenses de personnel et sur le fonctionnement des services, qui impacteront non pas immédiatement, mais dans le temps. On va s’apercevoir que les tendances vont progressivement s’inverser. Le Pays, et c’est uniquement mon appréciation personnelle, est en train de redimensionner ses dépenses par rapport à ses capacités de mobilisation de recettes. Et je trouve qu’il y a un vrai travail qui est fait.

Vous voulez dire que l’Etat attend d’avoir un peu de recul sur ce redimensionnement ?

Oui ! On est un petit peu dans une situation inédite. C’est assez inédit de voir une collectivité locale de la République française qui enregistre des diminutions sévères de recettes fiscales tous les ans depuis 3 ans. C’est assez inédit de voir un pays qui enregistre une diminution de son PIB tous les ans depuis 3 ans. On ne trouve pas la même situation ailleurs dans l’Outre-mer français donc il faut s’adapter, et le Pays y travaille, je trouve qu’il fait des efforts assez importants.

Le Pays dit qu’il est gêné pour emprunter car tous les bailleurs de fonds attendent de voir ce que va faire l’AFD. N’y a-t-il pas urgence à décaisser ce prêt, ne serait-ce que pour ça ?

L’AFD est une banque qui octroie des prêts avec l’accord de son conseil d’administration. Il faut qu’il y ait aussi une logique d’appréhension du risque bancaire. La Polynésie Française est notée BB+, c’est une notation qui est assez défavorable, et cela ne permet plus à la PF d’accéder à des banques commerciales privées. Nous on ne prend pas en compte cette dégradation de la notation. Et c’est pour ça que naturellement le Pays vient vers nous, puisque nous proposons les meilleures conditions financières. Mais je pense qu’à partir du moment où mon CA nous autorisera à non seulement décaisser les 2 milliards, mais aussi à prêter à nouveau à partir pour 2012, les banques commerciales reviendront.






le Mercredi 9 Novembre 2011 à 15:56 | Lu 2429 fois