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Le désintérêt


Tahiti, le 10 avril 2022 – Le premier tour de l'élection présidentielle de 2022 a été marqué en Polynésie française par une abstention historique à 69,13%, confirmant le désintérêt massif de l'électorat polynésien -déjà entrevu en 2017- pour ce scrutin national. Au-delà de cette désaffection politique aux raisons complexes, le Tapura d'Édouard Fritch continue de tirer son épingle du jeu avec un score d'Emmanuel Macron ce week-end qui égale quasiment celui de François Fillon il y a cinq ans.
 
Le ton a été donné dès samedi dans l'ensemble des bureaux de vote du fenua et principalement dans ceux des grandes communes de Tahiti, Moorea et des Raromatai… À la désertion des isoloirs samedi a succédé dimanche la réalité brutale d'un nouveau record historique d'abstention à une élection présidentielle au fenua. Avec 69,13% d'abstention, le constat est imparable. Celui d'un désintérêt grandissant et désormais confirmé pour ce scrutin national. À titre de comparaison, les dernières élections européennes –qui restent le scrutin passant le plus inaperçu au fenua– ont totalisé 22,17% de participation en 2019. Un chiffre supérieur ou équivalent à la participation électorale ce week-end à Papara, Faa'a ou encore Teva i Uta…
 
Cette progression fulgurante de l'abstention pour l'élection présidentielle a débuté en 2012, rappelle le politologue Sémir Al Wardi. De 69,1% de participation en 2007, le chiffre n'a cessé de chuter drastiquement à 49,4% en 2012, puis 38,9% en 2017, pour tomber à 30,9% en 2022… “Lorsque l'on regarde les chiffres des présidentielles depuis 1965 en Polynésie, c'est pourtant 55 à 70% de participation en moyenne”, constate le politologue. À noter qu'une tendance se dégage nettement : cette chute de la participation est moins marquée dans les archipels éloignés et notamment aux Marquises (43,87% de participation ce week-end), aux Tuamotu-Gambier (43,51%) et aux Australes (37,1%). Aux îles du Vent, comme aux îles Sous-le-Vent, on est passé en revanche sous la barre des 30% de participation ce week-end.
 

​Le délicat “pourquoi”

Sur les raisons de cette évolution de l'abstention, l'analyse reste néanmoins délicate. L'argument d'une campagne aux enjeux nationaux trop éloignés des enjeux locaux n'a rien d'une nouveauté. Rarement les questions polynésiennes se sont invitées par le passé dans le débat national de la présidentielle, et inversement. L'idée d'un désintérêt plus profond pour l'offre politique actuelle, et plus précisément pour l'intérêt politique du vote en lui-même, ne pourra être confirmée ou infirmée que dans plusieurs semaines lors des élections législatives… Mais pour Sémir Al Wardi, on peut néanmoins tirer quelques enseignements du scrutin de samedi.
 
Le vote traditionnellement qualifié “d'affectif” par le politologue, répondant à une demande directe des tāvana ou des leaders politiques à leurs électeurs, semble en effet moins fonctionner que par le passé pour la présidentielle. Un comportement en forme de signal d'alarme pour les leaders politiques locaux, puisque si le rapport affectif avec les électeurs ne fonctionne plus sur une partie de la population, c'est potentiellement que l'offre politique ne plaît plus. Pour autant, Sémir Al Wardi maintient que ce vote existe toujours bel et bien. Puisque c'est celui-ci qui a propulsé Emmanuel Macron de 14 à 40% entre 2017 et 2022 en gagnant le soutien du Tapura. Et c'est celui-ci qui a fait chuter Marine Le Pen de 32 à 19% sur la même période en perdant le soutien du Tahoera'a… Sémir Al Wardi qui note également une progression d'un vote qu'il qualifie “d'éclairé”, c’est-à-dire dicté par une conscience politique propre et non par une demande partisane, qui permet d'expliquer les scores relativement élevés de candidats tels que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen en 2022, comme il expliquait celui d'Emmanuel Macron au premier tour en 2017…
 

​Carton pour Macron

Reste que derrière cette abstention record, les résultats des candidats à la présidentielle au fenua méritent tout de même leur analyse. C'est le cas du carton d'Emmanuel Macron, soutenu par le Tapura d'Édouard Fritch, dont la victoire avec 40,25% des suffrages n'est finalement pas tellement occultée par l'importance du taux abstention. En effet, le candidat soutenu par le Tapura a recueilli samedi 24 418 voix. Dans les mêmes proportions que les 26 679 voix obtenues par François Fillon en 2017 avec le même soutien du Tapura… Marine Le Pen, de son côté, passe de 24 604 voix en 2017 à 11 797 voix en 2022. Mais il y a cinq ans, la candidate souverainiste avait le soutien local du Tahoera'a de Gaston Flosse alors qu'elle n'était épaulée par aucun grand parti cette année. Une différence notable que n'a pas manqué de relever dimanche le représentant polynésien de la candidate, Éric Minardi, pour se féliciter de son estimable seconde place.
 
Surprenant troisième homme de cette élection présidentielle au fenua, Jean-Luc Mélenchon –et ses 8 035 voix– semble surfer localement sur l'effet “vote utile” à gauche qui l'a propulsé dans la roue de Marine Le Pen au niveau national. Un exemple local concret, avec celui de Marine Le Pen, du “vote éclairé” décrit par Sémir Al Wardi. Du côté des déceptions en revanche, les 4 809 voix de Valérie Pécresse au fenua n'ont fait le bonheur ni d'un Marcel Tuihani pointant du doigt l'abstention, ni d'un Gaston Flosse feignant le désintérêt pour ce premier tour. S'il suit de près avec 4 311 voix, Éric Zemmour apparait finalement comme ayant réalisé localement un score honorable sur le seul nom de Tauhiti Nena. Douche froide en revanche pour Yannick Jadot, soutenu localement par Jacky Bryant, et ses faibles 2 166 voix. Enfin, on peut noter la résilience –le terme est à la mode– du vote Dupont-Aignan au fenua avec ses 1 983 voix. L'ensemble des cinq derniers candidats, Anne Hidalgo comprise, ne dépassant pas la barre des 1 000 voix en Polynésie.
 
Le second tour du samedi 23 avril prochain s'annonce tout de même des plus intéressants au plan local. D'abord pour suivre l'évolution de ce désintérêt électoral polynésien. Ensuite, avec un nouveau duel à distance Macron-Le Pen pour les forces politiques locales. Gaston Flosse ayant assuré cette fois-ci qu'il ferait campagne pour Marine Le Pen. Et évidemment pas contre Emmanuel Macron, mais contre Édouard Fritch.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 11 Avril 2022 à 16:20 | Lu 1889 fois