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Laura Théron, le Fifo dans la peau


Tahiti, le 22 février 2024 - Elle est la nouvelle déléguée générale du Festival international du film documentaire océanien (Fifo). Laura Théron vient de passer l’épreuve du feu. Le festival est terminé, mais elle a eu à gérer une édition exceptionnelle en raison des caprices du climat et des difficultés techniques liées à la coupure du câble sous-marin Honatua. Elle a réussi à relever le défi grâce aux équipes et aux personnes qui l’entourent.

“J’ai rencontré le festival à l’âge de 15 ans”, se rappelle Laura Théron, la nouvelle déléguée générale du Festival du film documentaire océanien (Fifo). “C’est le genre de découverte culturelle qui donne envie de partir voir ailleurs, de travailler dans le domaine culturel sur le dialogue des peuples, ce dans quoi je me suis spécialisée”, se réjouit-elle. Son parrain, Stephen Stehlin, est l’un des fondateurs de l’émission Tagata Pasifika. Cet homme néo-zélandais, d’origine samoane, comptait parmi les premiers festivaliers professionnels. Intéressé par l’événement et par les propos du festival, il a accompagné Laura Théron dans son immersion et son ouverture aux mondes océaniens. Aussi, devenir déléguée générale du festival “est mon dream job !” Coordonner un événement d’une telle ampleur et d’un tel intérêt à l’année “me rend fière personnellement”. Pour autant, elle prend la mesure du challenge. “Ce n’est pas une fin en soi.”
 
Laura Théron se dit “honorée” de s’inscrire dans une lignée de femmes et d’hommes (Pierre Olivier, Miriama Bono, Marie Kops, Mareva Leu) qu’elle apprécie professionnellement et personnellement, dont elle reconnaît le talent et les réussites. Tous restent autour d’elle encore aujourd’hui. “Nous parvenons à travailler harmonieusement en bonne intelligence.” Et ce, malgré les désaccords qui peuvent surgir. “Nous allons tous et toutes au-delà de nos intérêts personnels, nous avons pour objectif le festival.”
 
Laura Théron a pris le relais de Mareva Leu à la tête de l’organisation du festival en juillet/août. Elle s’est alors retrouvée seule à la barre. “Je m’attendais à ce que ce soit dur, mais pas autant”, admet-elle. Elle considère ce poste comme de la gestion de projet. “Nous sommes un bras armé au service de l’événement.” Cette année a été particulièrement compliquée. Les dépressions climatiques ont malmené l’organisation et la coupure du câble Honotua a perturbé la mise en place du plan B, à savoir le basculement du festival en ligne. Laura Théron précise que la programmation d’une journée de festival mobilise une personne entre quatre et six semaines. Les modifications de dernière minute impliquent donc un engagement total des équipes. Heureusement, tout le monde a joué le jeu. La déléguée générale ne cache pas sa reconnaissance.
 
Découvrir le monde
 
Laura Théron est née en Polynésie en 1988 où elle a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans. Entrée à l’école très tôt, elle a fait tout son parcours scolaire avec une année d’avance. “J’étais immature, j’avais des défauts d’attention.” Ne comprenant pas l’intérêt du système scolaire et ayant déjà un sens aigu de l’injustice, elle rapporte avoir été dissipée. Ses enseignants y voyaient de l’insolence. “Mes parents étaient convoqués chez le directeur une à deux fois par an”, reconnaît-elle. Un pincement pour eux qui n’avaient pas une éducation complaisante. À 17 ans, Laura Théron a obtenu son baccalauréat. Trop jeune pour partir, elle s’est inscrite en prépa HEC. Un échec pour des raisons personnelles et familiales. Elle a mis le cap sur la métropole pour suivre une filière d’histoire, géographie et philosophie. L’histoire, selon elle, est “une invitation à découvrir le monde”. Il y a deux manières de faire, soit voyager dans l’espace, soit voyager dans le temps.
 
Elle est restée deux années à Toulouse, bloquée dans ses mouvements par une opération de la jambe dont elle a eu du mal à se relever. Elle a passé plus d’un an et demi en béquilles. Puis elle a poursuivi à Paris. Là, recouvrant toute sa mobilité, elle a pris un travail à temps plein. “Je m’étais fixé pour objectif de partir faire le tour du monde dès que j’aurais réussi à économiser 10 000 euros.” Au bout d’un an, c’était chose faite. En mai 2010, elle avait le pécule. Elle a largué les amarres, ou presque. Elle a quand même choisi de s’inscrire en master recherche en histoire. Entre mi-2010 et mi-2011, elle a visité 24 pays, seule. Des amis l’ont rejointe à certains moments de son parcours pour partager l’aventure. En rentrant, elle avait vu des bouts du monde et… validé ses unités de valeur. Elle a rédigé son mémoire, assuré sa soutenance et obtenu son diplôme.
 
Par la suite, elle s’est “frottée” au monde du travail. “Je voulais travailler dans le milieu associatif et culturel.” Mais des masters de communication et médiation culturelle s’étaient ouverts. La concurrence était rude sur le marché. “J’ai vivoté pendant deux ans.” Elle a trouvé place dans un cabinet de recrutement, dans la restauration et essayé de passer un concours pour entrer dans le réseau des alliances françaises. En vain. Alors, elle a repris ses études pour entrer dans une école de commerce. Elle a obtenu un double diplôme à la Business School de Paris et l’université Ca’Foscari de Venise, et a effectué plusieurs stages dont un à l’Alliance française de Minneapolis aux États-Unis. Sa thèse professionnelle avait pour sujet : la programmation culturelle des Alliances françaises comme outil marketing dans une école de langue. En décembre 2016, après six mois sur le continent américain, tandis qu’elle était à mi-chemin entre la métropole et la Polynésie, elle s’est octroyée des vacances au Fenua. “Je n’étais pas rentrée depuis cinq ans.” Elle a été sollicitée pour assurer la relation média au Fifo en 2017. “Ce qui m’a donné une raison de rester non pas un, mais deux mois sur le territoire.” Puis tout s’est enchaîné.
 
Coup de foudre professionnel
 
Elle a rencontré Hinatea Colombani. “Un coup de foudre professionnel.” Ensemble, les deux femmes ont développé la partie entreprise du centre culturel ‘Arioi. En parallèle, elle a ouvert une patente pour faire du community management. Elle a enseigné comme vacataire à la Direction générale de l’éducation et des enseignements (DGEE). Elle était dans un lycée professionnel à Papara et ensuite à Taravao, enseignant l’histoire. Elle a été confrontée à des élèves “mal aimés”, “pas valorisés”, “sortant de milieu difficile voire inquiétant”. Cela a suscité une profonde réflexion sur le rôle et la place des équipes éducatives. “Si nous ne sommes pas capables de créer du sens pour eux, quelle société aurons-nous demain ?”
 
Laura Théron a, alors qu’elle était toujours enseignante, été appelée pour travailler au sein de la cellule de crise mise en place pendant le Covid. Elle a démissionné de la DGEE pour mener à bien cette mission. Puis, elle s’est engagée dans différents projets comme le Salon du livre, le Fifo et elle a commencé à donner des cours à l’Institut supérieur de l’enseignement privé de Polynésie française (Isepp).
 
Ce qui lui importe le plus et ce qui lui apporte le plus de satisfaction aujourd’hui, c’est la transmission. “Je me dis que si je parviens à inspirer un ou deux jeunes avec ma casquette de prof ou de gestionnaire de projet, c’est bien.” Elle encourage ses élèves et stagiaires à prendre conscience du travail bien fait. Exigeante, elle veille au progrès de chacun, se concentre tantôt sur le savoir-faire, tantôt sur le savoir-être, selon les situations. En retour, elle se nourrit de leur énergie créative, de leur vision neuve et innovante. Elle aime leur compagnie. “Ils sont la Polynésie de demain. Il faut leur dire, les encourager à prendre leur place, leur donner les outils, leur donner confiance. Être manager, professeur est une chance, un privilège et une responsabilité. Je prends cela avec plaisir et dévouement.” Selon elle, il faut se positionner en accompagnateur, en passeur de relai. Il faut les laisser se tromper.
 
Ses rencontres, ses expériences et ses voyages lui ont permis de se construire, de trouver sa place. Elle se dit “polynésienne d’origine européenne. J’ai une vraie sensibilité culturelle. Je ne la revendique pas comme un héritage, mais je crois qu’il est possible d’être une alliée des revendications autochtones.” Quelle meilleure place, pour ce faire, que la direction du Fifo ? La 21e édition est terminée. Mais déjà, se profile l’édition 2025.  

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 22 Février 2024 à 15:06 | Lu 3118 fois