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La vie chère soignée à coups de rapports


Tahiti, le 3 avril 2025 - La délégation sénatoriale aux outremers a rendu jeudi à Paris son rapport d’information sur la lutte contre la vie chère dans les territoires ultramarins français. Un document qui vient s’ajouter à la longue liste des rapports déjà édités sur le sujet. Le dernier en date avait été réalisé par l’Assemblée nationale en juillet 2023.
 
“La réalité de la cherté de la vie en outre-mer ne souffre pas de contestation”, explique le communiqué qui a suivi le rapport. “À l’origine de crises à répétition, elle requiert des solutions à la fois immédiates et durables.”

Le travail de la délégation sénatoriale vient en complément du travail engagé ces dernières semaines par le nouveau ministre des Outre-mer, Manuel Valls.

Les sénateurs se sont ainsi penchés sur trois problématiques : “Les produits du quotidien, les dépenses automobiles et le fret maritime et aérien”.

“On ne peut plus se contenter de pansements, il nous faut des vrais remèdes”, a lancé la sénatrice Les Républicains de Saint-Barthélemy et présidente de la Délégation sénatoriale aux Outre-mer, Micheline Jacques, en préambule de la conférence de presse sur le rapport d’information contre la vie chère en Outre-mer.

“Pour le secteur de l’alimentaire, on ne parle plus d’une vie chère mais plutôt d’une extrême vie chère”, s’inquiète pour sa part la sénatrice socialiste Viviane Artigalas, rapporteure de la mission d’information.

“Tout le long de la chaîne de distribution, des marges artificielles sont opérées par les entreprises et les intermédiaires”, assume Viviane Artigalas. Le rapport vise à “rétablir une confiance” en garantissant une “juste transparence” des entreprises.

Teva Rohfritsch, a ajouté : “Au cours des 15 dernières années, le Parlement a doté les Outre-mer d’un arsenal législatif riche, mais qui est dans les faits peu utilisé. Les outils sont là, à nous d’accroître l’autorité de la concurrence pour les rendre effectifs”.

Une obligation pour les opérateurs livrant en France hexagonale d’accepter “les livraisons vers les territoires ultramarins” est recommandée, ainsi qu’une simplification des procédures douanières pour les acteurs de e-commerce implantés en Outre-mer.

Une taxe unique dans les DROM

Outre les nombreux intermédiaires dans la chaîne de distribution qui font gonfler les prix, la plupart des produits vendus dans les DROM [Départements et régions d’Outre-mer, NDLR] sont assujettis à la taxe “octroi de mer”. Cette taxe spécifique des DOM est souvent accusée d’augmenter les prix. Elle représente en moyenne 5% du prix final.

Mais son aménagement pose un problème : les recettes s’élèvent à près d’un milliard d’euros et représentent une part non négligeable du budget des collectivités territoriales. Dans certaines communes des DROM, la taxe correspond à près de la moitié des rentrées fiscales. “L’octroi de mer permet une autonomie fiscale, mais elle est incomprise”, pointe le sénateur RDPI de Guadeloupe, Dominique Théophile. “Certains la surnomment même ‘l’octroi de maire’. Il nous faut moderniser cette taxe.” L’idée de rendre la taxe déductible sur les biens importés sans équivalent local est préconisée dans le rapport.

Enfin, pour pallier cette problématique géographique, un plan de modernisation des infrastructures portuaires, aéroportuaires et douanières est envisagé afin de renforcer la compétitivité et le positionnement de hub régional.

Une stratégie en cinq axes

Au terme de leurs travaux, les six rapporteurs, Viviane Artigalas, Jocelyne Guidez, Micheline Jacques, Evelyne Perrot, Teva Rohfritsch et Dominique Théophile pointent les écueils qui empêchent de sortir du cycle infernal des crises récurrentes : chercher un coupable, courir après le mirage hexagonal, alourdir la dépense publique, négliger la faiblesse des revenus ou encore suradministrer.

Ils recommandent un socle de 24 mesures “anti-vie chère” articulées autour de cinq axes. Le premier a pour but de rétablir la confiance et dissiper le climat de suspicion qui s’est installé dans certains territoires. Le second tentera d’atténuer l’impact de l’éloignement via des actions stratégiques. Le troisième axe espère optimiser les taxes à la consommation. Le quatrième souhaite garantir la concurrence et le dernier transformer le modèle économique.

“Ces réformes apparaissent d’autant plus urgentes que les annonces du gouvernement américain ouvrent une véritable guerre tarifaire porteuse de menaces pour les économies ultramarines”, conclut le rapport.

Quelques mesures dévoilées jeudi
 
 
• Dissuader la non-publication des comptes des entreprises en permettant la saisine du tribunal de commerce en référé par le préfet ou le président de l’OPMR [Observatoire des prix, des marges et des revenus, NDLR] avec astreinte dissuasive.
• Doter les OPMR d’un budget consolidé “à leur main” et accroître les capacités de saisine et d’alerte de son président, notamment pour obtenir la publication des comptes des entreprises ou saisir l’Autorité de la concurrence.
• Obtenir de l’Autorité de la concurrence la réalisation d’une étude sur la concurrence outre-mer tous les 5 ans au maximum et la compléter par des études spécifiques par territoire.
• Engager un plan de modernisation des infrastructures portuaires, aéroportuaires et douanières dans les outremers pour renforcer leur compétitivité et leur positionnement de hub régional.
• Découpler l’aide au fret “nationale” de l’aide au fret “européenne” pour faire de l’aide au fret “nationale” une aide “anti-vie chère” ciblée sur les produits de première nécessité. Étendre le bénéfice de cette aide aux collectivités du Pacifique au titre de la continuité territoriale.
• Atténuer l’impact de l’octroi de mer sur la vie chère en le rendant déductible sur les biens importés sans équivalent local, en réduisant le nombre de taux différents et en abaissant fortement les taux sur les produits de première nécessité.
• Écarter les DROM de l’application de la réforme des certificats d’économies d’énergies et obtenir la révision de la directive sur la “taxe carbone européenne”, afin d’en exclure le secteur du transport routier dans les RUP [Régions ultrapériphériques, NDLR].
• Compléter le collège de l’Autorité de la concurrence par six membres délibérant sur les questions relatives aux outremers – dont le cas échéant les présidents des autorités de la concurrence de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française – et créer un service d’instruction spécialisé pour les outremers.
• Interdire l’exclusion des outremers du champ d’application territorial des conditions générales de vente des contrats entre centrales d’achat hexagonales et fournisseurs et étudier l’extension de cette disposition à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie.
• Développer le commerce en ligne en obligeant les opérateurs livrant en France hexagonale à accepter les livraisons vers les territoires ultramarins et simplifier les procédures douanières pour les acteurs de e-commerce implantés outre-mer.
• Au niveau européen, faire adopter un “paquet RUP” législatif pour lever les obstacles normatifs à leur insertion régionale, notamment dans le secteur de l’agroalimentaire
• Revaloriser le montant de la prime d’activité dans les outremers pour prendre en compte le différentiel de coût de la vie.


Rédigé par Bertrand PREVOST le Vendredi 4 Avril 2025 à 12:16 | Lu 1396 fois