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La téléradiologie, symptôme du manque d'attractivité du Taaone


Crédit photo : Pexels.
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Tahiti, le 9 aout 2023 – La semaine passée, le CHPF a eu recours pour la première fois à un service de téléradiologie. Cette pratique consiste à envoyer pour analyse des imageries médicales à des entreprises de téléconsultation dans l'Hexagone. L'usage de ce service, en principe réservé aux déserts médicaux, est dû à un manque d'effectifs parmi les radiologues du Taaone. Un manque de personnel lié au manque d'attractivité de l'hôpital.
 

Depuis maintenant plusieurs années, le Taaone souffre d'un manque d'attractivité dans le recrutement de médecins spécialisés. Une situation de plus en plus inquiétante pour certains services. Symptôme phare de ce problème : le recours, la semaine passée, à des services de téléradiologie pour l’analyse d’imageries médicales. En effet, faute de praticiens – un titulaire et trois remplaçants en contrat allant de trois mois à un an – alors que sept postes sont à pourvoir dans le service de radiologie, le Taaone a été contraint de trouver d'urgence une solution de repli pour assurer de manière optimale le suivi des soins : la téléradiologie. Concrètement, cette pratique consiste à envoyer des imageries médicales à des entreprises de téléconsultation privées, dont les radiologues, qui peuvent se trouver n'importe où dans le monde, vont pouvoir analyser et ainsi poser un diagnostic.
 
Si ce service, à ses débuts dans l'Hexagone il y a plus de 15 ans, était un complément et un renfort parfait à la pratique hospitalière, il est devenu avec le temps une activité à part entière qui de par son apport lucratif (très) important incite les radiologues, notamment en Polynésie, à délaisser les hôpitaux. “Au départ, ça a permis d'aider les déserts médicaux pour combler les manques de médecins dans ces zones. Et puis c'est devenu quelque chose de commercial, car il y a un business. On est dans la phase où il y a plus de téléradiologues que de radiologues en présence, car la majorité des jeunes diplômés choisissent ce chemin”, explique pour Tahiti Infos un ancien radiologue du Taaone. La solution d'appoint est donc devenue, pour le CHPF, un service indispensable au vu du manque d'effectif dont il souffre actuellement. “Ce manque de personnel, n'est pas épisodique, car depuis pas mal de temps, on s'aperçoit qu'on a du mal à recruter du fait de la rareté des profils et de la concurrence avec le privé. Alors cette pratique va permettre de soulager les gardes des médecins en poste, notamment pour les diagnostics”, explique Alexis Goubert, en charge de la qualité et de la gestion des risques du CHPF.
 
Pas de praticiens, pas de soins
 
Si la téléradiologie est un outil formidable qui peut faciliter la vie des praticiens, il est important de préciser que l'apparition de cette pratique peut comporter certaines dérives. “La première est qu'il y aura de moins en moins de radiologue sur place”, estime l'ancien radiologue du Taaone. Car si dans l'imaginaire collectif, les radiologues sont souvent cantonnés à rôle de poseurs de diagnostics, c'est loin d'être la seule corde à leur arc. En effet, ceux-ci agissent régulièrement sur les patients de manière interventionnelle. “On se sert d'aiguilles tous les jours. C'est nous qui bouchons ou débouchons des artères. On draine des abcès. On ponctionne des tumeurs... En radiologie interventionnelle vasculaire, on va chercher les caillots dans le cerveau. Lors d'un accouchement, si une femme a des saignements qui ne veulent pas s'arrêter, c'est nous qui nous occupons de boucher les artères. S'il n'y a pas de radiologues sur place, on va recommencer, comme il y a 20 ans, à retirer les utérus des femmes. Ce n'est vraiment pas quelque chose qu'on souhaite”. Du côté de l'hôpital, si on est plus prompt à relever les aspects positifs de cette pratique, on reconnait cependant “qu'on ne remplacera jamais la présence d'un professionnel”.

Sans radiologues sur place, les structures hospitalières sont également tentées de remplacer les échographies par des scanners. Des scanners, qui au-delà de leur coût plus élevé, peuvent, en raison des rayons ionisants, faire courir à long terme un risque de cancer au patient.
 
Des frais exorbitants
 

Au-delà des risques potentiels sur la santé des patients que fait peser la carence de praticiens radiologues à l’hôpital, les coûts pour souscrire à des services de téléradiologie sont importants. En effet selon nos informations, le prix moyen d'une vacation de téléradiologie, soit quatre heures, est de 200 à 300 000 francs. À titre de comparaison, pour un praticien en poste au Taaone, une garde du même temps est facturée 20 000 francs. “La grande différence de la médecine libérale, comme l'est la téléconsultation, par rapport à l'hospitalière, c'est la tarification à l'acte”, explique l'ancien du CHPF. Ce qui explique les énormes différences de tarifs.
 
Si ces coûts pour une vacation de téléradiologie ne sont pas confirmés par le CHPF, Alexis Goubert reconnait tout de même “qu'il est préférable d'avoir des médecins sur place”. “Nous avons un système de contrat à la carte avec une société de téléimagerie. Ce qui nous permet à tout moment de réajuster l'offre en fonction de nos besoins et de nos futurs recrutements.”
 
Quid de l'attractivité
 
Bien sûr, en raison des motifs évoqués en amont, le Taaone ne fait pas appel à ce service de bon cœur. Cette situation est la conséquence d'un manque d'intérêt des spécialistes, radiologues et autres, pour l'hôpital. La première raison de ce manque d'attrait : la rémunération. En effet, au CHPF, les revenus des médecins sont plafonnés par la règlementation. Elles sont identiques, peu importe la spécialité, là où une société de téléradiologie peut proposer n'importe quel montant. “En métropole, il y a dans les hôpitaux des systèmes d'attractivité mis en place pour inciter les salaires des spécialités rares, comme les radiologues ou les anesthésistes par exemple. En Polynésie ça existe aussi pour la neurochirurgie, l'oncologie, la médecine nucléaire, mais ce sont des décisions ministérielles”, confirme l’ex-radiologue du Taaone. “On a essayé de faire changer les choses à l'hôpital mais rien n'a encore été fait. Il faudrait reformer cette loi, c'est ce que disent les praticiens de l'hôpital depuis plus de quinze ans.” Du côté du CHPF, on est conscient cette contrainte et de ses conséquences. “Il y a un turnover incessant. On a du mal à garder nos équipes. Alors on est en train d'imaginer des solutions pour tenter d'attirer des radiologues. On espère notamment nouer un partenariat avec le Service français de radiologie, qui pourrait nous envoyer régulièrement des professionnels de manière provisoire pour combler les effectifs. Quant à une potentielle réforme, ce n'est pas de notre ressort.”

Reste qu’une modification de cette règlementation locale pourrait inciter des téléradiologues habitants au fenua et travaillant de chez eux pour des hôpitaux français à venir travailler au centre hospitalier du Taaone. Actuellement, on en recense 12 inscrits à l'ordre des médecins de Polynésie, sans compter ceux inscrits à l'ordre français.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mercredi 9 Août 2023 à 20:30 | Lu 3004 fois