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La succession Bruggmann de retour à la barre


Tahiti, le 17 août 2022 – Cinq ans après le décès de Me Bernard Bruggmann et le tumulte judiciaire qui a suivi la succession du notaire de Papeete, c'est maintenant la justice administrative qui est saisie d'une nouvelle bataille autour du prix de vente des parts de l'office notarial.
 
L'affaire de la succession de l'illustre notaire de Papeete, Me Bernard Bruggmann, est de retour devant le tribunal administratif de Papeete. Cinq ans après le décès du notaire et le coup de tonnerre d'une enquête préliminaire rapidement classée sans suite, c'est aujourd'hui le montant de la cession des parts de l'office notarial qui fait l'objet d'une nouvelle bataille devant le juge administratif. “Une affaire un peu originale”, a commenté d'emblée le président du tribunal administratif, saisi mercredi en référé. En 2017, Me Bernard Bruggmann et son associé Me Alexandre Yao avaient convenu d'un prix de vente des parts sociales de l'office à 220 millions de Fcfp. Une “valorisation” juridiquement contestable, qui avait valu ses nombreux déboires administratifs et judiciaires au dossier de la succession Bruggmann. Aujourd'hui, c'est le Pays qui a fixé le prix de la cession de ces parts sociales… à 14 millions de Fcfp. Et pour les héritiers du notaire, le compte n'y est pas.
 
Succession houleuse
 
Pour fixer le contexte très particulier de ce dossier, il faut remonter cinq ans en arrière. Atteint d'une grave maladie, Me Bernard Bruggmann avait entrepris en 2017 de céder le cabinet qu'il administrait depuis deux décennies à Papeete à son associé Me Alexandre Yao. Mais à l'époque, un autre notaire salarié de l'office, Me Frédéric Rapady, s'était visiblement estimé lésé par la situation et avait entrepris d'alerter la justice sur cette opération à travers une rocambolesque dénonciation anonyme. En Polynésie, la valorisation de la clientèle d'un cabinet de notaire est en effet illégale. Au terme d'une enquête préliminaire aussi courte que médiatisée, le parquet de Papeete a pourtant rapidement conclu qu'il n'y avait pas matière à poursuites.
 
Problème, cette courte enquête a empêché Me Alexandre Yao de prêter serment dans les délais légaux. Et l'office notarial s'est retrouvé administré un temps par le Pays. Une situation qui est aujourd'hui revenue à la normale. “Me Yao a été agréé. Il a fait l'objet d'une décision de justice qui l'autorise à exercer. Donc, à ce jour, la société Bruggmann et Yao est l'entité officielle titulaire de l'office notariale en application d'un arrêté de 2017”, a rappelé mercredi devant le tribunal administratif l'avocat d'Alexandre Yao, Me Arcus Usang. Problème, la question de la cession des parts sociales de la SCP Bruggmann et Yao n'a toujours pas été résolue. Et elle fait aujourd'hui l'objet d'un nouveau bras de fer entre les héritiers Bruggmann –le notaire est décédé fin 2017– et Me Alexandre Yao.
 
“Affaire de gros sous”
 
En application de la réglementation polynésienne, c'est au Pays qu'il revient de fixer le montant de la cession des parts sociales d'un office notarial dans ce cas de figure. Ce que le gouvernement a fait par un arrêté du 5 juillet dernier, sur la base de quatre expertises comptables. Prix de vente fixé : 14 002 291 Fcfp. “On a contesté cet arrêté devant le juge du fond et on demande aujourd'hui au juge des référé de suspendre l'application de cet arrêté. Notre fondement essentiel, c'est de dire que la Polynésie s'est fondée sur quatre rapports d'expertise pour évaluer les parts de cette SCP notariale sans jamais communiquer ces rapports d'expertise aux consorts Bruggmann, qui sont les héritiers de feu Bernard Bruggmann”, explique l'avocat des héritiers du notaire, Me Dominique Bourion. À la barre l'avocat a insisté sur un argument principal : “le principe du débat contradictoire n'a pas été respecté dans cette procédure”. Les héritiers Bruggmann refusant surtout de voir passer la valeur du cabinet notarial de 220 à 14 millions de Fcfp.
 
“Il y a une affaire de gros sous derrière tout ça. Mais le Pays a surtout essayé d'assumer ses responsabilités”, a contesté mercredi le juriste du secrétariat général du gouvernement, qui a mis en avant la bonne foi de l'administration publique pour régler cette affaire. “D'autant que le principe du contradictoire, évoqué à cor et à cri, ne s'applique pas en l'espèce”, a estimé le juriste. De son côté, l'avocat d'Alexandre Yao, Me Arcus Usang, a refait l'historique du dossier, rappelé ses nombreux rebondissements, regretté “l'instrumentalisation de la justice pénale” et invoqué “l'urgence” d'en finir avec cette procédure. "Me Yao souhaite l'application de la loi qui fixe les conditions dans lesquelles on doit évaluer le prix de cession des parts d'une société de notaires. Et c'est le cas. La Polynésie a consulté des experts et a établi un prix avec lequel nous sommes d'accord, puisqu'il est conforme à la loi.”
 
Conclusion de l'avocat de Me Yao : “Ce dossier connaît des vicissitudes parce que nous avons, en face de nous, une démarche qui est purement vénale et non soucieuse du respect de la réglementation”. Réponse du tribunal sur ce référé vendredi.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mercredi 17 Août 2022 à 22:32 | Lu 6215 fois