Tahiti Infos

“La priorité de ce gouvernement, c’est la justice sociale”


Tahiti, le 8 octobre 2023 - La ministre de la Fonction publique et de l’Emploi a reçu Tahiti Infos dans son bureau afin de prolonger les réflexions sur l’avenir de l’OPT, mais aussi parler emploi local. Les discussions se poursuivent avec l'intersyndicale de l’OPT.

Comment avance le dossier et sur quoi discutez-vous ?
“Le ministère n’intervient pas dans les discussions syndicales. Nous laissons ce travail à la direction de l’OPT. Ils avaient besoin de réponses de la part du ministère concernant la subvention complémentaire de 500 millions de francs du Pays, dont le P-dg nous avait fait aussi part. Les syndicats demandent un milliard de francs de plus pour Marara Paiement et une subvention complémentaire pour Fare Rata. Il faut savoir que depuis 2019, jusqu’à 1,7 milliard par an est versé par le Pays à l’OPT. C’est une nouveauté puisqu’avant, c’était plutôt l’OPT qui versait des subventions au Pays. D’après le P-dg, l’OPT a versé 14 milliards de francs de dividendes au Pays par le passé. Nous avons été clairs avec les syndicats. S’agissant des missions de service public, le Pays doit participer, mais pas à n’importe quel prix et pas au détriment des aides qu’on peut accorder aux personnes qui n’ont rien. Ce sera fait dans le cadre de conventions d’objectifs qui fixeront les obligations du bénéficiaire de la subvention, avec un plan de rétablissement des équilibres financiers contenant des réductions de charges et un développement des recettes.”

La recherche du remplaçant de Jean-François Martin est clair à ce sujet. Vous cherchez un “père la rigueur”.
“Exactement. Mais je dois aussi rassurer les employés. Ils ont peur, ils pensent que c’est uniquement vers eux qu’on se retourne et à qui on demande des efforts alors qu’il y a eu des erreurs stratégiques de commises de la part de la direction avec le plan ambition 2020 et le système d’information NOA. Les salariés de l’OPT ne sont pas les principaux responsables de cette situation. D’après les salariés, il y a aussi eu des erreurs de casting chez les cadres. Il y aurait aussi des avantages individuels négociés hors convention. Redresser la barre de l’OPT, ce n’est pas uniquement demander aux salariés de faire des efforts. Le Pays aussi est en faute et a laissé faire. Nous avions déjà prévu de monter une mission d’enquête sur la gestion et le fonctionnement de l’OPT et l’assemblée, via Lana Tetuanui, a lancé la même idée. Nous allons donc voir avec les élus comment monter cette commission d’enquête. Les personnels ne seront pas abandonnés, mais ils ne veulent pas parler d’avantages… Si ! Ce sont des avantages. Et la priorité du gouvernement, c’est la justice sociale. Il y a des milliers de personnes qui n’ont rien. Il faut être reconnaissant de ce que l’on a déjà et voir de quelle manière peut s’exercer la solidarité. À l’OPT, il y a près d’une trentaine d’avantages différents. Certaines indemnités sont justifiées, mais verser la prime de croissance par exemple alors que l’entreprise est en déficit depuis 2019… ça n’a aucun sens.”

L’aide du Pays alors…
“Oui, elle sera accordée, mais ce n’est pas une aide éternelle. Elle concernera un montant dans le cadre de conventions d’objectifs dans le cadre des missions de service public du Pays.”

Une nouvelle restructuration est-elle envisagée ?
“Le projet qu’aimerait proposer le Pays, c’est que l’OPT récupère toutes les missions de service public exercées par Onati, Fare Rata et Marara Paiement. Ensuite, on créera des filiales qui, elles, n’interviendront que dans le domaine concurrentiel. Mais cette nouvelle restructuration ne se fera pas sans l’avis du personnel.”

Le projet Fare Hinoi est-il menacé ?
“Le projet est conservé, il sera redimensionné. Il faut voir quels sont les besoins réels de l’OPT dans ce bâtiment. Ce n’est pas le gouvernement qui a demandé à revoir le projet. C’est la direction de l’OPT, au regard du coût. Les bâilleurs de fonds ne pouvaient plus suivre et les surcoûts engendrés par l’inflation n’étaient pas soutenables. Après, nous sommes vigilants puisque plusieurs services de Papeete y seront regroupés, ce qui pourrait créer un problème de congestion de la circulation.”

Le dossier du câble entre le Chili et l’Australie, sur lequel la Polynésie pourrait se connecter, a-t-il avancé ?
“Le dossier avance mais d’une manière complètement différente de celle d’origine. L’opération publique est devenue une opération privée, mais le gouvernement chilien a opté pour un projet complètement privé. Un GAFAM (acronyme des géants du web – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, NDLR) devrait prendre en charge entièrement les travaux avec une entité public/privé qui se chargerait de la commercialisation et de l’exploitation du réseau. Le GAFAM se gardera quand même presque 80% de la bande passante, mais la capacité est multipliée par vingt par rapport au projet initial. Nous devons donc maintenant nous rapprocher de ce GAFAM pour discuter de notre connexion. Les discussions sont plutôt en bonne voie.”

L’Autorité polynésienne de la concurrence préconise la mise en place d’un opérateur indépendant pour relayer les signaux mobile et internet. Qu’en pensez-vous ?
“Nous sommes tout à fait d’accord pour qu’un régulateur autonome soit mis en place. Quelle forme lui donner, c’est encore à discuter. Ramener à l’OPT toutes les missions de service public permettra justement de clarifier ce sujet et d’ouvrir cette autorité indépendante qui assurera la régulation entre les opérateurs.”

Un point fonction publique. Vous avez annoncé la fin des avantages aux fonctionnaires d’État (FEDA) qui prennent des postes de la fonction publique polynésienne. Selon nos informations, cela ne touche que 47 personnes. C’est une décision anecdotique, combien le Pays compte-t-il économiser ?
“Nous l’estimons à 251 millions de francs par an, en prenant en compte les frais payés les trois dernières années. C’est surtout pour harmoniser les détachements et mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Quarante-sept personnes, ce n’est pas extraordinaire, mais les coûts sont énormes.”

Certains sont des postes clés, des magistrats, etc. Avons-nous la ressource locale ? Ne risquons-nous pas de devenir moins attractifs et de peiner à trouver des agents à ces postes ?
“Nous avons des compétences locales qui pourraient remplacer ces fonctionnaires d’État. La preuve, la nouvelle Directrice du travail est locale alors que le poste était occupé depuis 2007 par un FEDA. Ce ne sera pas le cas dans tous les services, nous le savons. Il y aura toujours des détachements, mais à ces nouvelles conditions, avec une mission de transfert des compétences à terme.”

À votre prise de fonction, vous avez milité pour une simplification de l’administration. Comment la mettre en place ?
“Déjà, on va faciliter les process. On perd un temps fou à des choses inutiles. De la paperasse partout. Dans l’administration, pour un recrutement, on a une panoplie de documents qui peut revenir au ministère jusqu’à cinq fois pour un même dossier. Pour un recrutement, on a un arrêté de nomination, puis un autre qui fixe la rémunération, puis un autre qui fixe les indemnités, encore un autre avec le contrat CDI et d’autres encore. Donc, on a commencé à supprimer des étapes inutiles. De 13 étapes pour un recrutement de CDD, on est passé à quatre étapes. On est passé de trois mois de procédures à deux semaines. Enfin, concernant l’accessibilité au public, on se rend compte qu’une grande partie de la population est exclue des dispositifs d’aide. Ils ne les connaissent pas, ils ne font pas les démarches, ne comprennent pas les formulaires ou manquent de moyens de transport. La mise en place des Fare Ora va les y aider. Le but est que l’administration aille à la rencontre de la population et plus l’inverse.”

Côté emploi, vous avez décidé de relancer les CAE, mais sous une autre forme…
“Ils étaient arrêtés depuis janvier. À notre arrivée, nous avons relancé le dispositif mais nous avons fait respecter la loi du Pays sur le sujet, notamment en matière d’attribution. Le précédent gouvernement utilisait ce dispositif comme un amortisseur social alors que c’est une aide à l’emploi et à la formation.”

N’est-on pas tombé dans les travers des anciens dispositifs DIG et CIG où les personnes étaient payées pour tenir une pelle au bord de la route ?
“Le nom a changé. La loi n’est pas à critiquer, mais l’application de la loi n’a pas été fidèle aux objectifs du dispositif. C’était une mesure politique. Nous avons mis une rallonge de 300 millions de francs, loin des fonds versés par le passé, car nous sommes sur la qualité des CAE et non sur la quantité. Ces CAE sont orientés sur les secteurs prioritaires qui figurent dans notre programme : l’agriculture, l’artisanat, le tourisme, les énergies renouvelables, l’environnement, la culture et le numérique. Les autres mesures d’aide à l’emploi comme l’ICRA, l’ACT, sont elles aussi redirigées sur ces secteurs. Sur le BTP aussi. Le ministre des Grands travaux va annoncer prochainement les chantiers pour 2024.”

Il serait temps, l’inquiétude gagne le secteur…
“Je ne vais pas le dévoiler à sa place. Il y a des chantiers qui n’ont pas été abandonnés. Il est demandé de les redimensionner. Les coûts sont exorbitants. Fare Hinoi, on a juste demandé à redimensionner, on demande à harmoniser le projet du Village tahitien, ce n’est pas abandonné. Le lycée agricole de Opunohu n’est pas non plus abandonné.”

Le ministre de l’Éducation est très confus sur le sujet…
“Tout sera plus clair lorsque l’on dévoilera les orientations budgétaires prochainement. Un peu de patience !”

Revenons à l’emploi. C’est quoi l’emploi local ? Qui selon vous peut y prétendre ?
“Il faut prendre notre société telle qu’elle est aujourd’hui, multi-ethnique. Il ne s’agit pas uniquement de penser en temps de résidence, mais en temps d’implication dans ce pays. Ce sont tous ceux qui aiment ce pays, qui donnent pour ce pays et qui n’envisagent pas de vivre ailleurs. L’emploi local, c’est d’abord les Polynésiens de souche, ceux qui ont une filiation depuis de nombreuses générations, ceux qui sont nés ici et qui veulent vivre ici. On tient à notre identité de peuple à part entière. Nous ne sommes pas le peuple français. Nous tenons à notre identité avec un peuple qui s’est ouvert à la communauté chinoise, la communauté française. C’est avec eux que l’on veut construire notre pays. La communauté chinoise, ce sont des Polynésiens aujourd’hui. Les Français qui sont là depuis longtemps, ce sont des Polynésiens. Après, l’emploi local ira de pair avec la notion de citoyenneté. Là, on n’est pas tout à fait d’accord au sein du Tavini sur la démarche d’accession à l’indépendance.”

Ça se voit, inutile d’essayer de le cacher d’ailleurs.
“Moi, je suis plutôt d’accord avec Oscar Temaru. On ne doit pas suivre le même chemin que la Nouvelle-Calédonie, compte tenu des résultats obtenus. Nous devons passer par l’ONU et pas uniquement dans des discussions avec la France. Paris ne veut rien entendre et il nous faut un arbitre. C’est la population qui fera le choix le moment venu (…). Je comprends la démarche de Tematai Le Gayic, même si le président du Tavini, Oscar Temaru, ne la comprend pas. Oscar Temaru ne veut pas de citoyenneté, il vaut la nationalité mā’ohi. Mais la démarche du député est plus une démarche pédagogique.”

L’emploi local sera réservé aux citoyens mā’ohi ? Quand est-on citoyen ? Peut-on vivre en Polynésie de longue date et ne pas prendre la citoyenneté ? Et alors quelles conséquences sur l’accès au marché de l’emploi ?
“On en a déjà parlé au Tavini. Il y a le droit du sang, le droit du sol et la durée de résidence. Il faut déterminer ce temps de résidence. Certains disent vingt ans, d’autres disent ‘ceux qui ont passé plus de la moitié de leur vie ici’. Un résident de trente ans, qui ne prendrait pas la citoyenneté mā’ohi, sera toujours le bienvenu, mais n’aura plus les mêmes droits que ceux accordés aux citoyens.”

Rédigé par Bertrand PREVOST le Dimanche 8 Octobre 2023 à 20:17 | Lu 5234 fois