Le port historique de La Rochelle, une ville qui a hébergé le temps d'une semaine de nombreux débats sur la littérature polynésienne (photo : La Rochelle Tourisme)
PAPEETE, le 26 juin 2018 - Le renouveau de la littérature polynésienne commence à piquer l'intérêt de communauté des spécialistes internationaux. Lors d'un grand congrès littéraire à La Rochelle, l'auteur Daniel Margueron, spécialiste des auteurs qui ont écrit en français à propos de nos îles, ou depuis nos îles, a pu s'en apercevoir.
Du 4 au 10 juin dernier, la ville de La Rochelle, sur la côte Atlantique, a accueilli le 32ème congrès mondial du Conseil International d’Etudes francophones (CIEF). Daniel Margueron, membre du CIEF et participant au congrès 2018 en tant que président de la session Littérature et nation, a présenté aux congressistes un aperçu de la littérature polynésienne. Il en est un spécialiste reconnu depuis 30 ans, et encore plus depuis la publication de son livre "Flots d’encre sur Tahiti, 250 ans de littérature francophone en Polynésie française" en 2015.
Son intervention était intitulée "Tahiti : une scène littéraire prolixe du mythe des Occidentaux à la littérature francophone autochtone." Il a ainsi évoqué successivement "la Polynésie fantasmée à travers le mythe forgé au XVIII° dans la littérature d’exploration et de voyage, puis la littérature exotique et coloniale, plus diverse et nuancée qu’on ne le croit d’ordinaire" nous raconte-t-il. Il a ensuite souligné "la vigueur et la diversité de la littérature autochtone contemporaine qui s’inscrit dans une démarche de construction identitaire, de reterritorialisation et de valorisation culturelle, même si elle utilise le français comme langue d’expression. L’originalité de cette littérature lui vient du contexte historique, social, humain et surtout culturel au sein desquels elle s’épanouit depuis une petite cinquantaine d’années."
"C’est utile pour la littérature polynésienne d’être confrontée à d’autres littératures francophones du monde, d’une part car elle cesse de n’être perçue que pour et par elle-même. D’autre part, on se rend compte que, mise en relation avec d’autres littératures insulaires, postcoloniales, francophones ou autres, certaines similitudes ou divergences intéressantes apparaissent, notamment sur la place à accorder à la culture d’origine" nous précise Daniel Margueron. "Surtout pour certaines qui partage des parentés avec notre littérature, pour des raisons historiques comme l'impact de la colonisation et de ses succédanés, de proximité géographique dans le bassin Pacifique ou par l'usage de la langue française."
Daniel Margueron a également observé que la littérature polynésienne commence à être bien connue des chercheurs en littérature : trois universitaires ont, au cours de ce congrès, présenté des contributions portant sur un aspect de la littérature polynésienne. L’une a parlé de la "déconstruction au féminin d’un paradis mythique" dans un récit épistolaire du XVIII° (à l’époque du mythe), une autre a traité de "Tahiti, la fin d’un mythe chez Chantal Spitz", et une troisième a produit une étude comparative de "Chantal Spitz et Dewé Gorodé" sous l’angle de la "trans-insularité". Parmi le public présent, les discussions ont montré la connaissance qu’il avait des textes récents de la littérature polynésienne. "Reste à partager cette littérature avec le public qui apprécie la fiction et fréquente les librairies" espère le critique littéraire.
Du 4 au 10 juin dernier, la ville de La Rochelle, sur la côte Atlantique, a accueilli le 32ème congrès mondial du Conseil International d’Etudes francophones (CIEF). Daniel Margueron, membre du CIEF et participant au congrès 2018 en tant que président de la session Littérature et nation, a présenté aux congressistes un aperçu de la littérature polynésienne. Il en est un spécialiste reconnu depuis 30 ans, et encore plus depuis la publication de son livre "Flots d’encre sur Tahiti, 250 ans de littérature francophone en Polynésie française" en 2015.
Son intervention était intitulée "Tahiti : une scène littéraire prolixe du mythe des Occidentaux à la littérature francophone autochtone." Il a ainsi évoqué successivement "la Polynésie fantasmée à travers le mythe forgé au XVIII° dans la littérature d’exploration et de voyage, puis la littérature exotique et coloniale, plus diverse et nuancée qu’on ne le croit d’ordinaire" nous raconte-t-il. Il a ensuite souligné "la vigueur et la diversité de la littérature autochtone contemporaine qui s’inscrit dans une démarche de construction identitaire, de reterritorialisation et de valorisation culturelle, même si elle utilise le français comme langue d’expression. L’originalité de cette littérature lui vient du contexte historique, social, humain et surtout culturel au sein desquels elle s’épanouit depuis une petite cinquantaine d’années."
"C’est utile pour la littérature polynésienne d’être confrontée à d’autres littératures francophones du monde, d’une part car elle cesse de n’être perçue que pour et par elle-même. D’autre part, on se rend compte que, mise en relation avec d’autres littératures insulaires, postcoloniales, francophones ou autres, certaines similitudes ou divergences intéressantes apparaissent, notamment sur la place à accorder à la culture d’origine" nous précise Daniel Margueron. "Surtout pour certaines qui partage des parentés avec notre littérature, pour des raisons historiques comme l'impact de la colonisation et de ses succédanés, de proximité géographique dans le bassin Pacifique ou par l'usage de la langue française."
Daniel Margueron a également observé que la littérature polynésienne commence à être bien connue des chercheurs en littérature : trois universitaires ont, au cours de ce congrès, présenté des contributions portant sur un aspect de la littérature polynésienne. L’une a parlé de la "déconstruction au féminin d’un paradis mythique" dans un récit épistolaire du XVIII° (à l’époque du mythe), une autre a traité de "Tahiti, la fin d’un mythe chez Chantal Spitz", et une troisième a produit une étude comparative de "Chantal Spitz et Dewé Gorodé" sous l’angle de la "trans-insularité". Parmi le public présent, les discussions ont montré la connaissance qu’il avait des textes récents de la littérature polynésienne. "Reste à partager cette littérature avec le public qui apprécie la fiction et fréquente les librairies" espère le critique littéraire.
Parole à : Nathalie Ségéral (Université de Hawaii-Manoa)
"La littérature francophone du Pacifique fut pour moi une révélation"
Après des études à Dijon puis à Paris III et une thèse soutenue à l’université de Los Angeles sur l’écriture féminine de la Shoah, de l’esclavage et de la maladie mentale, en particulier chez les écrivaines francophones, Nathalie Ségéral enseigne depuis 4 ans à l’Université de Hawaii.
"Je m’intéresse maintenant aux littératures francophones du Pacifique qui demeurent, vues de Hawaii un domaine encore ultra-périphérique, malgré la proximité géographique ! Quand on parle de littérature francophone en Amérique, on pense au Maghreb, à l’Afrique sub-saharienne, aux Antilles, à l’île Maurice aussi. Mais à Hawaii personne ne travaille sur les littératures des îles francophones de l’Océanie, et même à Los Angeles, où il y a le plus grand centre des Études francophones des États-Unis, on ne parle à peu près pas des littératures de la Polynésie ou de la Nouvelle-Calédonie.
Pour moi, la découverte de la littérature francophone du Pacifique, ce fut une révélation ! Notamment le thème de la place des femmes dans la société et le féminisme ou celui de la maternité problématique. Cette littérature fait écho à d’autres littératures francophones contemporaines écrites par des femmes dans le monde : être femmes dans une société où elles ne sont pas totalement reconnues. C’est une littérature originale : une écrivaine comme Chantal Spitz arrive à ne pas reproduire le style français dominant (à l’Université de Pennsylvanie il y a un cours régulier sur Chantal Spitz). Ariirau cite souvent dans ses textes les écrivains de Tahiti. Pour moi, Pina de Titaua Peu est comme une réécriture de l’Ame des guerriers d’Alan Duff, avec des thématiques qui renvoient à Tahiti et parfois à la France (le 93 et les quartiers populaires de l’île). Ces femmes essaient de se situer dans une perspective globale comme un écho entre les différentes îles. C’est la thématique trans-nationale appliquée aux îles et aux archipels du Pacifique-sud. Il y a entre elles des solidarités, des rencontres. La 'tahitianité' recherchée est comme la créolité aux Antilles. C’est une littérature hybride et métissée.
On trouve les livres sur Amazon ou bien parfois les étudiants tahitiens m’en apportent à Hawaii. En France il y a peu de visibilité de cette littérature. La problématique du centre et des périphéries se mesure là aussi. Lorsqu’un écrivain ultramarin est publié par un éditeur français, il apparaît plus facilement et peut être reconnu par ricochet. Il peut être même primé. Les Français s’intéressent plus aux littératures des territoires qu’ils n’ont plus qu’à celles des pays encore sous leur domination !"
Après des études à Dijon puis à Paris III et une thèse soutenue à l’université de Los Angeles sur l’écriture féminine de la Shoah, de l’esclavage et de la maladie mentale, en particulier chez les écrivaines francophones, Nathalie Ségéral enseigne depuis 4 ans à l’Université de Hawaii.
"Je m’intéresse maintenant aux littératures francophones du Pacifique qui demeurent, vues de Hawaii un domaine encore ultra-périphérique, malgré la proximité géographique ! Quand on parle de littérature francophone en Amérique, on pense au Maghreb, à l’Afrique sub-saharienne, aux Antilles, à l’île Maurice aussi. Mais à Hawaii personne ne travaille sur les littératures des îles francophones de l’Océanie, et même à Los Angeles, où il y a le plus grand centre des Études francophones des États-Unis, on ne parle à peu près pas des littératures de la Polynésie ou de la Nouvelle-Calédonie.
Pour moi, la découverte de la littérature francophone du Pacifique, ce fut une révélation ! Notamment le thème de la place des femmes dans la société et le féminisme ou celui de la maternité problématique. Cette littérature fait écho à d’autres littératures francophones contemporaines écrites par des femmes dans le monde : être femmes dans une société où elles ne sont pas totalement reconnues. C’est une littérature originale : une écrivaine comme Chantal Spitz arrive à ne pas reproduire le style français dominant (à l’Université de Pennsylvanie il y a un cours régulier sur Chantal Spitz). Ariirau cite souvent dans ses textes les écrivains de Tahiti. Pour moi, Pina de Titaua Peu est comme une réécriture de l’Ame des guerriers d’Alan Duff, avec des thématiques qui renvoient à Tahiti et parfois à la France (le 93 et les quartiers populaires de l’île). Ces femmes essaient de se situer dans une perspective globale comme un écho entre les différentes îles. C’est la thématique trans-nationale appliquée aux îles et aux archipels du Pacifique-sud. Il y a entre elles des solidarités, des rencontres. La 'tahitianité' recherchée est comme la créolité aux Antilles. C’est une littérature hybride et métissée.
On trouve les livres sur Amazon ou bien parfois les étudiants tahitiens m’en apportent à Hawaii. En France il y a peu de visibilité de cette littérature. La problématique du centre et des périphéries se mesure là aussi. Lorsqu’un écrivain ultramarin est publié par un éditeur français, il apparaît plus facilement et peut être reconnu par ricochet. Il peut être même primé. Les Français s’intéressent plus aux littératures des territoires qu’ils n’ont plus qu’à celles des pays encore sous leur domination !"
Qu'est-ce que le congrès du Conseil International d’Études francophones (CIEF) ?
Cette association a été fondée en 1987 par l’écrivain canadien francophone Maurice Cagnon (1912-1999). C'est la plus importante association consacrée aux Études francophones dans le monde avec 1000 adhérents issus de 40 pays différents. Cette association réunit des écrivains et des artistes, mais surtout des chercheurs et des universitaires, écrivant ou travaillant sur la culture produite en langue française (littérature, cinéma, arts plastiques, musique, etc.). Le congrès de La Rochelle a rassemblé 300 personnes environ venant de toutes les parties du monde. Les communications présentées devant le public (plus de 200 au total) en 14 sessions ont été présentées en français et diverses langues étrangères. Le prochain congrès se déroulera à Ottawa (Canada) en juin 2019.
"Le thème 'du passage, de la médiation et de la transition' était parfaitement adapté à l’histoire compliquée de la ville de La Rochelle, 'belle et rebelle' comme on a pu la qualifier" explique Daniel Margueron. "Depuis l'époque où elle était une petite bourgade de pêcheurs, puis à celle de la ville protestante du XVII°, et encore aujourd'hui malgré les vicissitudes de l’histoire, La Rochelle a toujours favorisé les échanges économiques et culturels. Elle n’oublie pas également qu’elle fut aussi un port négrier dont l’événement est rappelé à divers endroits de la ville. Mais la ville fut aussi un port d’émigration vers la Nouvelle-France, les Antilles et l’Afrique du Sud. Les armements rochelais, Delmas-Vieljeux entre autres, ont sillonné de nombreuses mers du monde. La Rochelle est devenue aujourd'hui un port de la navigation de plaisance, alors que La Pallice est devenue le port des cargos."
"Le thème 'du passage, de la médiation et de la transition' était parfaitement adapté à l’histoire compliquée de la ville de La Rochelle, 'belle et rebelle' comme on a pu la qualifier" explique Daniel Margueron. "Depuis l'époque où elle était une petite bourgade de pêcheurs, puis à celle de la ville protestante du XVII°, et encore aujourd'hui malgré les vicissitudes de l’histoire, La Rochelle a toujours favorisé les échanges économiques et culturels. Elle n’oublie pas également qu’elle fut aussi un port négrier dont l’événement est rappelé à divers endroits de la ville. Mais la ville fut aussi un port d’émigration vers la Nouvelle-France, les Antilles et l’Afrique du Sud. Les armements rochelais, Delmas-Vieljeux entre autres, ont sillonné de nombreuses mers du monde. La Rochelle est devenue aujourd'hui un port de la navigation de plaisance, alors que La Pallice est devenue le port des cargos."