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La justice restaurative, pour une “réparation systémique”


Tahiti, le 18 avril 2023 – À l'initiative de l'Association polyvalente d'actions socio-judiciaires et du service pénitentiaire d'insertion et de probation, une projection gracieuse du film de Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages, qui porte sur la justice restaurative, a été organisée vendredi au Liberty. Au terme de cette projection, les différents intervenants qui animent ce dispositif en Polynésie ont échangé durant une heure sur l'importance de ce concept qui instaure un “cocon de dialogue” entre les victimes et les auteurs d'infractions. 

Salle quasi pleine vendredi pour la projection gracieuse et en avant-première du film de Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages, qui aborde le sujet de la justice dite “restaurative” ou “réparatrice”. Le long métrage, dans lequel jouent notamment Adèle Exarchopoulos, Denis Podalydès ou encore Jean-Pierre Daroussin, était projeté à l'initiative de l'Association polyvalente d'actions socio-judiciaires (Apaj) et du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) au cinéma Liberty. Déjà largement salué par la critique en France métropolitaine, le film retrace les histoires parallèles d'un groupe de parole composé de personnes victimes et auteurs de vol avec violence et d'une jeune femme qui tente d'entamer le dialogue avec son frère qui lui a fait subir des viols incestueux.
 
Si ce concept de justice restaurative, selon lequel l'instauration d'un dialogue entre auteurs et victimes d'infractions peut permettre à chacun d'avancer vis-à-vis des faits subis ou commis, est mis en œuvre en Polynésie depuis plusieurs années, aucune personne en ayant bénéficié ne s'était encore jamais exprimé. Vendredi après-midi, après la projection de Je verrai toujours vos visages, une jeune mère de famille a pris la parole pour évoquer son expérience. Victime de viol dans le cadre intrafamilial, la jeune femme a souhaité rencontrer l'auteur des faits pour “poser ses questions”. N'arrivant pas à “contrôler sa colère” car elle avait “peur”, en rupture avec sa famille, elle a voulu discuter avec son agresseur. La démarche, avoue-t-elle, lui a permis de “débloquer beaucoup de choses” et de “tourner la page”. 
 
Impact sociétal
 
Pour Herenui Germain, qui a été missionnée par l'Apaj et qui a accompagné cette jeune femme, le dispositif de justice restaurative va bien au-delà de la simple réparation personnelle : “Du côté des victimes, c'est une réparation de manière systémique. L'on ne parle pas uniquement d'une réparation d'une victime face à son auteur mais de la victime, de ses enfants, son entourage, sa famille et peut-être même des générations futures. Je l'ai vraiment vécu comme cela avec la jeune femme que j'ai accompagnée car c'est comme cela qu'elle l'exprime puisque ses attentes étaient de protéger ses enfants. En ce qui concerne les auteurs, il s'agit de prise de conscience, de la création d'un espace pour pouvoir enfin dire les choses sans être jugé pour expliquer et comprendre les répercussions de l'acte et ce que vit la victime. Dans ce dispositif, nous travaillons beaucoup sur les répercussions. Nous ne revenons pas sur les faits qui ont déjà été tellement répétés et jugés.”
 
Herenui Germain précise également que ce dispositif est peut-être même encore plus efficace sur des faits graves comme des viols incestueux que sur la petite délinquance car il y a “une réelle attente de réponse”.L'impact est aussi “sociétal” car l’objet de la justice restaurative est la paix sociale et la prévention de la récidive pour un “auteur qui va comprendre, conscientiser et pouvoir accéder à une part de responsabilisation”. Au final, ce dispositif, dans lequel le groupe de parole “se régule seul”, est un “cocon de dialogue” où tout est fait pour que “chacun trouve sa place”.  

“Leur laisser la maîtrise de la situation”

Cécile Moreau, directrice de l'Association polyvalente d'actions socio-judiciaires.
 
Selon vous, la société ou les acteurs de la justice ont-ils trop souvent tendance à se mettre à la place des victimes ?

“Instinctivement, nous grandissons et évoluons tous avec une certaine idée du bien et du mal, de ce qui se fait ou ne se fait pas et l'on a tendance à projeter sur les gens que l'on veut aider ou accompagner ce qui est bon ou pas pour eux. Or, c'est quelque chose qui peut leur nuire car nous ne sommes pas à la place des gens et il est important de leur laisser la maîtrise de leur situation, le choix sur ce qu'ils veulent engager comme procédure, thérapie ou pas. Sont-ils prêts ? Ils sont les mieux placés pour savoir où ils en sont. Être là, soutenir, accompagner mais surtout éviter de juger à leur place va leur permettre de se restaurer plus facilement.”
 
Avez-vous trouvé ce film juste quant à l'image qu'il renvoie de la justice restaurative ?

“Ce qui est bien dans ce film, c'est que nous ne sommes pas confrontés à des stéréotypes ni de victimes, ni d'auteurs. L'on voit des auteurs qui ont une attitude un peu fermée et agressive au départ et qui, petit à petit, parce que la communication est travaillée et le dialogue de nouveau possible, on les perçoit comme des personnes à part entière, des citoyens à part entière, des individus comme vous et moi qui ont eu une histoire de vie. Ils en sont arrivés à commettre une infraction mais l'on arrive à comprendre leur parcours. Et à partir du moment où l'on arrive à comprendre et à rétablir du dialogue, on arrive à passer à autre chose et à accepter un certain nombre de choses. On peut ne pas pardonner mais accepter et cela aide souvent les victimes à avancer que de comprendre les points de vue, les parcours et cela baisse leur niveau de peur. C'est rassurant et être rassuré permet d'avancer.”
 
Que répondriez-vous à ceux qui pourraient trouver ce dispositif trop naïf ?

“Je pense que ce qui est dangereux aujourd'hui – et ce qui fait du mal – ce sont les familles éclatées. En Polynésie, tout le monde le sait, nous avons un niveau de violences intrafamiliales et de violences sexuelles sur mineurs qui est énorme et bien supérieur à ce que l'on peut retrouver en métropole. Cela divise les familles. Des enfants se retrouvent dans des foyers parfois exclus de leur fratrie. Cela fait des femmes qui se sentent blessées car leur mari, en qui elles avaient toute confiance, les ont trahies. Cela fait aussi des pères ou des oncles et des frères qui sont complètement détruits car ils sont passés à l'acte et se rendent compte de la gravité de ce qu'ils ont fait. Ce n'est que de la destruction. Et là, l'idée est de reconstruire, de réparer, de réinstaller la communication et d'abaisser le niveau de tension. En faisant cela, on va limiter le risque de nouvelles violences.”
 

Rédigé par Garance Colbert le Mardi 18 Avril 2023 à 16:11 | Lu 1313 fois