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La démarche cavalière des députés Tavini à Paris


Tahiti, le 14 mai 2024 – À l’occasion du vote de la réforme constitutionnelle visant à élargir le corps électoral propre au scrutin provincial de Nouvelle-Calédonie, les députés Tavini à l’Assemblée nationale avaient préparé des amendements visant à modifier en profondeur la société polynésienne. Des amendements retirés en séance ; mais la démarche interpelle.
 
 
 
L’Assemblée nationale marche sur des braises depuis lundi à l’occasion de l’étude du projet de réforme constitutionnelle visant à élargir le corps électoral propre au scrutin provincial de Nouvelle-Calédonie. Un projet de loi qui a été voté vers 12 heures ce mardi, heure de Polynésie.
 
Sur le caillou, cette loi qui prévoit d’abaisser à 10 ans la durée de résidence pour pouvoir participer aux élections provinciales a mis le feu aux poudres après trois référendums d’autodétermination, tous favorables au maintien dans la République française, dont le dernier très décrié mené en pleine période Covid et boycotté par les indépendantistes.
 
Au cœur de ce texte lourd de conséquences pour la vie des Néo-Calédoniens, les députés de la Polynésie française ont tenté un coup politique en déposant plusieurs amendements qui visaient à apporter, alors qu’il s’agissait de travailler sur la constitution, des modifications profondes pour la Polynésie française. Un cavalier législatif évoqué par le passé, que le ministre des Outre-mer, Gérald Darmanin, avait déconseillé lors de son passage au Fenua en août 2023. “Nous sommes à l’écoute des demandes de modification du président Brotherson, mais qui ne peuvent pas être les mêmes que celles de la Nouvelle-Calédonie, qui correspondent à 20 ans de processus politique qui a abouti sur le choix de rester français”, avait-il alors déclaré.
 
Mais qu’importe, sans discussion préalable, sans prévenir et sans consultation de la population, les trois députés Tavini ont su convaincre des députés de l’opposition – prêts à tout signer pour peu que cela retarde les débats parlementaires à l’Assemblée nationale –, de se joindre à eux pour déposer plusieurs amendements qui réformeraient en profondeur la vie des Polynésiens. Une démarche législative qui correspond à de nombreux points du programme du Tavini lors des dernières élections territoriales.

Indépendance et durée de résidence

Les amendements déposés ont finalement été retirés par le député Le Gayic en séance lundi soir, forcé de constater qu’ils ne seraient ni votés, ni même étudiés.
 
Sur le fond, ces amendements mettaient en place de nouveaux articles au sein de la Constitution. “Le processus d’autodétermination et de décolonisation est mené sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies”, était-il proposé en article 90. “L’État met en place toute mesure nécessaire, notamment des programmes d’éducation politique relatifs au droit à l’autodétermination, pour favoriser l’accès des peuples de ces collectivités à leur droit à l’autodétermination.”
 
L’article 91 reprenait le combat de Tematai Le Gayic sur la citoyenneté Mā’ohi :“Dans le cadre du processus d’autodétermination et de décolonisation mentionné à l’article 90, pour chaque pays dit d’Outre-mer, une loi organique fixe les règles relatives à une citoyenneté propre.”
 
Faisant fi des débats et de la consultation de la classe politique, de la classe économique et surtout de l’avis de la population locale, le député allait même plus loin en incluant une durée de résidence. “En tout état de cause, la durée de résidence pour être considéré citoyen d’un de ces pays dits d’Outre-mer ne peut être inférieure à vingt ans”, proposait-il dans son amendement.

Les tāvana pris à revers

Les maires des communes de Polynésie ont eux-aussi été surpris de découvrir que les trois députés polynésiens ont aussi tenté de modifier en profondeur l’avenir des communes du Fenua.

Un amendement déposé demandait en effet que les communes, et surtout leurs compétences, soit transférées au Pays. Plus qu’une réorganisation, un véritable putsch dénoncé immédiatement par les autonomistes et le Syndicat pour la promotion des communes (voir par ailleurs). L’article 92 prévoyait d’ailleurs de que “la Polynésie française exerce une tutelle de droit sur les communes de la Polynésie française”.
 
Les amendements proposaient enfin que “le président de la Polynésie française est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une fois consécutivement”.
 
Retirés, ces amendements sont finalement relégués au rang de la science-fiction politique pour les députés polynésiens qui, voulant procéder de façon cavalière, se sont trompés de monture.

Autonomistes et tāvana outrés par la démarche
 
Premier à dégainer mardi : le groupe Tapura à l’assemblée de la Polynésie française n’a que peu apprécié la démarche parlementaire tentée par les députés à Paris : “Des propositions scandaleuses sur le fond et sur la forme”, explique un communiqué envoyé aux rédactions. Concernant les transferts des compétences des communes, le groupe rappelle que “les communes et leurs élus n’ont jamais exprimé une telle demande, encore moins été consultés”. “Le mensonge de nos trois députés est scandaleux, indigne et nauséabond”, ponctue la missive de l’opposition à Tarahoi.
 
Cette prise de position des députés s’ajoute, pour le Tapura, à la liste des décisions prises récemment sans consultation comme le retrait du férié du 29 juin ou le retrait du soutien de l’assemblée aux Marquises dans le dossier Unesco.
 
Quelques minutes plus tard, le Syndicat pour la promotion des communes de la Polynésie française écrivait lui aussi aux médias : “Indépendamment des difficultés exposées par l’amendement, il apparait en réalité que les communes et leurs élus n’ont jamais été consultés sur cet amendement et n’ont jamais demandé à ce que l’ensemble de ces compétences soient transférées au Pays”, précisait le communiqué.
 
Le Syndicat pour la promotion des communes regroupe l’ensemble des communes de la Polynésie française, exception faite des communes de Faa’a et Arue.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 14 Mai 2024 à 17:18 | Lu 6276 fois