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La communauté LGBT perd patience


Karel Luciani, président de l'association Cousins Cousines et Guillaume Colombani, trésorier de l'association
Karel Luciani, président de l'association Cousins Cousines et Guillaume Colombani, trésorier de l'association
Tahiti, le 20 décembre 2021 – L’association Cousins Cousines de Tahiti a été sélectionnée par le ministère des Outre-mer dans le cadre d’un appel à projets. L'occasion pour l’association qui lutte pour les droits de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles) de faire entendre son ras-le-bol.
 
Discrimination, exclusion, absence de tolérance… “Ça suffit !” enrage une affiche de propagande, mais aussi les membres de la communauté LGBT de Polynésie. L’association Cousins Cousines, comptant une trentaine de membres, existe depuis 2007 et lutte pour la cause des homosexuels et des transsexuels. Elle aimerait que les choses évoluent plus vite.
 
Dans cet objectif, Karel Luciani, président de l’association depuis 2018, a répondu à un appel à projets lancé par le ministère des Outre-mer, et a obtenu une dotation. Il a présenté lundi son projet de mise en place d'un plan d’urgence à destination de la communauté LGBT. Son projet est de créer des hébergements ou des centres d’accueil pour les homosexuels et/ou transsexuels qui se font rejeter voire exclure de leur foyer. Karel Luciani constate et regrette l'absence de structure dédiée à cette communauté peu visible, voire méprisée, en Polynésie.

La plupart des homosexuels et transsexuels rejetés par leur entourage finissent dans la rue et bien souvent, ils ne savent pas vers qui se tourner pour avoir des réponses. Le président de l’association explique : “Ils pensent être un problème dans la société. Ce n’est pas parce qu’on a l’impression que c’est accepté, que ça l’est réellement”. Un fait de société bien souvent ignoré selon Karel Luciani qui entend lutter pour cette cause : “Cela a du sens parce que ça engendre de la souffrance pour ces personnes, qui ne se sentent pas inclus dans la société”. De trop nombreuses victimes font encore l’objet de violences physiques ou morales en raison de leur orientation sexuelle. Karel Luciani a fait part d'une récente agression homophobe. Selon le président de l'association, le comédien Maxime Chery a subi une agression de ce type dimanche 19 décembre à Papeete. De la “méchanceté gratuite” additionnée à de la “non-assistance à personne en danger”. L’association s’est engagée pour soutenir le comédien dans ses démarches pour pouvoir porter plainte.
 

Des projets pas entendus
 
La loi interdit toutes formes de discrimination, mais l'homophobie reste un sujet sensible : “On ne rentre pas dans les critères ou dans les “cases” des dispositifs. On n’est jamais prioritaire”. L’association regrette de ne pas avoir eu accès à des subventions accordées par le Pays. Elle s’est donc vue dans l’obligation de demander de l’aide à l’échelle nationale (voir encadré).
 
Karel Luciani et Guillaume Colombani, trésorier de l’association, ont de nombreux projets d'avenir. Ils souhaitent par exemple pouvoir intervenir dans les établissements scolaires afin de sensibiliser les élèves dès le plus jeune âge, obtenir un numéro vert pour les jeunes homosexuels et/ou transsexuels en détresse, faire que la procréation médicalement assistée pour les LGBT soit accessible au fenua et désigner un référent LGBT au sein des services d’autorité, comme en métropole.

Les institutions publiques telles que la Direction générale de l'éducation et des enseignements (DGEE) n’a donné aucune réponse aux demandes de collaboration de l’association. Elle a aussi proposé à la Maison de la culture des livres de jeunesse qui évoquent l’homosexualité ou la transsexualité, sans beaucoup plus de succès. Par exemple, les livres proposés ont des titres tels que : Jean a deux mamans ; Daddy, Papa and me ou encore Marre du rose. Karel Luciani condamne ces rejets et ce manque de volonté des structures de jeunesse : “Ces livres n’ont rien de sexuel. J’ai eu l’impression qu’ils ont pris ça pour de l’incitation à l’homosexualité, alors qu’il s’agit juste d’informer”. Il pense que le manque de tolérance est dû au manque d’information et de sensibilisation à ce sujet, et aimerait que les différences soient accueillies dans la société au lieu d’être rejetées. Les LGBT, ne sachant pas vers qui se tourner pour en parler, s’effacent.
 
Seul rayon de soleil dans les sollicitations de Cousins Cousines, le retour positif de Chantal Galenon, présidente du Conseil des femmes de Polynésie, qui accepte de soutenir la cause et d'œuvrer pour que les victimes se fassent entendre. Karel Luciani tient également à rappeler l’égalité des genres et souhaite mettre fin à aux “étiquettes” qui sont des clichés de la société. Notamment ceux de l’orientation religieuse fortement chrétienne de la Polynésie, qui prône l’hétérosexualité : “J’entends souvent : Dieu a créé Adam et Eve, et non Adam et Yves”.
 

“Une évolution dans les mentalités”
 
Karel Luciani a quand même des raisons de se réjouir. Il note que les mentalités changent et que de plus en plus de personnes font preuve de tolérance. Il remarque : “Au moment où la loi pour le mariage pour tous a été annoncée, ça a fait polémique. Maintenant, de plus en plus de gens félicitent les mariés ou les mariées. C’est devenu normal et les gens l’acceptent et s’en réjouissent même”. Cette évolution est notamment due aux lois instaurées, ce qui donne plus de droits à la communauté LGBT, même s'il reste des progrès à faire.

Karel Luciani se félicite par exemple des efforts de l’université de la Polynésie française qui a accepté la participation d’une élève transsexuelle à l’élection Miss UPF. Comme référence, il cite également la personnalité de Khaleesy, qui a effectué les démarches nécessaires pour son changement de nom auprès de l’État civil. Selon Karel Luciani, les adhérents à la communauté LGBT devraient se référer à ces personnages exemplaires qui ont fait preuve de courage pour assumer leur orientation sexuelle, qui fait également partie de leur personnalité.
 

L'aide de la Dilcrah
 
L’association Cousins Cousines a obtenu du ministère des Outre-mer une subvention de 1,67 million de Fcfp. Elle permettra d'aider des membres exclus de leur foyer du fait de leur orientation sexuelle.
Les projets retenus par le ministère des Outre-mer s’inscrivent dans les objectifs du “Plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2020-2023” de la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT+). La Dilcrah accompagne 17 projets dans les Outre-mer. La Polynésie française y est éligible depuis 2018.
Ses objectifs sont :
  • Libérer la parole dans les territoires, notamment par la création ou le renforcement d’espaces d’écoute
  • Former les bénévoles et professionnels susceptibles d’interagir avec le public LGBTI+
  • Orienter et accompagner les victimes de haine anti-LGBTI+, y compris en termes d’insertion socio-professionnelle
  • Renforcer les actions de sensibilisation et de prévention, notamment en milieu scolaire, universitaire et professionnel pour déconstruire la haine anti-LGBTI+

Rédigé par Meleana CHE FAT le Mardi 21 Décembre 2021 à 15:28 | Lu 5123 fois