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La Réunion veut sortir du piège du "coma circulatoire"


Crédit Richard BOUHET / AFP
Crédit Richard BOUHET / AFP
Saint-Denis de la Réunion, France | AFP | samedi 10/05/2024 - Chaque jour, des dizaines de milliers de Réunionnais sont coincés dans des embouteillages dantesques, au point de faire craindre un "coma circulatoire". Après des années à privilégier le "tout-automobile", les collectivités locales tentent d'éviter le pire.

Habitante de Sainte-Suzanne, une commune de l'est de la Réunion à 19 kilomètres du chef-lieu, Saint-Denis, Hélène Ethève est agacée: cette assistante de direction vient de passer 57 minutes, pour arriver sur son lieu de travail.

"C'est l'angoisse tous les matins, je ne sais jamais à quelle heure je vais arriver", soupire-t-elle, se souvenant de l'époque où il lui fallait vingt minutes.

"Maintenant, c'est au minimum 45 minutes et encore, c'est quand tout va bien. Sinon, c'est facilement 1h00, voire 1h30 dans les embouteillages".

La raison ? Le "coma circulatoire" que craignent les Réunionnais. Alors que l'île de l'océan Indien compte plus de 870.000 habitants et connaît une croissance démographique dynamique, les conditions de déplacement ne cessent de se dégrader à mesure qu'augmente le parc automobile.

Car la voiture, à La Réunion, est une affaire sérieuse. Dans une île dont 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté, "l'acquisition d'une voiture personnelle représentait un défi jusqu'à très récemment et ça fait beaucoup partie de la culture locale d'obtenir son propre véhicule", explique Ernest Le Blay, chargé des mobilités à l'Ademe (agence de la transition écologique) de La Réunion.

"Saturation" 

En 2023, l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iédom) y dénombrait plus de 422.000 véhicules particuliers, auxquels s'ajoutent près de 30.000 véhicules neufs vendus chaque année.

"Et le taux d'équipement des ménages n'a pas encore rattrapé la France hexagonale", rappelle à l'AFP Patrice Boulevart, vice-président du conseil régional chargé de la mobilité.

Les prévisions tablent sur 560.000 à 580.000 véhicules à l'horizon 2035: "cela signifierait pour nous la saturation aux heures de pointe de l'ensemble des réseaux de l'île".

Conscients du danger tout en rappelant à l'envi que les embouteillages ne sont pas une spécificité réunionnaise, les collectivités, emmenées par la région, ont lancé en 2023 des "Etats généraux de la mobilité".

Leur restitution en février a montré l'importance du sujet pour les Réunionnais. Quelque 11.000 contributions ont été recueillies et une solution plébiscitée: le retour du train, demandé par 77% des répondants.

Le train, c'est un serpent de mer sur l'île, déjà dans les cartons au début des années 2000.

Son premier tronçon avait même une date d'entrée en service: 2013. Mais en 2010, le nouveau président de la région, Didier Robert (DVD), décidait de privilégier la Nouvelle route du littoral (NRL).

Projet splendide mais dispendieux, ce viaduc autoroutier posé sur l'océan, entré partiellement en service en 2022, conçu pour désengorger un axe routier vital du nord de l'île, a été étrillé par la chambre régionale des comptes.

"Tram-train" 

Son coût total, estimé à 2,5 milliards d'euros pour seulement 12,5 km, lui vaut le surnom de "route la plus chère du monde".

Selon une source proche du dossier, la deuxième portion de la NRL, dont les travaux débutent seulement, coûtera encore 800 millions d'euros à la région.

Un investissement qui n'empêche pas les élus de militer pour la construction d'une ligne de train, espérant profiter du plan ferroviaire de 100 milliards d'euros annoncé en 2023 par le gouvernement.

"Notre objectif est d'avoir un tram-train entre Saint-Benoît (sud-est) et Saint-Joseph (sud-ouest). C'est l'objectif à long terme (...) mais il faut commencer tout de suite", explique la présidente de la région, Huguette Bello, qui assure que "les Réunionnais ne sont pas servilement attachés à leur voiture".

Mais le train seul ne suffira pas: La Réunion doit créer sur l'île un véritable maillage de transports en commun. C'est l'autre enseignement des états généraux: plus de la moitié des Réunionnais ne les ont jamais empruntés.

Du côté des collectivités, on vante 24 km de voies réservées aux bus ouverts récemment.

Une goutte d'eau, au regard des plus de 1.000 km de routes réunionnaises, et pas de quoi convaincre Jean-René, vendeur dans un magasin de prêt-à-porter en périphérie de Saint-Denis, pris lui aussi dans les bouchons.

"Il y a bien des petites portions de voies réservées aux bus par-ci par-là, mais dans la plupart des cas eux-mêmes sont pris dans les embouteillages", dit-il.

le Lundi 13 Mai 2024 à 07:41 | Lu 921 fois