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La Chambre Territoriale des Comptes épingle les dépenses de l’Équipement de 2008 à 2012


Le tunnel du Trou du Souffleur est cité dans le rapport pour un retard abusif
Le tunnel du Trou du Souffleur est cité dans le rapport pour un retard abusif
PAPEETE, le 25 aout 2014 - La Chambre Territoriale des Comptes a rendu ce lundi son rapport sur les dépenses de l’équipement en Polynésie française sur la période 2008 - 2012. Marquée par la valse des ministres, la période brille par un certain amateurisme au ministère qui cumule de mauvaises procédures, des travaux défectueux payés sans vérification, des changements de dernière minute qui coûtent une fortune…

Un peu après la bataille, un rapport de la Chambre Territoriale des Comptes (CTC) éclaire les dysfonctionnements qui ont frappé le ministère de l’Équipement de 2008 à 2012. Des problèmes difficilement attribuables à un ministre précis, puisque pas moins de 6 gouvernements se sont succédé sur la période, portant au pouvoir chacun des principaux partis locaux – seuls ou en coalition.

Outre des problèmes d’organisation interne qui entrainent « des non-conformités importantes en termes de respect des délais », c’est le cœur même de la mission du ministère qui a été pris en défaut. Chargé d’assurer la réalisation de grands travaux publics avec la meilleure qualité au juste coût, l’Équipement a de nombreuses fois failli à réaliser des appels d’offres efficaces : « pour des marchés importants (revêtements de chaussée, carrefour de la mairie de Punaauia, tunnel du trou du souffleur, col du Tahara’a…) la direction de l’équipement a fait face à un nombre très réduit voire à une seule offre émanant d’un groupement composé d’un grand nombre d’entreprises… La diminution de la taille de certains marchés pourrait permettre de stimuler la concurrence. » Ou comment éviter de se faire manipuler par le privé. D’autant que l’Équipement n’est pas très sévère avec les entreprises : « les pénalités de retards ne sont jamais facturées aux titulaires des marchés. »

Pire, certaines entreprises compétitives ont parfois été écartées d’un appel d’offres sans justification : « certains rejets de candidature peuvent paraître difficiles à expliquer, entrainant de possibles risques juridiques et financiers... Le rejet abusif d’offre ne permet par ailleurs pas de garantir à la collectivité l’achat au meilleur prix. En cela, il constitue une faute de gestion. »

L’aérodrome de Hiva Oa

Parmi les plus gros dossiers de la période épluchés par la CTC se trouve la construction de l’aérodrome de Hiva Oa. Prévu pour 800 millions de francs cfp initialement, un changement d’orientation et un raccourcissement de la piste (jamais expliqués selon les sages), deux semaines après la signature définitive des contrats, rajouteront presque 500 millions Fcfp de travaux. Au-delà de ce surcoût, les trois marchés de l’aérodrome ont été « caractérisés par d’importants désordres comme l’affaissement de talus trouvant leur origine dans la modification des travaux demandés, et par de nombreuses défaillances au niveau du contrôle interne et de la surveillance des travaux » note le rapport. Ayant assuré la maitrise d’œuvre en régie, la direction de l’équipement assume la responsabilité de ces défaillances et surcoûts explique le rapport dans un langage très diplomatique.

Parmi les fautes relevées lors de la construction de l’aérodrome, la CTC épingle :
- de nombreuses mesures de compacité des remblais n’ont pas été réalisées alors même qu’elles étaient prévues et qu’elles ont été remboursées forfaitairement, et de façon très surévaluée
- les non-conformités détectées par le LBTPP n’ont pas fait l’objet d’un suivi permettant de s’assurer que les travaux livrés étaient conformes à ceux commandés
- les travaux ont été réceptionnés avec des réserves (reprise des remblais) qui n’ont été notifiées qu’un an plus tard et après la fin desdites réserves. Ces réserves ont par ailleurs été levées sans que quiconque ne se déplace pour constater la réalité des travaux
- Le troisième marché, enfin, se caractérise par une livraison de travaux non conforme aux engagements contractuels

Abris anticycloniques : le prix de la cuve était multiplié par 10

Autre gros marché, portant sur 3 milliards de francs, la construction de nombreux abris anticycloniques dans les îles sur la période a fait l’objet de beaucoup d’appels d’offres auxquels les entreprises ont répondu avec un beau manque de sérieux, que l’Équipement a laissé passer sans coup férir :

« Il a été remarqué qu’au-delà de fréquentes erreurs de saisie dans les offres reçues, dont certaines corrigées par l’équipement, celles-ci comportaient d’importantes variations de prix d’un marché à l’autre y compris pour des équipements standards et récurrents (citernes à eau, tube PVC, prises de courant…). Ces variations allaient jusqu’à des facteurs 10... » Par exemple, pour l’abri de Tatakoto « les citernes proposées par (une entreprise) étaient manifestement surévaluées. Celles-ci étaient en effet présentées à 1,25 MF CFP l’unité alors que l’entreprise chiffrait les mêmes citernes souples de 4000 litres, à 208 kF CFP pour la construction de l’abri de Tikehau. »

Pareil pour le transport du matériel par bateau, qui peut représenter jusqu’à 40% du coût des travaux : « les écarts très importants (allant de 1 à plus de 100) montrent que les prix proposés par les différentes entreprises ne couvrent manifestement pas les mêmes coûts et que certains incluent bien plus que le simple transport des matériels. »

Pour se justifier, la direction de l’équipement a expliqué au CTC par courrier « accorder de l’importance au prix forfaitaire du marché et non à l’analyse des différents postes le constituant. » La chambre note « qu’en agissant ainsi la direction de l’équipement ne tient finalement pas compte d’informations qu’elle demande pourtant aux candidats de lui fournir. »

La valse des ministres
Quatre hommes politiques se sont relayés 6 fois aux manettes du ministère de l’Équipement de 2008 à 2012 :
- James Salmon (gouvernement Temaru d’union avec le Tahoeraa) dès le 18 septembre 2007
- Moehau Teriitahi (gouvernement Tong Sang) dès le 19 avril 2008
- James Salmon et Jonas Tahuaitu (gouvernement Temaru) dès le 16 février 2009
- Tearii Alpha (gouvernement d’union Temaru avec To Tatou Aia) dès le 28 novembre 2009
- Tearii Alpha (gouvernement Tong Sang) dès le 28 novembre 2009
- James Salmon (gouvernement Temaru) dès le 5 avril 2011

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 25 Août 2014 à 17:16 | Lu 2987 fois