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L'identification criminelle : le fenua aussi a ses experts


L'adjudant-chef Maraeauria, dit Vito (à g.), chef des TIC de la gendarmerie pour la Polynésie française.
L'adjudant-chef Maraeauria, dit Vito (à g.), chef des TIC de la gendarmerie pour la Polynésie française.
PAPEETE, le 22 mars 2016 - Et ils n'ont rien à envier aux américains. Quatre gendarmes œuvrent à plein temps, disponibles sept jours sur sept et 24 h sur 24, à la résolution rapide des affaires criminelles ou délictuelles les plus graves. Morts violentes, relevés d'empreintes et prélèvement ADN, autopsies, enquêtes au long cours, disparitions inquiétante, ils sont intervenus plus de 500 fois l'année dernière.


Popularisée au début des années 2000 avec la prolifération des séries télévisées du type Les Experts, la police scientifique n'est pas l'apanage des américains. Et la Polynésie française n'est pas en reste. Quatre techniciens en identification criminelle, les "TIC", travaillent à plein temps sur les affaires criminelles les plus sensibles qui frappent chaque année le fenua : "On peut être sur un incendie ou un suicide suspect le matin, et sur un homicide le soir". A Tahiti comme dans les archipels les plus éloignés dans leur zone de compétence.

Accueillis comme des "sauveurs" ou des "magiciens", ils sont en général parmi les premiers sur les scènes de crime et leur travail de relevé d'indices, professionnel et minutieux, est "fondamental pour les suites des investigations et de l'enquête" martèle l'adjudant-chef Maraeauria, dit Vito, le "TIC" en chef de la gendarmerie pour la Polynésie française. "Et contrairement aux séries télés, où alors ils sont très, très bons, on ne résout pas une affaire en trois quart d'heure. Il faut arriver sur place sans idées préconçues, se dire qu'une scène ou tout montre qu'il s'agit d'un suicide peut-être un crime, et inversement. Aujourd'hui les aveux ne suffisent plus, il faut des preuves matérielles".

Une scène de crime, c'est une centaine de prélèvements

Loin d'être les parents pauvres de la discipline, comme l'éloignement avec la métropole pourrait naïvement le laisser penser, les techniciens de l'identification criminelle de la gendarmerie ont à leur disposition toutes les dernières technologies en la matière. Le service à ses propres locaux au rez-de-chaussée de la caserne Bruat, à Papeete. Il n'est pas rare de croiser leur véhicule sérigraphié, véritable laboratoire ambulant, se faufiler dans la circulation.

"Scène de crime, suicides, incendies, découverte de cadavre, nous devons pouvoir intervenir à tout moment sur tout ce qui peut correspondre à une mort violente", poursuivent Vito et ses acolytes, l'adjudant Janny et les adjudants-chefs Gensous et Ibanez. Mobilisable dans la minute, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, à Tahiti comme au fin fond des archipels, ils ne se déplacent jamais sans leur précieuse valisette noire. A l'intérieur, tout le matériel nécessaire pour relever le moindre indice et conserver leurs prélèvements : sang, tissus organiques, salive, empreintes papillaires…

Rigoureux, méticuleux, ils doivent être dotés d'une excellente qualité d'observation et d'analyse. Formés à la photo et à la vidéo, ils immortalisent dans ses moindres détails une scène de crime qu'ils se seront auparavant appliqués à "geler" comme on dit dans le jargon : "Il faut tout figer pour éviter que des personnes ou des éléments extérieurs à la scène ne polluent les lieux, déplacent ou fassent disparaître des indices. Une scène de crime, c'est en moyenne une centaine de prélèvements". Il en va de la suite de l'enquête, jusqu'à la décision finale en bout de chaîne, lors des procès.

"Devant une cour d'assises, c'est nous qui défendons nos investigations" ajoute l'adjudant-chef Maraeauria. "Nous sommes susceptibles d'intervenir tout au long de la vie du dossier. Bien conservés, des prélèvements peuvent toujours faire avancer une enquête. Nous l'avons vu récemment ici avec l'affaire Rachel Aberos (le meurtrier de cette adolescente de 15 ans, en 1987 à Papeete, avait été démasqué 23 ans plus tard, en 2010, confondu par des prélèvements ADN effectués sur lui en 2008 dans le cadre d'une autre affaire, NDLR)".

Avoir le cœur bien accroché

Confrontés au quotidien à la mort, les TIC ne choisissent pas cette spécialisation par hasard. "Il faut avoir le cœur bien accroché", poursuit Vito. "Chacun réagi différemment mais c'est parfois difficile, en particulier quand ces affaires concernent des enfants. C'est humain. Nous assistons aussi à toutes les autopsies, pour réaliser les photos. C'est nous qui nous chargeons de la levée des corps sur le terrain. Nous sommes formés à l'entomologie, l'étude des insectes, qui nous permet de dater la mort. Souvent les corps ne sont pas en très bon état. Ce n'est pas facile de trouver des volontaires ! Beaucoup sont rebutés par la manipulation de cadavre par exemple. On revit les scènes trois à quatre fois, des investigations jusqu'au procès. Ce n'est pas évident. Mais nous devons voir la victime comme un élément objectif du dossier, se borner aux constatations matérielles, concrètes".

A l'instar de la métropole ou la pratique est généralisée, un psychologue devrait d'ailleurs être prochainement mis à la disposition des TIC de Polynésie française pour assurer un soutien et un suivi qui paraissent nécessaires.

S'ils ne dévoileront pas toutes leurs techniques, sachez enfin que les TIC de Polynésie française sont équipés pour faire parler le moindre indice. Et de plus en plus rapidement. Si des prélèvements doivent encore être envoyés en métropole pour des analyses plus poussées, l'essentiel du travail peut-être fait localement. Et la science évolue à vitesse grand V au service de la police scientifique. "Quand nous avions besoin d'une centaine de cellules il y a quelques années pour établir un profil génétique et trouver une identité, une seule nous suffit aujourd'hui" révèle l'un de ces spécialistes.

Du Blue Star, ce révélateur qui permet entre autre de faire apparaître des traces de sang en milieu dégradé parfois des années après les faits, aux dernières techniques de relevés d'empreintes, les criminels n'ont qu'à bien se tenir : "L'époque où il fallait que le suspect laisse une trace de doigt sur une vitre ou une tasse à café est révolue" poursuit un membre de l'équipe. Même un couteau qui aurait baigné dans l'eau pendant des jours peut aujourd'hui livrer quelques secrets.

A noter que si les TIC consacrent toute leur activité à la police scientifique, chaque brigade dispose d'un gendarme référent formé à ces techniques, le TICP, technicien en identification criminelle de proximité.

Une formation à la pointe

Une centaine de prélèvements sont effectués, en moyenne, sur une scène de crime. Il en va de la suite des investigations.
Une centaine de prélèvements sont effectués, en moyenne, sur une scène de crime. Il en va de la suite des investigations.
Depuis sa création, en 1987, le centre national de formation de police judiciaire a formé plus 1500 techniciens en identification criminelle*. L'enseignement dispensé a pour objet de préparer le TIC à un certain nombre de missions comme :

- Organiser les constatations sur une scène de crime ;
- Effectuer des opérations complexes en respectant les protocoles ;
- Eclairer les directeurs d'enquête et les magistrats sur les possibilités techniques et scientifiques ;
- Assurer les liaisons entre les enquêteurs et les laboratoires ;
- Témoigner en justice.

Le technicien en identification criminelle doit s'approprier les techniques photographiques numériques (savoir faire ressortir à l'aide de la photographie l'élément matériel relevé sur une scène d'infraction) ; les techniques d'identifications (état des lieux, empreintes digitales, marques et traces, balistique, entomologie, incendie et explosifs, biologie et toxicologie) ; médecine légale (notions générales, assistance à autopsie) ; procédure pénale (rédaction du procès-verbal de transport, constatations, mesures prises).

*Source gendarmerie nationale

Cold Case

Révélateurs chimiques, microscopes binoculaires, les techniques modernes permettent de faire parler les objets les plus dégradés.
Révélateurs chimiques, microscopes binoculaires, les techniques modernes permettent de faire parler les objets les plus dégradés.
Bien conservés ou répertoriés dans les fichiers nationaux, comme le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) par exemple, les prélèvements matériels et génétiques effectués par les techniciens de l'identification criminelle peuvent résoudre des affaires des années après les faits, comme l'a montré dans un passé récent l'affaire Rachel Aberos.

Le meurtrier de cette adolescente de 15 ans, tuée en 1987 dans le quartier de la Mission à Papeete, avait été démasqué 23 ans plus tard, en 2010, confondu par des prélèvements ADN effectués sur lui en 2008 dans le cadre d'une autre affaire de violences.

Les TIC travaillent aussi au long cours et n'oublient pas plusieurs affaires non résolues comme la disparition de JPK, celle du marin Dominique Petit et de ces deux enfants en bas-âge enlevés sur son bateau en 2010, Francis Depetris, dont le corps n'a jamais été retrouvé après sa disparition mystérieuse en 2013 à Moorea, ou encore le cas d'un retraité volatilisé sans laissé de traces dans la montagne à Tahaa.

Au chapitre des affaires remarquables qu'ils ont eu à traiter, les TIC du fenua retiendront notamment l'assassinat du touriste allemand Stefan Ramin aux Marquises, la découverte et l'identification du corps de papi Fat, retrouvé enterré dans les bois à Titioro quatre ans après sa disparition après une agression qui a mal tournée, ou encore la traque de l'assassin de la jeune Lindsay Achart à Orofara, et dont l'ADN était inconnu au départ. "Le plus tôt c'est le mieux", sourit l'adjudant-chef Maraeauria, mais en matière de police technique et scientifique, "il n'est jamais trop tard".

L'identification criminelle : le fenua aussi a ses experts

Rédigé par Raphaël Pierre le Mardi 22 Mars 2016 à 06:00 | Lu 3135 fois