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L'assemblée adopte la révision de la loi organique, Michel Buillard s'alarme du "fossé" qui se creuse entre le Fenua et la métropole


L'assemblée adopte la révision de la loi organique, Michel Buillard s'alarme du "fossé" qui se creuse entre le Fenua et la métropole
Le député Michel Buillard est intervenu ce mercredi 29 juin à l'assemblée national dans le cadre de la discussion du projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française ( rapport disponible ICI


Dans cette intervention. il s'alarme du "fossé d’incompréhension s’est creusé entre les représentants élus de la Polynésie française et l’Etat" sur la question de la réforme de la loi organique de la Polynésie française, mais pas seulement. Voici son intervention dans son intégralité.

Madame la Ministre,
M. le Président,
Mes chers collègues,

Depuis 2004 la Polynésie française connaît une certaine instabilité politique.
Cette instabilité est évidemment préjudiciable à notre développement mais elle ne doit pas servir de prétexte à des décisions unilatérales prises sans concertation avec les représentants élus de la Polynésie française que nous sommes.
Et il est symbolique que ce texte soit examiné un 29 juin car le 29 juin est la date à laquelle nous célébrons chaque année en Polynésie notre autonomie. Enfin le 30 ici mais en Polynésie nous sommes toujours le 29.

Je pense, chers collègues, que vous connaissez les conditions dans lesquelles la Polynésie a pu obtenir son autonomie. De même que vous connaissez les conditions dans lesquelles les expériementations nucléaires ont été imposées en Polynésie française. Le choix s'est porté sur la Polynésie française pour des raisons que nous connaissons tous. La population a-t-elle été consultée ? Non.
Faut-il considérer que nous avons pu obtenir notre Autonomie grâce à la bombe ? Je n’ose imaginer que les hauts responsables de l’Etat aient eu de telles arrières pensées.

Notre autonomie est unique au sein de la République française.

L’entrée de la Polynésie dans le monde moderne, dans la société de consommation, correspond à une évolution récente que les Polynésiens ont dû assumer avec toutes les difficultés que l’on imagine.

La France est devenue une grande puissance nucléaire et elle siège ainsi au conseil de sécurité de l’ONU.

Ce qui permet à la France de jouer un rôle dans l’équilibre géo-politique de la région Pacifique.


Je m’étonne donc que l’ancien Président de la République oublie de saluer, dans le 2ème tome de ses mémoires, la contribution du Fenua à la politique de dissuasion nucléaire de la France.
Car ces essais ont suscité des vagues de protestation contre la France, notamment en Nouvelle-Zélande en Australie, ce qui a porté préjudice à nos relations avec nos cousins du Pacifique. Car qui a procédé à la normalisation des relations avec ces pays ? C’était un Tamarii du Fenua, secrétaire d’Etat au Pacifique sud !

D’ailleurs, petit clin d’oeil de l’histoire, samedi prochain, le 2 juillet, sera dévoilé à Papeete une plaque commémorant le 45ème anniversaire du 1er essai nucléaire aérien en Polynésie française, Aldébaran, le 2 juillet 1966.

De même, j’aurais aimé qu’en cette « Année des outre-mers », comme je le demande depuis 2005 aux ministres de la Défense, un hommage beaucoup plus appuyé soit rendu à l’engagement, passé et présent, des Tamarii Tahiti, les soldats de Polynésie.

Certes, la Polynésie française a bénéficié des transferts financiers de la métropole. Mais dans le cadre d’une économie artificielle, basée sur l’industrie de la Bombe, plus que d’un véritable partenariat de développement.
En quelques années, les Polynésiens ont dû subir une véritable révolution économique et sociale, passant d’une économie rurale et autosuffisante à une société moderne et artificielle de consommation.

C’est grâce à l’esprit de résilience, d’adaptabilité, d’accueil et de tolérance des Polynésiens que cette véritable révolution a pu se mettre en place, sans trop de heurts dirons-nous.
Mais le gouvernement central ne doit pas oublier son rôle déterminant dans le développement économique de notre Pays, pas plus que ses obligations d’accompagnement social envers chaque citoyen de la République française.

2011...Quel Bilan ?

Depuis quelques temps, nous constatons qu’un fossé d’incompréhension s’est creusé entre les représentants élus de la Polynésie française et l’Etat.

Pour ne citer que quelques exemples récents : la proposition de loi sur la réforme des communes de Polynésie française, le retrait des forces armées, la suppression du CAPES de tahitien, la construction sans cesse reportée du centre pénitentiaire : mon premier RV avec le gouvernement à ce sujet date de 2003 ! Et tant d’autres dossiers...
Sans oublier bien sûr le texte que nous allons examiner aujourd’hui sur le fonctionnement de nos institutions.

En mai dernier, nous avons appris avec stupéfaction, la suppression des postes offerts au CAPES de tahitien par le ministre de l’éducation nationale. Cette décision a provoqué un véritable tollé en Polynésie française où la langue tahitienne, le reo ma’ohi, est au cœur de notre identité, non seulement en Polynésie, mais également dans tout le Pacifique.
Le tahitien est enseigné en Polynésie, mais également dans les meilleures universités de la région Pacifique : université de Manoa à Hawaii, universités de Nouvelle-Zélande et Institut des Langues Orientales à Paris.
Le ministre de l’éducation de la Polynésie a confirmé avoir besoin d’une douzaine de postes d’enseignants sur les prochaines années.
Les langues régionales ont été inscrites au titre du patrimoine de la République lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008.
Les élus Polynésiens ont écrit au ministre de l’éducation nationale. Les étudiants, les enseignants, les académies, les associations ont organisé plusieurs rassemblements. Le haut-commissaire s’est engagé à faire remonter l’information auprès du gouvernement central.
Nous sommes le 29 juin, la cloture des inscriptions pour le CAPES 2012 est prévue pour le 12 juillet 2011. Le temps nous est compté.
AUCUNE RÉACTION DES MINISTERES CONCERNÉS, éducation nationale et outre-mer, pour répondre aux inquiétudes des étudiants, des professeurs, des académies, des associations, des élus Polynésiens.

Il y a quelques semaines, les diplômés de Polynésie du CAPES 2010, se sont vu signifier leur affectation en métropole. Dois-je rappeler les engagements du Conseil Interministériel de l’outre-mer en novembre 2009 : « Permettre l’émergence d’une fonction publique plus représentative du bassin de vie qu’elle administre. L’objectif est de favoriser, dans le respect des principes républicains, les affectations des ultramarins dans leur département et les promotions sur place, en assouplissant certaines disposition statutaires ».
Les représentants de l’Etat en Polynésie française, ont justifié leur décision au nom de la « mobilité des fonctionnaires ».

Sans considération pour les compétences de la Polynésie en matière d’éducation, puisqu’il est prévu que « la mise à disposition de personnels enseignants, d’éducation et d’orientation de l’Etat est subordonnée au choix effectué par le ministre de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche de cette collectivité d’outre-mer parmi toutes les candidatures qui lui auront été soumises ». (BO Ministère Education nationale 4 novembre 2010).
Sans considération pour la politique du gouvernement de favoriser « l’océanisation des cadres » dans les collectivités d’outre-mer.

En revanche, puisque le représentant de l’Etat nous parle de mobilibité, davantage de « mobilité des fonctionnaires » et « d’océanisation des cadres » seraient souhaitables à l’université de la Polynésie française où les enseignants, en vertu du décret n°96-1026 du 26 novembre 1996, sont nommés à vie.
En février et mars 2011, les élus de l’Assemblée de la Polynésie française, toutes tendances politiques confondues, ont demandé des « sanctions exemplaires » à l’encontre de certains enseignants de l’université.
Le président de la Polynésie française a écrit le 17 février 2011 une lettre à la ministre de l’enseignement supérieur pour lui faire part de son indignation, je le cite :
« Les enseignants du supérieur sont normalement envoyés en Polynésie française pour certes, transmettre leur savoir, mais aussi apprendre de la culture polynésienne. Au lieu de cela, j’ai constaté avec émoi qu’au moins deux d’entre eux ont fait preuve de mépris à l’égard des étudiants polynésiens et des Polynésiens en général.
Vous savez que le juge administratif condamne fermement les propos à caractères racistes tenus par des agents publics. (...) Aussi je vous demande, Mme la ministre, de donner à cette affaire les suites qui permettront de ramener le calme à l’université et la sérénité aux Polynésiens ».
AUCUNE RÉACTION DES MINISTERES CONCERNÉS, enseignement supérieur et outre-mer, pour répondre à l’indignation des étudiants, des enseignants, des élus Polynésiens.

Réforme des communes : une lettre des maires de Polynésie, toutes tendances politiques confondues, est envoyée pour demander un délai dans l’application de la réforme en raison des contraintes budgétaires qui pèsent sur nos communes.
Les communes de Polynésie sont affectées par la crise et la perte des recettes qui en découle.
Les crédits de l’Etat aux communes se sont réduits d’année en année.
Sans les transferts financiers adéquats, la mise en place de la nouvelle fonction publique communale sera difficile.
AUCUNE RÉACTION DU MINISTERE CONCERNÉ, l’outre-mer, pour répondre aux attentes des maires Polynésiens.

Retrait des forces armées de la Polynésie française : après une campagne médiatique sur la rétrocession des terrains occupés par l’armée aux communes de Polynésie, nous constatons que les dossiers de certaines communes aboutissent, d’autres non.
Avec toutes les circonvolutions d’usage, l’Amiral m’a fait savoir qu’AUCUN terrrain militaire ne serait rétrocédé à Papeete, capitale de la Polynésie, dont je suis le maire.
AUCUNE RÉACTION DES MINISTERES CONCERNÉS, défense et outre-mer, pour répondre aux attentes des maires Polynésiens.

Sans parler des interventions diverses qui sont restées lettres mortes.
Même nos anciens combattants ont dû attendre d’avoir 94 ans pour enfin se voir décerner leur Légion d’honneur en remerciement des services rendus à la France !

Nous en arrivons au texte d’aujourd’hui sur le fonctionnement des institutions de la Polynésie française.

Le 13 avril 2011, l’Assemblée de la Polynésie française a rendu un avis réservé sur ce projet de loi organique.
A l’unanimité des groupes politiques qui la composent, autonomistes et indépendantistes, il a été demandé au gouvernement de prendre en compte les modifications proposées, notamment sur les conditions d’adoption des motions de défiance et de renvoi.
Ces modifications unanimes font l’objet de mes amendements à l’article 2, alinéas 4, 5 et 10, et aux articles 10 et 11.

Au début du mois, j’ai mené une délégation composée de tous les partis politiques autonomistes polynésiens. Et vous n’ignorez pas qu’il n’était pas aisé de réunir autour d’une même table des personnalités autonomistes aussi diverses que le Sénateur Gaston FLOSSE, l’ancien Président Gaston TONG SANG, Mme Nicole BOUTEAU ou M. Jean-Christophe BOUISSOU.
Mais nous avons su faire taire nos divergences pour nous rassembler et faire des propositions communes dans l’intérêt de notre Pays. Notre délégation a rencontré les présidents de la commission des lois et du groupe UMP de notre Assemblée, ainsi que le rapporteur, Didier QUENTIN, pour leur faire part de notre opposition à certaines dispositions du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.
Nos propositions, élaborées en concertation, font l’objet de mes amendements à l’article 1er et à l’article 2 alinéa 7.

Espérons que, cette fois, que vous saurez écouter les élus polynésiens, toutes tendances politiques confondues, que nous sommes.

Car lorsqu’il s’agit de l’intérêt supérieur de notre Fenua, de notre Pays, de Tahiti Nui, de la Polynésie française, tous les Polynésiens savent se rassembler au nom de l’intérêt général.

Car la défense de notre identité, le besoin de respect de notre Autonomie deviennent encore plus forts en temps de crise.

La relation de confiance entre les élus Polynésiens et le gouvernement central est mise à mal par certaines attitudes condescendantes, des jugements hâtifs emprunts d’une méconnaissance des mécanismes de notre Autonomie, voire parfois de mépris.

Espérons que, cette fois, le gouvernement saura écouter les représentants ELUS de la Polynésie française en votant les amendements que nous présentons.

Sinon, nous saurions en tirer les conséquences pour les projets de loi à venir.

Ce gouvernement a annoncé de grandes mesures pour l’outre-mer. Nous attendons leur concrétisation en Polynésie française.

N’oubliez pas l’intérêt de la Polynésie qui apporte à la France la moitié de sa zone économique exclusive, réserve de biodiversité et de richesses naturelles immenses.

N’oubliez pas l’intérêt géostratégique de la Polynésie française, au cœur du grand océan Pacifique.

Te aroha ia rahi !


Rédigé par () le Jeudi 30 Juin 2011 à 01:56 | Lu 1290 fois